Procédure contre Google : le début de la fin pour le modèle "gratuit" du Net basé sur la publicité ?

Le ministère de la Justice américain a lancé une procédure historique contre Google, accusé d'abus de position dominante sur la recherche en ligne. En attaquant son modèle économique, la publicité ciblée permise par l'exploitation des données personnelles des internautes, l'Etat américain ouvre la voix à une remise en cause du modèle "gratuit" de certains géants du Net. Jusqu'à mieux encadrer l'exploitation des données à des fins publicitaires ?
Sylvain Rolland
(Crédits : ARND WIEGMANN)

Après le rapport accablant du Congrès américain contre les Gafa, le ministère de la Justice (DoJ) a ouvert mardi une procédure historique contre Google, accusé d'abus de position dominante. La dernière fois que l'Etat américain a lancé une initiative de cette ampleur, c'était en 1998, contre Microsoft. Si la procédure s'annonce longue -celle contre Microsoft avait duré quatre ans et avait échoué à aboutir sur un démantèlement-, elle pourrait avoir des conséquences majeures sur tout le business de la publicité en ligne, le cœur de la machine Google -et aussi celui de Facebook.

Lire aussi : "Pour réguler les Gafa, il faut attaquer leur modèle économique" (Joëlle Toledano, économiste)

Ce que l'Etat américain reproche à Google

Concrètement, Google est accusé d'employer des méthodes illégales pour étouffer la concurrence dans la recherche en ligne. Notamment d'imposer aux fabricants des téléphones fonctionnant sous Android, son système d'exploitation qui équipe environ 80% des smartphones dans le monde, d'installer par défaut le moteur de recherche de Google dans leurs appareils. Au détriment, donc, d'une concurrence réduite à peau de chagrin. Et cette concurrence ne peut pas se consoler avec Apple, dont les iPhones équipent le reste du marché des smartphones. Car Google a aussi signé un accord avec la firme à la Pomme pour être le moteur de recherche par défaut des iPhones.

Résultat : Google écrase le marché de la recherche en ligne. D'après les données du DoJ, 88% des recherches en ligne aux Etats-Unis passent par Google, et ce chiffre grimpe à 94% sur mobile. Et cette domination est encore plus forte en France. Google a qualifié ces poursuites de "douteuses". "Les gens utilisent Google par choix et non parce qu'ils y sont forcés ou ne trouvent pas d'alternatives", s'est défendu Kent Walker, un vice-président du groupe de Mountain View (Californie), dans un communiqué mardi.

Lire aussi : Démantèlement, limitation des acquisitions... : les solutions radicales -mais impossibles ?- du Congrès américain contre les Gafa

L'économie de l'attention, le vrai problème auquel s'attaque cette procédure

Google est la filiale principale -et principale source de revenus- d'Alphabet, qui vaut plus de mille milliards de dollars en Bourse. L'entreprise a généré la somme astronomique de 161 milliards de dollars (136 milliards d'euros) de chiffre d'affaires en 2019, qui provient à 84% de la publicité numérique. Celle-ci est proposée à l'utilisateur grâce à l'exploitation de ses données personnelles, issues de ses recherches en ligne sur le moteur de recherche, mais aussi sur d'autres services de Google, notamment les vidéos sur YouTube ou encore Google Maps.

Tous ces services sont "gratuits" pour l'utilisateur. Mais cette gratuité est une illusion puisque Google exploite les données personnelles, qui paient, in fine, les coûts du service et génèrent des marges confortables (bénéfice net de 34 milliards de dollars en 2019). C'est la fameuse "économie de l'attention" : plus l'utilisateur passe du temps sur une plateforme, plus celles-ci disposent de données personnelles qui lui permettent de lui proposer une publicité toujours plus ciblée en fonction de ses centres d'intérêts. Autrement dit, Google a besoin que son moteur de recherche soit un réflexe pour les internautes, car la recherche en ligne est une porte d'entrée sur le web. De la même manière, Facebook fait en sorte, à travers le "scroll" de l'écran et la sélection algorithmique des contenus, que l'utilisateur interagisse le plus possible sur sa plateforme. Le but est le même : utiliser la gratuité du service pour récolter des données valorisées par la publicité.

Ce cercle vicieux de l'économie de l'attention pousse les plateformes à la fois à protéger au maximum leurs positions, donc à être très agressives à l'égard de la concurrence, et aussi à étendre sans cesse leurs activités pour devenir encore plus indispensables et récolter toujours plus de données personnelles.

Lire aussi : Comment Google, Apple, Facebook et Amazon se sont défendus face au Congrès américain

Réguler plus strictement la publicité pour faire émerger la concurrence ?

Le ministère de la Justice va devoir prouver que Google a enfreint les lois de la concurrence. Or pour gagner devant les tribunaux, les autorités doivent montrer que le groupe californien a nui aux consommateurs, alors que ces outils sont gratuits. Un défi.

"Dans le passé, les agences en charge de l'antitrust ont été réticentes à avancer sans preuve sur les conséquences pour les prix", a souligné Avery Gardiner, ancienne avocate du ministère de la Justice chargée des ententes et de l'antitrust, et membre du Center for Democraty & Technology, à l'AFP.

Mais l'argumentation du ministère semble fondée sur "les atteintes à la vie privée, la protection des informations personnelles et le recours aux données des consommateurs", constate Maurice Stucke, un professeur de droit de l'université du Tennessee spécialisé dans le droit de la concurrence. Les poursuites devraient examiner plus largement les conséquences des pratiques de Google pour tout le secteur.

Autrement dit, elle pourrait aboutir à un début de remise en question du modèle publicitaire cher à Google et Facebook, en encadrant les pratiques autour de l'exploitation des données personnelles à des fins commerciales. La plainte déposée à Washington appelle effectivement à des changements "structurels". Le précédent Microsoft, où le régulateur a échoué à démanteler l'entreprise mais a réussi à ouvrir l'industrie des technologies à davantage d'acteurs, pourrait être une inspiration pour la procédure actuelle.  Mais les poursuites lancées par le ministère, associé à 11 procureurs généraux d'Etats américains républicains, pourraient s'étaler sur plusieurs années, dans un contexte de colère et défiance des autorités vis-à-vis du pouvoir accumulé par les sociétés de la Silicon Valley.

Lire aussi : Cookies : la Cnil serre (un peu) la vis pour donner un vrai choix aux internautes

Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 22/10/2020 à 19:14
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enfin ça bouge....depuis les lois anti-trusts du début 20 ème siècle qui avaient casser les oligopoles constitués (standard oil etc...) les américains se réveillent...et vont arrêter leur conglomérats-enfin on rêve lol quand au commentaire de Citoy...

à écrit le 22/10/2020 à 15:33
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J'utilise Qwant pour chercher, y a duckduckgo, et d'autres. Mais un truc inégalé c'est la "Google car", une idée qu'il fallait le faire (ça doit coûter pas mal de sillonner les routes/rues (en Allemagne, quasi rien, elle s'arrête à la frontière, lois...

à écrit le 22/10/2020 à 14:37
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L'efficacité, l'intelligence et la compétence des GAFAM ne peuvent que faire des jaloux et envieux au sein de notre si vieille oligarchie qui ne pense plus qu'au dumping fiscal et social, qui ne pense plus même tout simplement, qui a abandonné toute ...

le 22/10/2020 à 19:11
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réponse d' un faux-nez brexiter-FREXITER Asselineau lol! DONC AUCUNE CREDIBILITE

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