À Nantes, les cinémas de quartier investissent dans le cinéma de demain

À contre-courant de la baisse de fréquentation des salles obscures en France, les cinémas de quartier nantais retrouvent progressivement la santé et retroussent leurs manches. Deux projets d’investissement sont en cours, l’un privé, l’autre public pour accompagner l’engouement du public pour les cinémas d’art et essai de proximité, plus en phase avec l’évolution de la société vers les transitions écologiques. Au grand dam des multiplexes, devenus le symbole d’un autre temps.
Le Concorde, qui saturait, depuis une dizaine d’années, avec 115.000 à 125.000 entrées, et qui accuse un déficit d'entrées de -20%, remonte la pente liée à la crise sanitaire (-27% au niveau national). Ce cinéma indépendant envisage désormais de s'agrandir pour créer un lieu de vie, de débats et de projections diverses, accessible avant et après les séances.
Le Concorde, qui saturait, depuis une dizaine d’années, avec 115.000 à 125.000 entrées, et qui accuse un déficit d'entrées de -20%, remonte la pente liée à la crise sanitaire (-27% au niveau national). Ce cinéma indépendant envisage désormais de s'agrandir pour créer un lieu de vie, de débats et de projections diverses, accessible avant et après les séances. (Crédits : Le Concorde)

Les cinémas de quartier redeviennent tendance... À Nantes, après avoir fermé les unes après les autres (le Bretagne, l'Olympic, l'Apollo, le Colisée...) au profit des multiplexes (UGC, Pathé, Ciné Pôle Sud...) venus s'implanter pour la plupart en périphérie depuis le début des années 1990, les « petites salles » classées Art et Essai connaissent un regain d'intérêt aux yeux d'un public devenu plus sensible aux questions écologiques, et donc plus attentif à ses déplacements.

En témoigne, les deux projets d'agrandissement portés par le Concorde et le Cinématographe, à saturation depuis une dizaine d'années, où les taux de remplissage dépassaient les 30%, contre 17% pour la moyenne nationale et 10% pour les seuls multiplexes.

L'agrandissement du Concorde, parce que « les envies ont évolué »

Sylvain Clochard, propriétaire du Concorde, cinéma indépendant centenaire qui revendique 115.000 à 125.000 entrées par an, dont moins d'un tiers provient du quartier même, situé dans la partie ouest du centre-ville de Nantes, explique son projet par la nécessité de mieux accompagner l'évolution sociétale de sa clientèle.

« C'est une logique proche de celle de la grande distribution qui réinvestit les centres-villes après avoir implanté des mastodontes en périphérie. L'époque a changé. Le Covid a été un accélérateur de tendances. Les envies ont évolué. Au début des années 2000, les gens prenaient leur voiture pour aller chez Ikea faire leurs courses dans une grande surface et se faire une séance dans un complexe cinématographique. Aujourd'hui, à l'heure des mobilités douces, ils préfèrent prendre leur vélo pour venir voir un film ou débattre à côté de chez eux », explique-t-il.

C'est en tout cas à cet emplacement-là, après avoir étudié moult possibilités de transfert, que devrait avoir lieu l'agrandissement de cette figure nantaise.

Devenir un lieu de vie

Longtemps bloqué par les habitations mitoyennes, le projet d'extension du cinéma indépendant a vu son horizon s'éclaircir quand, à partir de 2010, les acquisitions foncières voisines sont devenues possibles. Désormais sur les rails, le projet vise aujourd'hui la construction de six nouvelles salles, et la transformation des quatre existantes en un espace convivial et commercial amovible, doté d'un gradin escamotable où seront organisés des expositions, des débats, des projections de diffusions alternatives, de court-métrages de scolaires et d'écoles de cinéma nantaises, de contenus audiovisuels, des contes, de spectacles vivants. Le site pourrait aussi devenir un lieu de tournage et de diffusion de clips musicaux...

« Ce doit être un lieu de vie. Avec l'évolution du temps libre, les RTT, le temps partiel, libérant un lundi ou un vendredi, on voit plus de gens en semaine et en journée », explique Sylvain Clochard.

Le directeur du Concorde est, par ailleurs, vice-président du Syndicat des cinémas d'art, de répertoire et d'essai (Scare), réunissant 480 cinémas et 800 écrans.

Sylvain Clochard est aussi le fondateur, au début des années 2000, de Micromégas / Epic (Epic pour « Entente de programmation indépendante pour les cinémas »). Du Touquet à la Roche-sur-Yon, ce groupement compte aujourd'hui une cinquantaine d'établissements indépendants (pour une centaine d'écrans) et représente 1,4% du marché national du cinéma. « De quoi avoir un œil sur l'évolution de la profession et de peser face aux grands groupes », assure-t-il.

