Twitter : après le départ du fondateur Jack Dorsey, quel avenir pour le réseau social ?

Twitter a annoncé lundi le départ, avec effet immédiat, de son directeur général et cofondateur Jack Dorsey. L'emblématique CEO a confirmé l'information et tressé les louanges de son successeur, l'actuel responsable technique du groupe, Parag Agrawal. Si Dorsey avait réussi à trouver les clés de la rentabilité pré-Covid, son successeur devra renouer avec les bénéfices de manière pérenne.
Sylvain Rolland
Jack Dorsey, cofondateur et directeur général emblématique de Twitter, quitte l'oiseau bleu.
Jack Dorsey, cofondateur et directeur général emblématique de Twitter, quitte l'oiseau bleu. (Crédits : Reuters/Chris Wattie)

Cette fois, il quitte le nid de son propre chef. Après avoir été mis à l'écart de la direction générale de Twitter en 2008 puis rappelé à la rescousse en 2015, Jack Dorsey, cofondateur et emblématique directeur général du réseau social symbolisé par un oiseau bleu, s'envole pour de bon. « J'ai décidé de quitter Twitter parce que je pense que la société est prête à couper le cordon avec ses fondateurs », a expliqué l'entrepreneur dans un tweet aux allures de communiqué officiel. Les rumeurs bruissaient depuis le début de la journée, forçant l'entreprise à interrompre sa cotation à Wall Street le temps d'officialiser la décision. Pour marquer la rupture, Jack Dorsey prévoit de quitter aussi le conseil d'administration mi-2022, et ne briguera pas un nouveau mandat lors de l'assemblée générale du groupe. « Je pense qu'il est primordial qu'une entreprise puisse se suffire à elle-même, libre de l'influence et de la direction de ses fondateurs », justifie-t-il.

Jack Dorsey adoube la nouvelle direction

Twitter a immédiatement annoncé le nom du nouveau directeur général : il s'agit de Parag Agrawal, qui était jusqu'alors CTO (chief technology officer), c'est-à-dire responsable technique du groupe. Chez Twitter depuis plus de dix ans, Parag Agrawal est un spécialiste de l'ingénierie informatique. Il a joué un rôle majeur dans l'accélération de l'intelligence artificielle au sein du groupe, perçu comme un relais de croissance majeur pour mieux monétiser les 211 millions d'utilisateurs quotidiens "monétisables", c'est-à-dire qui sont exposés aux publicités sur la plateforme.

Dans son texte, Jack Dorsey se montre dithyrambique sur son successeur. « Parag a été mon choix depuis longtemps car il comprend profondément l'entreprise et ses besoins. Il a été derrière chaque décision critique qui a fait pivoter l'entreprise. Il est curieux, probant, rationnel, créatif, exigeant, conscient de soi et humble », écrit-il. Le cofondateur de Twitter se dit aussi « très heureux » du choix de Brett Taylor en tant que directeur du conseil d'administration.

La fin d'une ère pour Twitter, Dorsey reste CEO de Square

Avec son allure reconnaissable entre mille, crâne rasé, longue barbe et style vestimentaire atypique, Jack Dorsey incarne à lui seul Twitter depuis des années. Après avoir cofondé l'entreprise fin 2006, il effectue un premier passage comme directeur général entre 2007 et 2008. Mais sa personnalité fantasque -il se consacrait pendant des heures à des cours de yoga, de dessin et de stylisme- et l'impatience des investisseurs, agacés par de trop maigres retours sur investissement, lui coûtent sa place du jour au lendemain. Evincé brutalement par le conseil d'administration, il en devient alors le nouveau président jusqu'en 2015, tout en continuant d'incarner le réseau social dans les médias.

Pendant ce temps, il cofonde et dirige Square en 2009, une fintech spécialisée dans le paiement mobile dont il est toujours à la tête. Depuis son retour en 2015, Dorsey était fortement critiqué pour ne pas avoir voulu lâcher les rênes de Square. Mais force est de constater que cette deuxième aventure est le vrai de succès de Dorsey : Square, dont il détient 13% du capital, est aujourd'hui valorisée près de 100 milliards de dollars, contre 39 milliards pour Twitter, dont Dorsey détient 2%.

Si Jack Dorsey va donc enfin pouvoir se concentrer entièrement à Square, l'entrepreneur n'en a pas vraiment besoin, puisqu'il est milliardaire depuis 2013 et l'introduction en Bourse de Twitter. Il double même la mise deux ans plus tard lors de l'introduction en Bourse réussie de sa deuxième pépite, Square, à Wall Street. L'entrepreneur est aujourd'hui à la tête d'une fortune estimée à 11,8 milliards de dollars par le site du magazine Forbes.

