CES 2020 : moins de paillettes, plus de business pour les Français

Pour la première fois depuis 2013, la présence française -startups, politiques, médias- sera en nette décrue au CES de Las Vegas, qui se tient du 7 au 10 janvier. Le plus grand salon mondial de l’innovation est devenu moins politique et stratégique pour le gouvernement et les Régions. Une bonne nouvelle pour le business.
Sylvain Rolland
Visites guidées thématiques avec promesses de rendez-vous qualifiés, soirées de networking, contrats signés dans les suites des hôtels... Du 7 au 10 janvier, le business liée au CES s'étale partout à Las Vegas.
Visites guidées thématiques avec promesses de rendez-vous qualifiés, soirées de networking, contrats signés dans les suites des hôtels... Du 7 au 10 janvier, le business liée au CES s'étale partout à Las Vegas. (Crédits : iStock)

La France deviendrait-elle plus raisonnable en ce qui concerne le CES de Las Vegas, dont la 53è édition se tient du 7 au 10 janvier prochain ? Après plusieurs années où le salon faisait office d'aimant pour toute startup ou personnalité politique en quête de lumière et de caméras, l'édition 2020 va se caractériser par la fin des excès et le recentrage sur le business. Pour la première fois, la présence tricolore au CES va accuser une nette décrue. Après 412 entreprises en 2018 et 420 en 2019 (contre une petite dizaine à peine en 2012!), l'édition 2020 ne devrait pas accueillir plus de 350 exposants français, d'après les premières estimations de Business France et du consultant spécialisé Olivier Ezratty.

Poumon de l'innovation mondiale, le CES est le plus grand salon tech au monde, l'endroit où se dévoilent les petites et grandes innovations qui changeront peut-être le monde. Objets connectés intelligents, gadgets électroniques du plus génial au plus futile, nouvelles générations de smartphones, d'écrans de télévision et de matériel audio, solutions pour la smart city, véhicules autonomes, réalité virtuelle, drones, IA vocale... En 2020, cette immense caverne d'Ali Baba s'étalera sur 2,5 millions de mètres carrés (2,9 millions en 2019) en plein coeur de la capitale mondiale du divertissement. 4000 exposants (4500 l'an dernier), y tiendront pavillon, attirant des entreprises de toutes tailles, des géants comme Samsung, Huawei et Google aux pépites issues de tous les continents.

Plus de 170.000 visiteurs, uniquement des professionnels, sont attendus dans les allées bondées, dont plus de 7.000 journalistes et influenceurs, dont les plus grands distributeurs, industriels, investisseurs et grands groupes. Malgré les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, qui expliquent une forte baisse de la présence chinoise -le deuxième pays le plus représenté derrière les Etats-Unis-, le CES restera en 2020 un salon business de premier plan et le meilleur baromètre de l'état de l'art de l'innovation mondiale.

Un salon moins stratégique pour le gouvernement et les Régions

Dans ce brouhaha, la France se démarque depuis quelques années par une présence massive. A force de communication et d'une forte volonté politique émanant à la fois du gouvernement et des Régions, les pouvoirs publics ont réussi à faire du CES une étape immanquable pour les startups de l'Internet des objets (IoT), et une vitrine du savoir-faire technologique français pour épater le monde entier. La stratégie a fonctionné au-delà des espérances, la France devenant en quelques années la troisième nation la plus représentée au CES. Pour attirer l'attention, les pépites tricolores colonisent l'Eureka Park, l'espace où se concentrent l'essentiel des startups, et qui est aussi un véritable aimant à médias internationaux.

"La France avait besoin d'exister sur la carte mondiale de l'innovation. Frapper un grand coup au CES était un moyen efficace de marquer les esprit pour changer l'image de la marque France", explique Eric Morand, le vice-président Tech et Services de Business France.

Mais désormais, les enjeux ont changé pour la French Tech. Embryonnaire en 2013, l'écosystème français a bien grandi. Grâce en partie au CES qui a étalé aux yeux du monde la force de l'innovation made in France, l'Hexagone attire sans trop de problème les investisseurs internationaux, et la "startup nation" se mue doucement en "scaleup nation". Avec des enjeux de financement et d'attraction des talents que le CES ne peut plus aider à résoudre.

De fait, le salon perd grandement sa dimension stratégique, d'où un sentiment de "saturation" dans les médias français et au sein même des délégations. D'autant plus que le bling-bling de Las Vegas fait tâche dans un contexte de crise des Gilets jaunes et de grève générale contre la réforme des retraites. Ainsi, tout le monde réduit la voilure. La Région Sud, qui comprenait l'an dernier 50 startups de Marseille et sa région, n'envoie cette année que 30 pépites. Les 10 autres Régions participantes diminuent aussi leur délégation, d'environ 30% en moyenne. De son côté, le gouvernement fait le strict minimum en envoyant un seul membre, la secrétaire d'Etat auprès de Bercy Agnès Pannier-Runacher. Kat Borlongan, la directrice de la Mission French Tech, sera aussi du voyage. "Le CES reste très important pour la France mais il est préférable d'y aller en étant très bien organisé, car il s'agit avant tout d'une opportunité business incroyable pour de nombreuses startups", indique-t-elle.

