Bataille des TV contre le cloud : faut-il interdire le disrupteur Aereo ?

La startup new-yorkaise, qui loue de mini-antennes à ses abonnés pour capter le signal des chaînes TV, est attaquée par celles-ci qui la jugent illégale. La Cour Suprême, saisie du dossier, est divisée entre préservation de l’innovation et protection des droits d’auteur.
Delphine Cuny
Les mini-antennes râteaux louées par Aereo qui se pose en fournisseur d'équipements et non de contenus.

La décision de la Cour Suprême des Etats-Unis pourrait avoir un immense retentissement sur les acteurs de la télévision et tout l'écosystème du « cloud computing », l'informatique à distance. Les plus grandes chaînes de télévision américaines, ABC (Disney), CBS, Fox, NBC, ont saisi à l'automne la Cour en lui demandant d'interdire la startup Aereo, qu'elle juge illégale, considérant qu'elle « vole leur signal » : les auditions ont commencé mardi. Lancée en 2012, la startup new-yorkaise loue à des internautes de mini-antennes râteaux « individuelles » qui leur permettent de voir en quasi direct et d'enregistrer dans le « cloud » la télévision depuis un ordinateur, une tablette voire sa TV, moyennant 8 à 12 dollars (hors taxe) par mois. « Pas besoin d'être abonné au câble » précise Aereo sur son site sans détours, sachant qu'un abonnement au câble coûte entre 50 et 100 dollars… Et c'est là le problème : les chaînes, qui perçoivent des commissions des opérateurs de câble et de satellite mais rien de la startup, estiment qu'Aereo menace leur modèle économique et enfreint leurs droits d'auteur.

Une technologie conçue pour contourner la loi ?

« Du point de vue de l'utilisateur, le service est exactement le même que ce qui est disponible sur le câble » a relevé la juge Elena Kagan. C'est d'ailleurs la position du gouvernement américain qui soutient le camp des télévisions. « Votre modèle technologique est fondé uniquement sur une manière de détourner les interdictions légales auxquelles vous ne voulez pas vous conformer » a fait valoir le président de la Cour Suprême, John Roberts. Les mini-antennes individuelles sont dénoncées comme une astuce juridique pour se conformer à la loi des droits d'auteur, en insistant sur l'accès individuel du consommateur et le droit à la copie privée. Aereo n'aurait besoin que d'une seule antenne pour capter les ondes hertziennes gratuites des chaînes locales, déclinaisons des grands « networks » américains : avec une antenne par abonné, la startup se défend de se livrer à une « performance publique. »

Fournisseur d'équipement ou de contenus ?

Aereo, financée par l'ex-magnat de la TV reconverti dans l'Internet, Barry Diller, se présente non comme un fournisseur de programmes mais comme « un fournisseur d'équipements » dont le rôle se limite à « répliquer dans le cloud ce que les gens peuvent faire seuls » en achetant leur propre antenne. « Sinon cela signifie que tout fournisseur d'équipement, d'antenne ou d'enregistreur, est d'une certaine manière un fournisseur de contenus. Les implications seront de grande ampleur » a prévenu l'avocat d'Aereo. La startup assure que sa technologie lui permet de « servir des dizaines de milliers d'abonnés autour de New York en stockant ces antennes dans un espace équivalent à la table de la Cour » et ainsi de monter en puissance progressivement, plutôt que d'installer une grande parabole sur un toit, qui nécessiterait une autorisation et serait plus coûteuse.

Les géants du cloud s'inquiètent

Certains juges de la Cour Suprême ont exprimé mardi leurs inquiétudes sur l'impact qu'une décision en faveur des chaînes de TV pourrait avoir sur les autres acteurs du « cloud », en particulier les services de stockage de contenus et de streaming, citant les noms de DropBox ou iCloud (Apple), si le concept de « performance publique » venait à être redéfini. Les géants de l'Internet, tels que Google, un des grands acteurs du « cloud », ont d'ailleurs apporté leur soutien à Aereo : le lobby du secteur, la CCIA (l'association de l'industrie des communications et de l'informatique) et la Fondation Mozilla ont écrit à la Cour Suprême pour la mettre en garde contre « les implications sur toute l'économie de l'internet », la pressant de trancher en faveur d'Aero « afin de ne pas pénaliser la croissance et le développement du cloud computing. » Selon le porte-parole de la CCIA, « le secteur technologique a besoin d'obtenir l'assurance qu'il ne sera pas restreint légalement dans sa capacité à fournir des solutions innovantes conçues pour connecter les consommateurs aux contenus auxquels ils ont le droit d'accéder, qu'il s'agisse de fichiers personnels ou de contenus diffusés sur les ondes publiques. L'innovation technologique ne peut émerger sous la menace permanente de poursuites. » La décision de la Cour Suprême ne devrait intervenir que dans plusieurs semaines, d'ici à la fin juin.

> lire la retranscription complète des auditions de la Cour Suprême (en anglais)

 

Delphine Cuny

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