Vraie menace ou coup de bluff ? Plusieurs médias américains ont relevé une étrange phrase glissée par le groupe Meta dans son rapport annuel à la SEC, l'autorité des marchés financiers américain. L'entreprise de Mark Zuckerberg se présente en victime de la régulation européenne, à laquelle elle consacre d'ailleurs la majeure partie de la sous-section sur son modèle économique :
"Si un nouveau cadre transatlantique de transfert des données n'est pas adopté (...), nous serons sûrement dans l'incapacité d'offrir une partie de nos produits et services les plus significatifs, parmi lesquels Facebook et Instagram, en Europe, ce qui affectera matériellement et négativement notre activité commerciale, notre condition financière et nos résultats opérationnels."
Une menace de partir, en cas de sanction
La déclaration a des apparences de chantage : si l'Europe n'assouplit pas sa régulation, alors Meta laisse entendre qu'il coupera les deux plus gros réseaux sociaux occidentaux dans la région. Ce qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les centaines de milliers de TPE et PME européennes qui utilisent Facebook et Instagram comme principal levier de communication et de marketing pour leur activité...
Plus précisément, le géant américain s'inquiète d'une décision que l'Irish Data Protection Commission (IDPC) -le régulateur des données de l'Irlande, où se trouve le siège européen de Meta- devrait rendre dès la première moitié de 2022, et sur laquelle elle travaille depuis 2020. Cette dernière porte sur les Standard Contractual Clauses (SCC), un dispositif censé garantir que le transfert transatlantique des données respecte les dispositions du règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD. Problème : les SCC utilisées par Meta seraient insuffisantes, ce qui pourrait pousser le régulateur à bloquer le transfert de données des utilisateurs européens de Facebook et Instagram vers les serveurs américains, et à ainsi assécher une importante source de revenus.
C'est donc en réponse à cette éventuelle sanction que l'entreprise de Mark Zuckerberg suggère qu'elle pourrait débrancher ses réseaux sociaux en Europe, puisque leur fonctionnement serait dans tous cas affecté et qu'ils rapporteraient moins d'argent. Le "formulaire 10-K" dont elle est issue sert avant tout de banque d'information à destination d'investisseurs potentiels. Autrement dit, Meta s'adresse au marché, et envoie un message, par la même occasion, aux régulateurs en Europe mais aussi aux Etats-Unis, de plus en plus tentés par l'idée de réguler plus durement le secteur de la publicité. Face au tollé qu'a provoqué cette déclaration, le groupe a tenté de calmer le jeu. « Nous n'avons absolument aucun désir et aucun projet de nous retirer de l'Europe ». Mais il maintient qu'il pourrait y être forcé.
L'Europe, premier marché international de Meta
Or, une décision de fermer Facebook et Instagram en Europe paraît hautement improbable. Le contexte réglementaire mis de côté, ce serait un non-sens économique pour Meta. L'Europe compte 309 millions d'utilisateurs actifs quotidiens de Facebook, soit 16% du total mondial. Mais au-delà du volume, ces utilisateurs pèsent plus lourd économiquement que ceux des autres pays, hors Etats-Unis.
Concrètement, d'après les chiffres de Meta, un utilisateur européen rapporte en moyenne 19,68 dollars à Facebook, contre 4,89 dollars pour un utilisateur de la région Asie-Pacifique... et 60,57 dollars pour un Américain. Résultat : même si l'Europe a 2,5 fois moins d'utilisateurs que la région Asie-Pacifique, elle pèse plus lourd économiquement.
Pour ne rien arranger à la crédibilité d'une telle menace, Meta est actuellement dans une phase difficile. Vendredi dernier, le groupe a perdu 25% de sa valorisation, soit 230 milliards de dollars, lors de la publication de ses résultats financiers, suite à de la baisse (légère mais historique) du nombre d'utilisateurs de Facebook. Difficile dès lors d'imaginer que la perte de 309 millions d'utilisateurs quotidiens soit envisageable. Autrement dit, la fermeture des deux réseaux n'apparaît pas comme un levier de négociation réaliste face au régulateur.
Quelle sortie de crise ?
L'entreprise de Mark Zuckerberg n'a pas beaucoup d'échappatoire face à la situation :
- Elle peut espérer que son coup de pression soit efficace et que l'IDPC ne mène pas sa menace à exécution, ou alors qu'elle assouplisse les changements demandés, ce qui impacterait Meta de manière moins importante.
- Elle peut décider ne plus transférer les données outre Atlantique et de les gérer uniquement en Europe. Mais un tel chantier serait laborieux, coûteux et impacterait de manière certaine ses finances puisqu'il aurait un impact sur la finesse du ciblage publicitaire, donc sur ses revenus.
Le géant américain se retrouve à un moment clé de son histoire. Son investissement massif dans la métavers ne lui rapportera pas avant des années, et son modèle publicitaire se retrouve menacé sous le poids des régulations, en Europe comme au Etats-Unis. Reste à savoir s'il s'agit d'une simple mauvaise passe ou du début d'un déclin.
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