Pourquoi Parag Agrawal, le nouveau patron de Twitter, est un excellent choix

Technicien aussi discret que compétent, Parag Agrawal pourrait conduire Twitter sur la voie du web 3.0, mais devra composer en chemin avec la délicate question de la modération des contenus.
Parag Agrawa, ancien directeur technique de Twitter, succède à Jack Dorsey à la tête de l'entreprise.
Parag Agrawa, ancien directeur technique de Twitter, succède à Jack Dorsey à la tête de l'entreprise. (Crédits : DR)

Twitter a un nouveau dirigeant. Au flamboyant Jack Dorsey, connu pour son régime alimentaire aussi sain que strict, sa pratique assidue de la méditation (deux heures par jour), sa passion dévorante pour les cryptomonnaies et sa barbe de pope orthodoxe, succède un ingénieur compétent et inconnu du grand public.

Né à Ajmer, dans le Rajasthan, en 1984, Prag Agrawal rejoint le club déjà bien fourni des dirigeants de la Silicon Valley d'origine indienne, qui comptait déjà Arvind Krishna (IBM), Satya Nadella (Microsoft) ou encore Sundar Pichai (Google) parmi ses membres. Il commence ses études d'informatique à l'Institut indien de technologie de Bombay et les achève à l'université de Stanford, proche de la Silicon Valley. Ensuite, diplôme en poche, il décroche un emploi chez Microsoft, puis Yahoo, avant de rejoindre les rangs de Twitter en 2011.

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Un technicien pour Twitter

Il y travaille d'abord comme ingénieur spécialisé dans l'intelligence artificielle, et prend rapidement du galon pour se hisser jusqu'au poste de CTO (directeur technique) en 2017. Poste auquel il doit gérer plusieurs crises diplomatiques, dont un bug informatique qui expose les mots de passe de 330 millions d'utilisateurs en 2018 et la révélation, l'an passé, que les algorithmes de Twitter préfèrent les visages blancs aux visages noirs.

« Mon choix s'est de longue date porté sur lui, il comprend parfaitement l'entreprise et ses besoins », affirme Jack Dorsey, commentant sa décision dans un mail rendu public sur son compte Twitter, avant d'ajouter que « Parag a été derrière chaque décision majeure ayant permis de remettre cette entreprise sur les rails. »

Innover plus, plus vite

Le fait qu'un profil technique succède à un fondateur à forte personnalité n'est pas rare dans la Silicon Valley, et s'avère souvent une formule gagnante. En atteste par exemple la façon dont Tim Cook a succédé avec succès à Steve Jobs à la tête d'Apple. Mais dans le cas de Twitter, ce choix vient aussi répondre à une faiblesse structurelle de l'entreprise : les investisseurs du réseau social se sont par le passé agacés de son manque de capacité à innover.

Une faiblesse à laquelle Parag Agrawal pourrait bien remédier. Le nouveau dirigeant est doté de solides connaissances en intelligence artificielle et a contribué à développer rapidement de nouveaux produits et fonctionnalités en tant que CTO, tout en pilotant la migration de Twitter depuis ses propres serveurs vers le cloud afin de gagner en souplesse et en vitesse de déploiement pour ces nouvelles solutions.

Car la situation de Twitter, sans être mauvaise, n'est pas idyllique. Le réseau social a vu la croissance de son nombre d'utilisateurs ralentir sur quatre des cinq derniers trimestres. D'après les prédictions de Wall Street, son nombre d'utilisateurs actifs quotidiens, dits « monétisables », qui se situe autour de 200 millions, devrait croître de 14% cette année, contre 22% pour Snapchat, qui en compte déjà plus de 300 millions.

Vers un Twitter décentralisé ?

Sous la direction de Parag Agrawal, innovation pourrait bien rimer avec décentralisation. En tant que CTO, celui-ci a supervisé le projet Bluesky, annoncé en décembre 2019. Conçue comme une « plateforme ouverte et décentralisée pour les réseaux sociaux », selon les mots de Jack Dorsey, Bluesky entend transférer le pouvoir des plateformes vers les utilisateurs, en leur permettant par exemple d'assurer eux-mêmes la modération et de coder leurs propres algorithmes.

Après des débuts timides, un coup d'accélérateur a récemment été donné : une étude sur les réseaux sociaux décentralisés est parue en début d'année, et Twitter a nommé le développeur spécialiste des crypto-monnaies Jay Graber à la tête de Bluesky en août. Avec l'accession de Parag Agrawal à la fonction suprême, il y a fort à parier pour que Bluesky constitue l'une des priorités de l'entreprise dans les mois à venir.

D'autant que la « Crypto team » lancée par Twitter en novembre est également placée directement sous ses ordres, et qu'il a dirigé les efforts pour intégrer les crypto-monnaies à la plateforme, permettant notamment aux utilisateurs de verser des dons en bitcoins. L'intérêt du nouveau dirigeant pour la blockchain, les crypto-monnaies et le web décentralisé augure donc aussi de nouveaux projets dans ce domaine de la part du réseau social, qui pourrait bien devenir un éclaireur du web 3.0.

Navigation en eaux troubles

Mais Parag Agrawal devra également faire face à une conjoncture difficile, à l'heure où la question de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux est sur toutes les lèvres outre-Atlantique. D'un côté, les démocrates accusent régulièrement les plateformes comme Twitter de ne pas suffisamment sévir contre la prolifération des contenus extrémistes et des propos haineux, voire même de favoriser leur circulation à travers leurs algorithmes.

De l'autre, les républicains leur reprochent au contraire de censurer leur famille politique, des accusations notamment motivées par le fait que les employés de Twitter, Facebook et consorts votent majoritairement à gauche. La censure par Twitter d'un article contenant des informations compromettantes sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden, la veille de l'élection présidentielle de 2020, et le bannissement définitif de Donald Trump de la plateforme suite à l'insurrection menée par ses supporters au Capitole le 6 janvier 2021 ont constitué deux couleuvres difficiles à avaler par les conservateurs américains.

Là où Jack Dorsey s'était efforcé de trouver un difficile équilibre susceptible de satisfaire les deux partis, le changement de dirigeant pourrait-il faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre ? Difficile à prédire. D'une part, dans une interview accordée l'an passé à la MIT Technology Review, Parag Agrawal affirmait que le rôle de Twitter était de proposer un espace en ligne accueillant pour tout le monde, ce qui pourrait selon lui se faire au prix de la liberté d'expression. De l'autre, son attachement à la décentralisation pourrait inaugurer un Twitter qui se laverait les mains de la modération et laisserait celle-ci aux utilisateurs.

Le passage de Frances Haugen devant le Congrès mercredi 1er décembre, durant lequel la lanceuse d'alerte a demandé la réforme de l'article  230, tandis qu'élus démocrates et républicains ferraillaient autour de la censure et de la liberté d'expression, a en tout cas donné au nouveau CEO une idée du défi qui l'attend.

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