Lui, qui dit réfléchir depuis trente ans à l'avenir du Concorde et au « cinéma de demain », entend redonner envie aux gens de sortir le soir, avant et après une séance, de passer du temps dans une dimension festive et conviviale alors que les séances du samedi soir 20 heures ou du dimanche après-midi 16 heures (qui assuraient 50% du trafic de la journée) sont de plus en plus désertées.

Un recours en CNACi

Au gré de l'inflation, le projet, qui intègre une forte dimension écologique (toiture végétalisée, climatisation par technologie adiabatique, panneaux solaires, recyclage de l'eau...), chiffré à hauteur de 5 millions d'euros, pourrait rapidement grimper à 6 ou 7 millions d'euros. Déjà, le fameux billet d'entrée à 5 euros vient d'être augmenté de 1 euro...

« Pour l'instant, les banques suivent, mais des arbitrages seront sans doute à faire », concède l'exploitant, qui peaufine son modèle économique et entend mener les travaux, à partir de 2024, sans quasiment fermer l'établissement, pour être totalement opérationnel fin 2026 début 2027.

D'ici là, le propriétaire du Concorde va d'abord devoir faire face à la levée de boucliers de son voisin, le Katorza, un cinéma appartenant au groupe Cineville, lequel vient de déposer un recours auprès de la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) contre la décision positive prise précédemment par la Commission départementale d'aménagement cinématographique (CDACi). Caroline Grimault, la directrice du Katorza (l'un des quatre cinémas Art et Essai de la ville avec le Concorde, Cinématographe et Bonne Garde) explique le point de vue du groupe Cineville en ces termes :

« Nous ne sommes pas contre l'extension, mais nous sommes opposés à ce qu'elle se fasse sur des films programmés Art et Essai en même temps que le Katorza. Si, demain, un tiers de la programmation sort au Concorde, au Gaumont [multiplexe de centre-ville, Ndlr] et au Katorza, les plus fragiles de ces films resteront moins longtemps à l'affiche. Quand un film sort sur moins de 150 copies en France, ça nous semble idiot qu'il sorte sur deux copies à Nantes. On prend le risque qu'un film ne marche pas et sorte de l'affiche, très rapidement. Personne n'en sera responsable et ce sera compliqué pour le Katorza de maintenir sa politique... »

Cette catégorie de cinémas concentre douze écrans sur Nantes. « Autant qu'à Strasbourg, mais plus qu'à Toulouse, Lille, Montpellier ou Rennes... Par rapport à la population, on ne peut pas dire que Nantes soit en manque en la matière », estime Coraline Grimault.

Dans les mains donc de la CNACi, la décision devrait intervenir d'ici à quelques semaines.

le cinématographe

[Salle de cinéma associative, le Cinématographe, inoccupé pendant 5 ans, a été relancé en 2001 par Emmanuel Gibouleau pour proposer des rétrospectives, des cycles thématiques, de l'éducation à l'image... Crédit photo : Frédéric Thual]

Le Cinématographe, cinéma associatif, triple ses écrans

L'autre projet, c'est celui du Cinénamographe, en plein centre-ville, cette fois. Ce cinéma associatif, dédié aux films pour enfants, de genres et d'auteurs, va quitter les voûtes de l'ancienne chapelle du couvent des Carmélites pour s'installer au sein du programme immobilier Synopsys lancé par le promoteur immobilier Six-Ares pour accueillir à la fois des logements, une clinique d'ophtalmologie et ce cinéma d'art et essai, devenu en une vingtaine d'années une des institutions cinématographiques nantaises.

L'investissement de plus de 10 millions d'euros est financé à hauteur de 7,6 millions d'euros par le bailleur social Nantes Métropole Habitat qui acquiert le local. Celui-ci sera loué à la ville de Nantes, en charge d'aménager le site pour 3,2 millions d'euros, qui, elle, le met à disposition de l'association le Cinématographe Ciné-Nantes.

« C'est à la fois un projet associatif et un équipement précieux pour l'éducation populaire, renommé nationalement pour l'éducation à l'image et le cinéma patrimonial. Or, le confort d'usage et l'accessibilité, notamment pour les personnes à mobilité réduite, devenaient compliqués », justifie l'élu Aymeric Saysseau, en charge de la culture à la ville de Nantes.

Pouvant accueillir jusqu'à 70.000 spectateurs, le site, à saturation depuis une dizaine d'années, était contraint dans sa programmation, limitée à 350 longs métrages par an, qui, en outre, restaient très peu de temps à l'affiche.

