La crise du Covid-19 n'en finit pas de faire des gagnants dans le numérique. A la faveur des confinements et de la généralisation du télétravail, le travail en freelance n'a jamais eu autant la cote, surtout pour les talents les plus diplômés dans des secteurs sous tension, comme celui du numérique. C'est pourquoi la plateforme de recrutement des freelances Malt, qui explose depuis septembre dernier, repasse par la case investisseurs pour accélérer sa folle croissance. La startup française annonce ce mardi 1er juin le succès d'une levée de fonds massive de 80 millions d'euros, menée par Eurazeo et la banque d'affaires Goldman Sachs, avec le soutien de ses investisseurs historiques Isai et Serena.
250.000 freelances inscrits, 20.000 entreprises clientes
Fondée en 2013 par Vincent Huguet et Hugo Lassiège, Malt chasse sur les plates-bandes des cabinets de recrutement et de consulting (SSII, brokers, agences). Son credo : une place de marché qui connecte les freelances avec les entreprises qui ont besoin de talents de manière temporaire pour accélérer leur transformation numérique, de la TPE au grand groupe du CAC 40. La plateforme gère tout : annonce, mise en relation, contractualisation, paiement, e-réputation.
Son algorithme nourri à l'intelligence artificielle se charge de proposer les candidats les plus appropriés pour chaque mission. « Notre succès vient du fait qu'on a su inverser le système et intégrer les codes des sites de rencontre dans le recrutement pour valoriser le travail des freelances et créer une compétition entre entreprises pour collaborer avec les meilleurs", explique le nouveau directeur général depuis un an, Alexandre Fretti.
Focalisée à ses débuts sur les métiers du numérique (développeur, graphiste, data scientist...), les plus attirés par le mode de vie freelance, Malt touche de plus en plus toutes les catégories des prestations de conseils aux entreprises.
"Le Covid a été un accélérateur extraordinaire dans le sens où cette crise a questionné notre rapport au travail. Beaucoup de personnes qualifiées ont décidé de quitter le monde du salariat pour se mettre à leur compte, travailler d'où ils veulent, quand ils veulent", ajoute l'entrepreneur.
Ainsi, seuls 60% des profils inscrits sur Malt sont des métiers du numérique : 20% sont des "tech" -développeur, data scientist...-, 20% des créatifs -designer, photographe, éditeur vidéo...-, et 20% travaillent dans la communication et la publicité. Les autres 40% évoluent dans toutes les fonctions classiques d'une entreprise : ressources humaines, juridique, commercial... A ce jour, Malt revendique 250.000 freelances inscrits sur sa plateforme et 20.000 entreprises clientes, essentiellement des TPE mais également 85% du CAC 40.
"Nous ne précarisons pas le travail""
La clé du succès de Malt, sérieux candidat au statut de licorne - startup non-cotée valorisée plus d'un milliard de dollars - dans les deux prochaines années, est à chercher du côté de sa technologie et de ADN tourné vers ses utilisateurs. Son leitmotiv est clair : "la communauté d'abord".
"Je dis aux grands groupes prospectés que mes clients sont avant tout les freelances. On leur propose de bonnes conditions de travail et une plateforme simple et pensée pour eux. Ils viennent donc tous chez nous, revendique Alexandre Fretti. Les entreprises savent qu'elles trouveront chez Malt tous les meilleurs talents. Elles ont donc envie d'être attractives."
L'entrepreneur tient à préciser :
Il ne faut pas nous confondre avec les plateformes de la "gig economy", qui précarise le travail. Ces travailleurs n'ont pas d'autre choix alors que nos freelances sont courtisés, d'autant plus qu'il y a une tension dans les métiers du numérique. Nous avons inversé le rapport de force dans le travail indépendant".
Une prestation payée sous 48 heures
Par exemple, la startup règle le problème des impayés, un fléau du travail indépendant. Le client doit provisionner la mission demandée, ce qui permet à Malt de rémunérer l'entrepreneur sous 48 heures et de se verser une commission. Le système permet aussi aux freelances de développer leur réputation grâce aux recommandations de fin de mission laissées par leurs clients. Malt fournit aussi une protection sociale, via un partenariat avec Axa sous la forme d'une assurance en cas d'arrêt de travail, d'incapacité ou de décès. Des modules de formation sont aussi possibles suite à un autre partenariat avec la startup Openclassrooms.
De leur côté, les entreprises ont accès à un dossier complet sur le freelance, avec des références et des avis, et peuvent affiner leur recherche de prestataire avec des critères très précis, grâce à un algorithme de mise en relation fondé sur les compétences, la disponibilité et la proximité géographique. La startup revendique 3.500 nouveaux inscrits par mois et est présente dans les grands bassins d'emplois en France, et depuis l'an dernier en Espagne.
Ce modèle vertueux donne même des idées à Alexandre Fretti, qui voudrait "supprimer le CDD devenu inutile à l'ère numérique" pour ne rester qu'avec le CDI et le statut de freelance.
Devenir un géant européen du "conseil freelance" dans un marché de 350 milliards d'euros
Persuadé que le vent tourne dans son sens, Alexandre Fretti a de grandes ambitions pour Malt. "On veut être l'Amazon ou le Airbnb du service au freelance", revendique-t-il. Deux acteurs ultra-dominants dans leur secteur, qui sont également des marketplaces, c'est-à-dire des places de marché où l'offre rencontre la demande.
Grâce à la levée de fonds de 80 millions d'euros, Malt compte accélérer fortement son expansion européenne. Déjà présente dans trois pays - France, Allemagne, Espagne -, la startup veut attaquer de nouveaux marchés : Belgique, Pays-Bas, Autriche, Suisse, Italie, Portugal et Royaume-Uni.
Une partie de l'argent servira à recruter pour passer de 250 employés à 300 à la fin de l'année et 400 fin 2022, notamment des profils tech et commerciaux. Une autre servira à financer des acquisitions dans les nouveaux marchés cibles, pour aller plus vite dans la conquête des pays européens et notamment au Royaume-Uni.
"Il y a de petits acteurs partout, mais notre avantage est qu'on est déjà dominants en France et que notre modèle est facilement scalable. C'est une course de vitesse, il n'y a pas encore de géant dans le secteur du conseil freelance, nous voulons le devenir", ambitionne le directeur général.
Ce marché pèse, d'après Roland Berger, 40 milliards d'euros en France et 350 milliards d'euros en Europe. Des acteurs, notamment américains comme Upwork, se le disputent. Malt est également en concurrence avec les cabinets de conseil, qui proposent des missions de transformation numérique, mais revendique un spectre plus large avec également des prestations de freelance pour tous les départements d'une entreprise.
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