Grabuge dans le milieu des « concouristes » Facebook ! Depuis deux ans, des soupçons de triche récurrents entourent une bande de gagnants jugés trop chanceux. La situation bouleverse le quotidien des férus de jeux concours en ligne, qui passent entre trois et sept heures par jour à dénicher toute opportunité de gagner des lots, dont certains affichent une valeur dépassant le millier d'euros. Les six concouristes interrogées par La Tribune s'accordent : alors qu'avant, elles gagnaient au moins un lot par mois sur Facebook grâce à des dizaines de participations quotidiennes, elles ne sortent désormais que très rarement des tirages au sort. Et jamais pour le gros lot.
Pour participer aux jeux concours, il suffit le plus souvent d'être abonné à la page de l'entreprise organisatrice, d'aimer la publication, et de « tag » (identifier sous la publication) un certain nombre d'amis. Ensuite, l'enseigne lance un tirage au sort, à l'aide d'un logiciel spécialisé dans la majorité des cas, puis annonce le gagnant. En théorie, tous les participants partent donc avec les mêmes chances de réussite. Le problème ? Une poignée de concouristes pointés du doigt par la communauté gagnent chacun plusieurs dizaines de fois par mois, sur des concours qui dépassent pour bon nombre d'entre eux les 1.000 participants. De quoi exacerber les soupçons de triche.
Isabelle, neuf concours gagnés en deux semaines
Le début du mois de juillet a été particulièrement chanceux pour Isabelle*. Dernier gain en date : un des deux sacs à 60 euros mis en jeu par une boutique de maroquinerie en ligne. Plus de 1.000 participants s'étaient prêtés au jeu, mais c'est son nom qui est sorti pour le gros lot. Ce coup de chance serait passé inaperçu si la gagnante n'avait pas remporté dans la même journée deux autres concours qui avaient attiré plus de 300 participants pour l'un et plus de 1.000 participants pour l'autre.
En tout, Isabelle a gagné neuf concours Facebook en l'espace de deux semaines : des produits de beauté, des jouets pour enfants ou encore des paniers de nourriture. C'est peu dire que la concouriste est veinarde : d'un point de vue purement mathématique, le scénario d'une victoire aux 9 concours s'élevait à une chance sur des milliers de milliards de milliards. Plus précisément, un taux de chance de l'ordre d'un zéro suivi de 21 zéros après la virgule... A titre de comparaison, les participants à l'EuroMillions ont 1 chance sur 139.838.160 d'emporter le jackpot.
Si l'exemple d'Isabelle attire les soupçons, d'autant plus que les semaines miraculeuses s'enchaînent, elle n'est pas seule dans cette situation. Une poignée d'autres noms, cités par des sources concordantes, sortent tout aussi régulièrement en tête des jeux concours Facebook, avec plus d'une vingtaine de gains par mois ! « Avant qu'ils arrivent, je gagnais environ une fois par mois sur Facebook. Maintenant, c'est impossible », souffle Sylvie*, qui joue entre trois et quatre heures tous les soirs devant sa télévision. Contactée sur Facebook, Isabelle n'a pour l'instant pas répondu à nos questions.
Soupçons de piratage informatique
La situation est telle que certains concouristes finissent par éviter Facebook dans leur chasse aux trésors. C'est le cas de Marine*, passionnée depuis plus de dix ans : « Je suis découragée. Quand je vois leurs noms apparaître dans les participants, je sais que je n'ai aucune chance. Ils vont gagner dans tous les cas, alors je n'essaie même plus. Autant économiser son temps. ». De son côté, Justine n'a jamais vu une telle situation en vingt ans d'assiduité aux jeux concours. « Pourquoi participer quand les mêmes comptes sortent toujours gagnants ? », déplore-t-elle, avant d'ajouter, « pour moi, leur situation n'a rien à voir avec de la chance. »
Dans chaque entretien conduit par La Tribune, ce même son de cloche retentit. Les concouristes dépourvues sont persuadées que les vainqueurs étrangement réguliers truquent les résultats des tirages grâce à du « piratage » ou du « hacking ». Autrement dit, ils auraient trouvé une manipulation informatique pour faire apparaître leur nom, de façon systématique, à la sortie du chapeau. Mais à s'y pencher de plus près, la théorie perd en consistance, puisque les organisateurs de jeux concours contactés utilisent une grande variété de logiciels différents pour leurs tirages : Tirokdo, Plouf Plouf, Fanpage Karma ou encore Random Picker. Des logiciels distincts, qui répondent chacun à différentes normes de sécurité.
Autrement dit, il est improbable qu'une même personne exploite une vulnérabilité pour chacun d'entre eux. Quant à la possibilité, évoquée par les concouristes, que les supposés tricheurs manipulent Facebook, elle est rapidement balayée par un hacker professionnel contacté par La Tribune : « si un acteur malveillant découvre une vulnérabilité importante sur Facebook, il a plusieurs façons de s'enrichir qui seront autrement plus lucratives et discrètes que les jeux concours. »
Tirage « au sort » ? Pas vraiment
La recette des gains exceptionnels d'une poignée se trouverait donc ailleurs. « Les outils de tirage au sort ne sont pas vraiment aléatoires : les listes des participants peuvent très facilement être modifiées pour être arrangeantes », relève l'expert. « Bien souvent, les enseignes choisissent les gagnants », abonde Sandrine, qui partage son quotidien de concouriste sur sa chaîne YouTube Family Concours. Contactée par La Tribune pour expliquer les rouages de ce milieu particulier, la vidéaste, passionnée de jeux concours depuis son plus jeune âge, rappelle que certains tirages au sort se rapprochent plus d'un choix que d'une décision aléatoire. « Les concours sont avant tout organisés pour fidéliser la clientèle. L'objectif reste de mettre en avant la marque », rappelle-t-elle
Ainsi, certains organisateurs n'hésitent pas à « forcer le destin » s'ils estiment qu'un profil correspond à un potentiel client, qui aurait de fait un véritable intérêt pour la marque, et non une simple recherche de gain. « Je le constate avec mon profil : moi qui mets en avant du contenu lié à la cuisine, je remporte souvent les lots gourmands. Je gagne, car les marques se disent que je suis vraiment intéressée par le lot et qu'en plus, je serai susceptible de promouvoir mon gain. C'est une démarche publicitaire », suggère la vidéaste, avant de conclure, « ce n'est pas dans leur intérêt de faire gagner quelqu'un qui n'a pas d'abonnés ou de photos. » Différents community managers [les personnes responsables des réseaux sociaux d'entreprise, ndlr] contactés concèdent éviter de faire gagner les profils des concouristes quand ils parviennent à les identifier.
La recette magique des gagnants récurrents se trouverait-elle dans une manipulation de ce « tirage au choix » ? Leurs profils Facebook apparaissent comme banals, avec quelques photos publiques anodines, commentées par une poignée d'amis. Ceux observés par La Tribune ne présentent aucun faux évident, bien que les noms utilisés n'apparaissent ni sur d'autres réseaux sociaux, ni sur les Pages blanches. Mais au moins, ces comptes n'exposent aucune trace de participation à des jeux concours, et il est impossible de prime abord de deviner qu'ils appartiennent à des concouristes.
La recette de la chance exceptionnelle des gagnants en série reste donc secrète. Et en attendant de résoudre le mystère, Isabelle vient de nouveau de toucher le gros lot : une machine à café, d'une valeur de 88 euros, dans un concours à plus de 2.000 participants.
*Les noms ont été modifiés
Sujets les + commentés