Démantèlement, limitation des acquisitions... : les solutions radicales -mais impossibles ? - du Congrès américain contre les Gafa

La Chambre des représentants, à majorité démocrate, a rendu un rapport explosif et d'une ambition inédite pour réguler les quatre Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon). Avec des solutions parfois radicales pour restaurer la concurrence, comme le démantèlement de Facebook et de Google, l'interdiction d'opérer dans des secteurs adjacents à leur cœur de métier pour Apple et Amazon, ou encore la limitation des rachats. Problème : même en cas de vague démocrate aux élections de novembre, les chances que la plupart de ces mesures recueillent un soutien majoritaire sont faibles.
Sylvain Rolland
Le plus grand coup de tonnerre provoqué par le rapport est qu'il évoque la nécessité d'un démantèlement pour certains des Gafa, notamment Facebook et Google.
Le plus grand coup de tonnerre provoqué par le rapport est qu'il évoque la nécessité d'un démantèlement pour certains des Gafa, notamment Facebook et Google. (Crédits : DR)

Le Congrès américain sort l'artillerie lourde contre les Gafa. Deux mois après avoir sérieusement cuisiné, lors d'une audition historique, les quatre "empereurs de l'économie numérique" -Sundai Pichai (patron de Google),Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et Jeff Bezos (Amazon)-, les élus en charge de cette grande enquête de 16 mois contre les Gafa ont rendu leur verdict mardi 6 octobre. Et leur rapport de 449 pages, mené par treize députés, fruit de sept auditions et de 1,3 million de documents récoltés, fait office de dynamite.

Lire aussi : Comment Google, Apple, Facebook et Amazon se sont défendus face au Congrès américain

Constat accablant d'abus de toutes sortes

L'enquête du sous-comité antitrust de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, la chambre basse du Congrès à majorité démocrate -contrairement au Sénat- consacre de nombreuses pages à expliquer, entreprise par entreprise et secteur par secteur, en quoi les Gafa abusent de leurs positions et étouffent la concurrence.

"Ces géants, qui étaient autrefois des petites start-up, ont remis en question le statu quo et sont devenus le genre de monopoles que nous n'avions pas vus depuis l'ère des barons du pétrole et des magnats des chemins de fer", insistent-ils. Et de poursuivre : "Ces firmes ont trop de pouvoir, et ce pouvoir doit être contenu et faire l'objet d'une surveillance et d'une application adéquate des lois. Notre économie et notre démocratie en dépendent".

Dans le détail, le rapport estime que Google et Facebook sont en situation de monopole sur certains de leurs marchés (réseaux sociaux pour Facebook, recherche en ligne pour Google), tandis que Apple et Amazon sont considérés comme ayant un impact "significatif et durable" sur leur cœur de métier, le hardware informatique pour Apple et le e-commerce pour Amazon.

Lire aussi : "Pour réguler les Gafa, il faut attaquer leur modèle économique" (Joëlle Toledano, économiste)

Le démantèlement mis sur la table, mais peu probable même en cas de victoire démocrate en novembre

Le plus grand coup de tonnerre provoqué par le rapport est qu'il évoque la nécessité d'un démantèlement pour certains des Gafa, notamment Facebook et Google. Facebook devrait revendre des applications de son écosystème comme Instagram, Google se séparer de YouTube. Pour certains élus américains, c'est la seule façon d'empêcher les abus de position dominante dont ils accusent les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Dans le cas de Facebook, les parlementaires estiment que la concurrence de Facebook existe uniquement à l'intérieur de son propre écosystème, c'est-à-dire les applications sociales WhatsApp, Messenger et Instagram, acquises ces dernières années par le géant, qui fédèrent chacune entre 1 et 2 milliards d'utilisateurs actifs par mois dans le monde, contre 2,7 milliards pour Facebook. Pourtant, la concurrence existe de fait avec Twitter, Snapchat, Tik Tok ou encore Pinterest... Mais leur nombre d'utilisateurs (environ 200 millions pour Twitter et Snapchat, plus de 300 millions pour Pinterest et environ 800 millions pour Tik Tok, mais surtout en Asie pour cette dernière) est jugé trop faible pour constituer une menace sérieuse pour l'empire de Mark Zuckerberg.

