La France championne de l'administration numérique... boudée par ses usagers

La France figure sur les podiums des classements internationaux relatifs à l'administration numérique. Pourtant, les services publics numériques sont boudés par les usagers.
Grégoire Normand
Avec son projet de loi pour une République numérique, la secrétaire d'Etat chargée du Numérique et de l'Innovation Axelle Lemaire espère amplifier l'usage de l'administration en ligne par les citoyens.

La France serait championne de l'e-administration. Malgré ce constat, le conseil d'analyse économique qui fournit des études pour le Premier ministre, a souligné dans une note publiée ce jeudi que les usagers n'étaient pas au rendez-vous.

Une offre pléthorique

L'administration française est souvent critiquée pour sa complexité et son retard. En matière d'offre de services publics numériques, elle serait en avance au regard de la plupart de ses voisins comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Lecture : OSI/EGDI : Online Service Index/E-Government Development Index (Nations unies) ; DESI : Digital Economy and Society Index (Commission européenne). Sources : Nations Unies (2014) : E-Government Survey 2014 ; Eurostat (2014) : Digital Agenda Scoreboard Dataset ; Eurostat (2013) : ICT Enterprises Survey.

La France affiche donc le score le plus important (100) en ce qui concerne l'indice OSI/EGDI relatif à l'offre administrative en ligne. Et le niveau reste bien supérieur à la moyenne de l'Union européenne (64) ou de l'Estonie (77) pourtant réputée pour son environnement numérique.

Des citoyens aux abonnées absents

En revanche, les interactions des usagers et des entreprises avec l'administration numérique sont plutôt mitigées au vu de l'offre étendue de services disponibles. L'Estonie présente une offre de services publics numériques moins pléthorique mais les citoyens et les professionnels interagissent beaucoup plus avec leur administration sur le web.

Depuis 2015, la Commission européenne a mis en place un indicateur relatif à l'économie et la société numérique (Digital Economy and Society Index, DESI) qui intègre la dimension des usages et la France paraît bien moins placée. Avec cet indice DESI, la France ne se classe plus qu'au 17ème rang européen. Ce résultat est calculé à partir de quatre indicateurs

  • le pourcentage d'usagers qui interagissent en ligne avec les autorités publiques
  • le pré-remplissage des formulaires par l'administration
  • la couverture de l'offre d'administration en ligne
  • l'ouverture des données publiques

Le paradoxe est souligné ainsi par les auteurs de la note du CAE :

Ainsi, en France, 61 % des particuliers (en 2015) et 96  % des entreprises (en 2013) ont utilisé Internet pour des contacts avec l'administration, mais ils ne sont que 42 % (particuliers) et 90 % (entreprises) à avoir transmis de façon dématérialisée des formulaires complétés. Il semble donc y avoir un décalage entre l'offre et l'usage de l'administration numérique.

Côté entreprises, les interactions semblent mieux fonctionner. Les sociétés ont tout intérêt à faire leurs démarches administratives sur internet en termes de gains de productivité. Ces démarches représentent un coût que la dématérialisation est susceptible de réduire. Le CAE prend l'exemple du temps consacré par les entreprises aux démarches fiscales :

"Avec 137  heures par an, la France est mieux placée que la moyenne des pays européens, loin derrière l'Estonie ou le Royaume-Uni, mais devant l'Allemagne  Les  'économies' réalisées permettent alors aux entreprises de ré-allouer leurs ressources (en temps et en effectifs)."

Un manque d'informaticiens et d'agilité

Pour tenter d'expliquer ce paradoxe entre l'offre et les usages, le CAE pointe le manque d'informaticiens en poste dans l'administration :

"Moins de 1% des ingénieurs informaticiens sont employés dans les administrations publiques alors que l'emploi public représente 20% de l'emploi total. Le besoin en informaticiens a pu être sous-estimé jusqu'ici grâce à la sous-traitance, l'État ne conservant que la maîtrise d'ouvrage."

Le recrutement des informaticiens dans le secteur public a pu être difficile en raison des rémunérations moins attrayantes que dans le secteur privé. Le groupe d'économistes soulève également le problème du manque d'agilité de l'administration :

"L'administration n'est pas la mieux placée, du fait de son organisation et des compétences de ses agents, pour être la championne de l'innovation en matière numérique ; le modèle de l'administration n'est pas celui de la startup, sans modèle d'affaires mais sachant combiner l'innovation technique et commerciale, et fonctionnant, par essais, succès ou échecs."

Enfin, les chercheurs recommandent plus de transparence dans l'usage des données et des algorithmes à la base de la décision publique. Les dysfonctionnements de la plate-forme "admission post-bac" (APB) sont un exemple qui peut illustrer le manque de transparence des algorithmes utilisés dans l'administration française. Si la France a bien entamé la transformation numérique de son administration, il reste à convaincre une grande partie de la population. Cette mission pourra être l'objet de la la loi Pour une République numérique, dite loi Lemaire promulguée en octobre prochain, qui prévoit un accès gratuit aux données publiques sauf exception et un droit d'accès spécifique pour les algorithmes fondant des décisions individuelles (article 2).

Grégoire Normand

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Commentaires 4
à écrit le 25/09/2016 à 11:33
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Un exemple, c'est pole emploi qui envoie des convocations "numériques" sur leur site, mais comme peu de gens lisent ces couriers du site pole emploi, alors ils peuvent rater les rendez vous et se faire radier. Est-ce légal ? Les gens préfèrent etre i...

à écrit le 24/09/2016 à 11:57
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évidemment l'administration numérique ne répond pas à ses usagers. Faites le test: laissez une question sur le site d'un ministère. Vous recevrez un AR électronique par email et puis ....rien ! Parfois la mauvaise foi de l'administration qui nie ...

à écrit le 24/09/2016 à 10:12
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"rémunérations moins attrayantes que dans le secteur privé" ? Il ne faut pas uniquement voir le salaire, mais aussi les avantages sociaux et notamment la sécurité de l'emploi ! En prenant tout en compte, il faudra démontrer en quoi les rémunérations ...

à écrit le 23/09/2016 à 16:27
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Axelle Lemaire ne voudrait elle pas gérer le ministère de la santé svp ? Attention elle n'a rien à voir avec le politicien conservateur Bruno Lemaire, elle est compétente elle.

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