Avec ce transfert prévu pour 2025, le futur Cinématographe s'installera sur quatre niveaux (1.300 m²) pour devenir un lieu dédié à la culture cinématographique, à la pédagogie, à l'éducation à l'image et au patrimoine. Il va surtout passer de 1 à 3 écrans (de 146 à 270 places).

« On va pouvoir présenter trois films au lieu d'un et des séances supplémentaires par film. Ce sera comme aujourd'hui, mais en mieux », se réjouit Emmanuel Gibouleau, directeur du Cinématographe, où le taux de fréquentation 2022 (55.000 entrées) est quasiment revenu au niveau de 2019.

Chute de fréquentation : le format des multiplexes remis en cause ?

« Les cinéphiles reviennent », constate l'exploitant. Certes, mais s'il est un point où les exploitants de cinémas nantais s'accordent, c'est que le retour des spectateurs prendra du temps. Dans les salles Art et Essai, il manque encore 20% de la clientèle.

« La curiosité des gens a changé. Ceux qui venaient trois fois par semaine et allaient voir des petits films peu médiatisés, reviennent moins que ceux qui se précipitent sur un titre », observe Caroline Grimault, la directrice du Katorza, organisateur de cycles cinématographiques et de nombreux partenariats avec des festivals (3 Continents, Cinéma espagnol...), des réalisateurs, l'Université de Nantes... où les entrées (-18%) n'ont pas retrouvé le rythme de croisière de 2018-2019 (250.000 entrées).

Cette défection est encore plus sensible dans les quatre multiplexes de périphérie et  au sein du Gaumont en centre-ville, victime, notamment, de la mauvaise image de la place du Commerce, où la fréquentation a, globalement, chuté de près de 40% à 50% au cours des dix dernières années.

Selon un observateur du secteur, « en périphérie, les entrées sont tombées de 2,46 millions en 2015 à 1,59 million en 2022 ».

La tendance est telle que des cinéphiles nantais viennent de créer une plateforme de vente de billets à prix réduits en ligne (voir encadré) pour tenter d'enrayer le phénomène des salles vides.

« Ce format n'attirent plus autant qu'avant. On voit même des groupes commencer à racheter des petites salles... mais pas des "épiceries de quartier" comme la nôtre », observe Emmanuel Gibouleau, le directeur du Cinématographe.

Ozzak

[Venus des métiers du digital, de l'environnement et de la communication, Sylvain Mante, Cédric Merouani et Mélanie Canive ont fondé l'appli Ozzak en juin 2022. Crédit photo : Ozzak]

OZZAK, la startup qui veut aider les cinémas à faire le plein d'entrées

Ozzak n'aime pas les sièges vides dans les salles obscures. Initiée juste avant le Covid par Mélanie Canivet, Cédric Merouani et Sylvain Mante, trois Nantais amoureux de cinéma attristés d'assister seuls à des projections, la plateforme de vente en ligne de séances à prix réduit, Ozzak, a été finalement créée en juin 2022. Accessible par le grand public, elle est fournie clé en main aux exploitants de cinéma, qui peuvent, eux-mêmes, proposer 5, 10 ou 15 places à prix réduit (de 30% à 70%) pour les séances qu'ils ont du mal à remplir.

Un peu plus de six mois plus tard, le trio a déjà noué 24 partenariats avec des exploitants de salles en France, comme le Grand Rex, des multiplexes, des cinémas municipaux, des salles d'art et essai, des cinémas-théâtres, etc.

« C'est aussi un moyen de communiquer sur des avant-premières pour toucher un nouveau public ou occasionnel », explique Sylvain Mante.

Depuis juin dernier, la plateforme a attiré 60.000 visiteurs, dont 6.000 utilisateurs actifs, et vendus 7.500 places. Disponible en téléchargement depuis la fin de l'année, l'appli mobile Ozzak a été téléchargée 15.000 fois, et 4.000 personnes seraient inscrites sur liste d'attente, dans les villes où Ozzak n'est pas encore déployée.

Le modèle économique repose sur une commission du chiffre d'affaires généré par la vente des places. Ozzak ambitionne d'entreprendre une levée de 600.000 euros au premier semestre 2023 pour accompagner son développement sur le marché hexagonal.

« La crise a finalement été bénéfique pour nous, elle a permis au marché de chercher de nouvelles solutions et à de jeunes actifs comme nous d'aller au cinéma plus régulièrement au cinéma à moindre coût », observe le cinéphile nantais qui note que, dans la région nantaise, pour l'instant, seul Ciné Pôle Sud de Basse Goulaine (44) adhère à la plateforme Ozzak.

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