Globalement, les élus qui ont rédigé ce rapport appellent à des "séparations structurelles pour empêcher ces plateformes d'opérer dans des secteurs d'activité qui dépendent ou interagissent avec elle". Ils veulent notamment mettre fin aux situations où une entreprise est à la fois juge et partie, comme Apple sur l'App Store, son magasin d'applications mobiles, Google sur le Google Play Store, ou Amazon sur sa plateforme de vente en ligne.

Mais si l'idée d'un démantèlement revient régulièrement dans le débat public depuis quelques années, cette option reste hautement improbable. Si Donald Trump reste président et conserve le Sénat -qui sera renouvelé au tiers en novembre-, il n'y aura pas de majorité pour examiner et encore moins adopter des options de régulation jugées "partisanes et radicales" par l'élu républicain Jim Jordan, au diapason de son parti. Et même en cas de raz-de-marée démocrate en novembre, le démantèlement ne fait pas consensus de l'autre côté de l'échiquier politique. Il y a également fort à parier que la realpolitik n'en mêle, comme l'expliquait dans nos colonnes l'économiste Joëlle Toledano. "Quel que soit le résultat des élections, je ne crois pas une seconde, pour des raisons de souveraineté économique et de géopolitique, que l'Etat américain soit prêt à démanteler les Gafa, si tant est que cette solution soit même faisable en dehors de Facebook", avance-t-elle.

Restrictions sur les acquisitions, interdiction de profiter de ses positions pour s'élargir à d'autres secteurs

Au-delà du démantèlement, les élus qui ont écrit le rapport veulent mettre fin aux situations où une entreprise est à la fois juge et partie, comme Apple sur l'App Store, son magasin d'applications mobiles, Google sur le Google Play Store, ou Amazon sur sa plateforme de vente en ligne.

Le rapport souhaite également renverser la philosophie du régulateur vis-à-vis des acquisitions, en instaurant une "norme" pour interdire celles qui nuisent à la concurrence. L'objectif est éviter qu'un Gafa puisse mettre la main sur une entreprise qui lui pourrait lui permettre de se façonner un monopole ou quasi-monopole, comme Facebook a réussi à le faire en achetant WhatsApp et Instagram au début des années 2010. Pour cela, les parlementaires recommandent une "présomption de refus" pour les rachats de startups, soit exactement le contraire de ce qui se pratique aujourd'hui.

Autre recommandation forte : la nécessité de l'interopérabilité avec les équipements des concurrents, c'est-à-dire forcer les plateformes à rendre possible et facile le passage dans des écosystèmes différents. Une disposition complétée par l'interdiction d'afficher une préférence pour ses propres produits -ce qui vise particulièrement Google avec son moteur de recherche, Amazon sur son site, et même Apple qui est accusée de refuser de son magasin applicatif des applications concurrentes.

Que restera-t-il de cet acte de bravoure ?

La virulence de ce rapport -une première aux Etats-Unis- s'inscrit dans un contexte où Républicains et Démocrates ne tarissent pas leurs critiques à l'encontre les géants du Net américains, et affichent une volonté de mieux les réguler pour contraindre leur puissance et favoriser la concurrence. Ce rapport a également le mérite de pointer du doigt, de manière extrêmement documentée, les failles de la régulation actuelle, inadaptée à la puissance des Gafa et aux mécanismes de marché de l'économe numérique.

En revanche, les solutions proposées n'ont aucune chance d'être adoptées avant l'élection présidentielle de novembre. Les résultats des élections pourraient changer la donne : en cas de victoire des Démocrates, des mesures comme l'interopérabilité ou une réforme de la régulation concernant les acquisitions de startups, pourraient revenir sur le devant de la scène politique.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 08/10/2020 à 4:33
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Les monopoles ont tres souvent fait de l'ombre aux etat unis. Les contre pouvoirs feront le necessaire et les complotistes en seront pour leurs frais. La France des droits de l'homme ferait bien de reviser sa constitution qui date de l'An 2 et de ...

à écrit le 07/10/2020 à 18:19
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L'article est pessimiste... dommage ! En tout cas, c'est pas en France qu'on aurait pensé à ça.

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