Présence unifiée derrière Business France

Le nouveau mot d'ordre est donc : moins de paillettes, davantage de business. Car non seulement la présence française restera conséquente, mais elle sera surtout mieux organisée. Les Régions, qui considéraient le CES comme un moyen d'auto-promotion, se sont rendues compte des limites de cet état d'esprit. En partant en ordre dispersé, en multipliant des logos méconnus des étrangers, elles ont cherché à attirer l'attention sur elles-mêmes au détriment de leurs startups et de la cohérence de la présence française dans son ensemble. Suite à la cacophonie de l'édition 2018, neuf d'entre elles avaient testé en 2019 de faire pavillon commun avec Business France, sous l'égide du coq rouge de la French Tech, profitant ainsi d'un positionnement avantageux en plein milieu de l'Eureka Park. Seules Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) et Grand Est, pour des raisons politiques, avaient fait bande à part.

Cette année, après la grogne des startups elles-mêmes qui se sont retrouvées isolées et moins visibles, les deux récalcitrants sont rentrés dans le rang, aboutissant pour la première fois à une "Team France Export" vraiment unifiée et cohérente menée par Business France. Seul bémol : les startups ne sont toujours pas organisées par thématique (santé, sport, énergie...) mais "demander au Régions de s'effacer totalement est difficilement concevable" pour Eric Morand.

"Ce recentrage va certainement diminuer le nombre d'erreurs de casting, c'est-à-dire les startups qui viennent au CES alors qu'elles n'ont rien à y faire car trop jeunes ou sans produit à présenter", observe  le consultant Olivier Ezratty.

Les délégations régionales en ont pris conscience. "Nous avons reçu une délégation chinoise récemment, ils veulent rencontrer des startups qui sont sur les thématiques que nous avons sélectionnées, mais nous devons être capable de leur vendre quelque chose de concret", avance Françoise Bruneteaux, la vice-présidente chargée de l'innovation de la Région Sud.

Business parallèle, visites guidées, contrats signés dans les suites des hôtels

Pour les Français, et malgré la montée en puissance du salon VivaTech, qui se tient en juin à Paris, le CES reste la meilleure opportunité pour rencontrer des industriels, distributeurs, partenaires et clients du monde entier. "Il y a des directions opérationnelles des grands groupes et tout ce que la tech compte de personnes importantes pour accélérer son business", résume Olivier Ezratty.

Mais si tout le gratin français se presse à VivaTech, le CES offre un terrain de jeu mondial. "Le CES permet d'avoir accès à des dirigeants haut placés mais, contrairement à Paris, de prendre vraiment le temps d'échanger avec eucar tout le monde vient pour cela", ajoute Eric Morand. D'où la nécessité, à la fois pour les exposants et les visiteurs, de réaliser une préparation intensive en amont : prendre le maximum de rendez-vous tout en se laissant aussi du temps pour les rencontres fortuites au détour d'une allée. Car venir au CES coûte très cher. La plus économe des petites startups devra quand même débourser au moins 10.000 euros (voyage, hôtel, stand...) et la facture peut grimper à plusieurs centaines de milliers d'euros pour les grands groupes qui paient le déplacement à de nombreux collaborateurs et qui exposent sur un gros stand dans le Las Vegas Convention Center (LVCC), le centre névralgique du salon où se découvrent notamment les écrans et les véhicules autonomes.

Pour les visiteurs, le salon en lui-même n'est pas le seul intérêt du voyage : aucun chiffre officiel n'existe, mais énormément de business se réalise dans les suites des hôtels du Strip, l'avenue centrale de Las Vegas tout proche du salon, et dans les nombreux événements parallèles (conventions, soirées thématiques dans les hôtels...). Au point qu'un business parallèle de "tours opérator" s'est mis en place, sur le modèle des parcours touristiques dans les villes. Pour plusieurs milliers d'euros, des parcours thématiques avec arrêts dans des stands "stratégiques" et rendez-vous qualifiés sont proposés aux participants.

Pour le groupe Legrand, présent au CES depuis six ans dont quatre avec son propre stand, Las Vegas est une étape business cruciale. "Nous recevons sur notre stand des délégations de clients, notamment des distributeurs, venant du monde entier. On y retrouve également les plus grands promoteurs immobiliers comme Bouygues ou Nexity, nos partenaires comme Amazon", détaille Jérôme Boissou, le responsable du programme Eliot, qui intègre les objets connectés pour la maison de Netatmo, rachetée en 2018.

Comme la plupart des grands groupes, Legrand vient au CES avec des objectifs précis de contacts à nouer et de contrats à avancer.

"Le CES nous a permis de rencontrer les GAFA, de signer des partenariats et des contrats parfois sur un bout de table, d'avoir de nombreuses retombées presse et des clients qui gonflent leurs commandes après avoir testé nos solutions sur place", ajoute le dirigeant.

Si le salon débute officiellement le mardi 7 janvier et se termine le vendredi 10, Las Vegas entre en ébullition dès le dimanche. Dans la ville qui ne dort jamais, le business non plus ne s'arrête pas.

Sylvain Rolland

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