Twitter, un média majeur mais difficile à monétiser

En 2008, Jack Dorsey avait été évincé à cause de son incapacité à monétiser Twitter. En 2015, il a été rappelé en catastrophe par le conseil d'administration alors que Twitter était en panne de croissance, parce que son successeur à l'époque, Dick Costolo, n'avait pas réussi non plus. Et en 2021, si Twitter a indéniablement progressé dans ce domaine sous la direction de Dorsey au point d'enchaîner plus de deux années de rentabilité pré-Covid, force est de constater que Twitter peine à trouver la pérennité financière.

Le paradoxe de Twitter est le suivant : c'est un média majeur, d'une influence inédite, utilisé par tous les puissants -chefs d'Etat, PDG d'entreprises, journalistes... mais il n'est pas un succès économique. Twitter a révolutionné la communication politique au point de s'infiltrer dans la géopolitique sous Donald Trump, qui a exacerbé les tensions avec la Chine via ses publications enflammées sur le réseau social. Mais son nombre d'utilisateurs plafonne depuis des années, ce qui l'empêche de mener une stratégie d'hyper-croissance comme le fait l'empire Facebook.

Ainsi, avec Jack Dorsey à sa tête depuis 2015, Twitter a repensé sa stratégie autour des utilisateurs "monétisables", c'est-à-dire soumis aux publicités, au cœur de son modèle économique. Aujourd'hui, l'entreprise en compte 211 millions, très loin de 2,8 milliards d'utilisateurs actifs de Facebook. Autrement dit, il ne dispose pas -et de loin- d'un empire des données comparable à celui de son confrère Mark Zuckerberg.

Jack Dorsey s'est donc attaché à monétiser le trafic de la plateforme, point faible de l'entreprise jusque-là. En changeant l'algorithme pour thématiser davantage les contenus visibles selon les centres d'intérêts des utilisateurs, en ajoutant de nouvelles fonctionnalités comme la fin de la limite des 140 caractères ou en améliorant nettement la modération -même si de gros progrès restent à faire-, Dorsey a rendu le ciblage publicitaire plus facile pour les annonceurs.

Jusqu'à trouver enfin le point d'équilibre, au dernier trimestre de 2017. En 2018 et en 2019, Twitter a enchaîné ses deux premiers exercices dans le vert, avant de replonger dans le rouge en 2020 à cause de la crise du Covid. 2021 a montré, pour l'instant, un fort rebond.

Abonnements payants et intelligence artificielle, le futur de Twitter ?

« Les gens ont tendance à associer Jack Dorsey avec la censure sur Twitter, mais je pense qu'il a fait ce qu'il a pu, ces dernières années, pour que la plateforme reste relativement ouverte », a commenté, sur Twitter, Mike Solana, à la tête de la société de capital investissement Founders Fund. « Sans lui, les choses vont empirer, pas s'améliorer », pronostique-t-il, un peu à rebours de la Bourse qui a réagi favorablement au départ de l'emblématique cofondateur.

Récemment, pour améliorer sa rentabilité, Twitter a lancé une série d'initiatives qui ont fait polémique chez les puristes, notamment la possibilité d'abonnements payants à certains comptes très suivis. En juin, le réseau avait aussi démarré une version payante de Twitter au Canada et en Australie assorties de fonctionnalités supplémentaires pour les utilisateurs qui y souscrivent.

Ces derniers trimestres, Jack Dorsey avait insisté sur la nécessité de personnaliser, avec l'aide de l'intelligence artificielle,  l'utilisation que fait chaque abonné du service, notamment en créant de nouveaux fils propres à des sujets spécifiques.

« Nous sommes en route pour quitter 2021 en étant une société plus ciblée, avec des priorités plus claires », avait déclaré Jack Dorsey lors de la dernière conférence de présentation des résultats, fin octobre. Désormais, à Parag Agrawal de ne pas le faire mentir.

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 30/11/2021 à 15:31
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Après avoir viré Trump de Twitter, Jack Dorsey donne une nouvelle leçon de management. Chapeau l’artiste !

le 01/12/2021 à 11:33
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Jack Dorsey a surtout été viré par le fond vautour Elliott dirigé par Paul Singer car comme tout bon socialiste il cumulait les mandats chez Twitter et Square. Par ailleurs, l'éviction politique de Donald Trump a privé Twitter d'une audience no...

à écrit le 30/11/2021 à 8:49
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Réseau social qui s'il n'avait pas bêtement misé sur l'extrême droite pendant dix années aurait pu aller bien plus loin bien plus vite mais bon c'est quand même intéressant car twitter touche l'oligarchie et ses satellites générant ainsi une forme de...

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