Y aurait-il quelque chose de moisi au royaume du plus célèbre des fromages normands ? Bien que porté aux nues par les gourmets, le camembert de Normandie sous Appellation d'Origine Protégée se fait de plus en plus discret dans nos paniers et nos caddies. Hier roi des étals des fromagers, ce fromage au lait cru « moulé à la louche » ne représente plus qu'un petit dixième des quelque 500 millions de camemberts qui s'écoulent chaque année à travers le monde. Une part presque epsilonesque.
« Plus de neuf camemberts sur dix sont fabriqués à partir de lait conventionnel dont les pratiques de production sont de plus en plus intensives », s'inquiétait la Fondation pour la Nature et l'Homme dans une étude rendue publique il y a quelques jours. Un chiffre corroboré par l'Organisme de défense et de gestion (ODG) du camembert de Normandie. Responsable ? La réticence croissante des transformateurs à appliquer le cahier des charges -exigeant- de l'appellation. À savoir : une fabrication à partir de lait cru issu à minima de 60% de vaches normandes nourries à l'herbe au moins six mois sur douze. Le tout au prix d'une rémunération bonifiée pour les éleveurs.
L'interprofession des producteurs de lait a bien tenté d'endiguer le recul de l'AOP en proposant de créer une seconde catégorie d'appellation dite « cœur de gamme » aux critères plus light. Celle-ci autorisait la pasteurisation et ramenait à 30% la part de lait issu de vaches normandes nourries à l'herbe. Las ! Leur démarche n'a pas été couronnée de succès. Si, en amont, les producteurs ont applaudi, les fabricants ont décliné en bloc la proposition au motif que cette modification du cahier des charges risquait « de créer de la confusion pour le consommateur ». « Sa mise en place impliquait que les transformateurs perdent de leur pouvoir et qu'ils se prêtent à des contrôles ce dont ils ne veulent pas entendre parler », analyse une bonne connaisseuse du dossier.
« Il y a le feu dans la boutique »
« Cela aurait pourtant permis de tirer tout le monde vers le haut », se désole a posteriori le président de l'ODG. À écouter Benoit Duval, Lactalis, Sodiaal et consorts ont eu tort de refuser cette main tendue. Pour lui, ils prennent le risque de fragiliser toute la filière laitière à terme. « Au fond, ils se tirent une balle dans le pied parce qu'on voit disparaître des élevages à tire larigot, étranglés par la baisse des prix. Résultat, il y a le feu dans la boutique », peste-t-il. Contacté par La Tribune, le Syndicat des fabricants de camemberts de Normandie n'a pas jugé bon de nous répondre.
Le déclin de l'appellation pourrait aussi être lourd de conséquences en termes environnementaux, alerte de son côté la Fondation de la Nature et de l'Homme. Sa crainte ? Que le phénomène mette en péril le modèle herbager et bocager dont la Normandie s'enorgueillit. « Les systèmes laitiers engagés dans la démarche se démarquent par des systèmes plus durables, plus sobres et plus résilients qui tendent vers l'agro-écologie », font valoir les auteurs de l'étude citée plus haut en appelant, au passage, à défendre ce « modèle minoritaire ».
Bras de fer en justice
Pour l'heure, le bras de fer qui oppose les défenseurs de l'AOP et les transformateurs se poursuit loin du plancher des vaches, dans l'enceinte judiciaire. Depuis l'an dernier, les fabricants de camembert ne sont, en effet, plus autorisés à utiliser la mention « fabriqué en Normandie » sur les étiquettes dès lors qu'ils ne respectent pas les critères de l'AOP. Ce que les intéressés contestent devant la justice.
En février, ils ont obtenu un répit devant le tribunal administratif qui leur a donné raison « sur la forme et non sur le fond ». Mais le couperet pourrait tomber dans les prochains mois. De quoi, peut-être, inciter certains industriels à se montrer plus coulants... Qui sait.
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