Jean-Noël Barrot, le ministre délégué au Numérique, l'a enfin confirmé lors de la traditionnelle soirée de rentrée de la French Tech, qui s'est tenue à Bercy jeudi 22 septembre. Devant un parterre d'entrepreneurs venus de toute la France, le successeur de Cédric O a très brièvement mentionné que le gouvernement est en train de « travailler » à la création d'un « Tibi 2 », c'est-à-dire la suite du grand plan d'investissement dans la tech porté par l'économiste Philippe Tibi, annoncé fin 2019 et lancé en 2020.
A l'époque, Emmanuel Macron avait arraché aux investisseurs institutionnels -surtout les bancassureurs- la promesse d'investir 6 milliards d'euros en trois ans dans la tech : 3 milliards d'euros dans des fonds de capital-risque spécialisés dans le late-stage (les méga-levées de fonds de plus de 50 ou 100 millions d'euros), et 3 milliards d'euros dans des fonds spécialisés dans l'investissement coté dans le secteur technologique, afin de créer un appel d'air pour pousser les startups à tenter l'introduction en Bourse, à l'image d'OVHCloud qui a été fortement soutenu par les investisseurs institutionnels pour son IPO fin 2021. L'objectif : s'attaquer aux faiblesses structurelles du financement de la tech, afin de faire naître des licornes et des géants de la tech en France.
Focus sur la deeptech
Si Jean-Noël Barrot n'a rien indiqué d'autre que des « discussions en cours » pour délimiter les contours de « Tibi 2 », La Tribune peut dévoiler les premières pistes de ce nouveau plan. D'après plusieurs sources concordantes, le gouvernement ne souhaiterait pas que « Tibi 2 » soit inférieur en montant à « Tibi 1» : l'Etat compte donc convaincre les bancassureurs et autres investisseurs institutionnels de mobiliser « au moins 6 milliards d'euros, probablement davantage » dans ce nouveau plan, qui devrait être bouclé en fin d'année, pour une application dès 2023. Le plan « Tibi 1 » s'étalant sur trois années -il se terminera donc fin 2022-, « Tibi 2 » prendrait sa suite, probablement pour une durée similaire.
Alors que « Tibi 1 » se concentrait sur les deux plus grosses failles du marché du financement de la tech de l'époque -les méga-levées de fonds et l'entrée en Bourse-, « Tibi 2 » devrait poursuivre et amplifier le mouvement. Une partie des montants de « Tibi 2 » devraient ainsi s'orienter à nouveau vers le « late-stage » et le soutien à l'investissement coté.
« Dans un contexte de retrait d'Europe des fonds américains depuis le début de l'année à cause de la crise des valeurs tech, et de l'arrêt des introductions en Bourse, on a d'autant plus besoin que « Tibi 2 » continue de financer le « late-stage » et de soutenir le marché coté. Des startups qui ont fait de grosses levées il y a un ou deux ans vont avoir besoin de se refinancer et d'autres veulent pouvoir se coter en Bourse. Le marché des sorties a encore besoin d'un coup de pouce », avance un investisseur auprès de La Tribune, qui a poussé cet argumentaire auprès du gouvernement.
Mais une partie non-négligeable des fonds devrait être orientée vers d'autres « trous dans la raquette ». Les « deeptech » -innovations de rupture dans tous les domaines-, les startups industrielles et les startups dans le domaine de la santé, devraient aussi recevoir le soutien de Tibi 2. « L'obsession de Philippe Tibi, c'est de combler les failles de marché. Les "deeptech", les startups industrielles et les startups de la santé sont sous-financées en France et présentent un grand intérêt stratégique en terme de souveraineté et d'indépendance technologique », nous confie une source.
Ces trois domaines font déjà l'objet de plans sectoriels lancés ces dernières années par le gouvernement, et font également partie des bénéficiaires de l'initiative France 2030. Logique, donc, de les retrouver dans le nouveau plan Tibi.
Les modalités restent encore à définir. « Philippe Tibi veut de la deeptech dans tous les gros fonds d'investissement », croit savoir une source. Mais cela reste plus facile à dire qu'à faire : la « deeptech » obéit à des logiques d'investissement différentes que la tech classique -avec notamment une rentabilité beaucoup plus incertaine et lointaine- et exige des compétences dédiées que n'ont pas la plupart des grands fonds spécialisés dans le « late-stage », à commencer par le plus important en France, Eurazeo.
Le « early stage », victime collatérale de « Tibi 1 » à corriger dans « Tibi 2 » ?
Enfin, une dernière piste serait à l'étude d'après nos informations : soutenir le financement d'amorçage ou « early stage, exclu de « Tibi 1. Plusieurs acteurs de la tech poussent en ce sens depuis quelques semaines auprès de Philippe Tibi et du gouvernement.
« En poussant les investisseurs institutionnels à soutenir massivement le "late-stage", "Tibi 1" a eu un effet pervers : certains investisseurs ont réorienté l'argent qu'ils comptaient investir dans le "early stage" vers le "late" », regrette l'association professionnelle France Digitale, principal lobby des startups et des investisseurs, qui a plaidé sa cause auprès de Philippe Tibi ces dernières semaines.
Impossible de dire à ce stade si cette piste sera retenue, mais l'écosystème alerte sur les difficultés du segment de l'« early stage » en France depuis plusieurs mois, d'autant plus que la crise rend les investisseurs plus réticents au risque et plus enclins à financer des startups avec des clients et des modèles économiques déjà éprouvés, plutôt que des jeunes pépites qui doivent encore tout prouver.
« Tibi 1 » globalement considéré comme un succès
Deux ans après le lancement du premier plan « Tibi », l'écosystème dans son ensemble le considère comme un succès. D'après Bercy, 3,5 milliards d'euros ont déjà été engagés par les investisseurs partenaires. Complétés par le reste des souscriptions, réalisées par des investisseurs tiers, l'ensemble des fonds labellisés représente plus de 18 milliards d'euros, sur un objectif initialement fixé à 20 milliards d'euros.
Le 7 juin 2021, lors d'un bilan d'étape du plan Tibi à 18 mois, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, avait proposé que cet objectif total de 20 milliards d'euros soit rehaussé à 30 milliards d'euros. Soit 10 milliards d'euros supplémentaires à trouver, qui devraient provenir en partie de « Tibi 2 ».
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