Quand Google abuse de l'Europe !

Le classement contesté des résultats du moteur de recherche est devenu un enjeu économique primordial. Quinze sociétés ont porté plainte contre Google.
Google abuse-t-elle de position dominante en Europe ?

PRECISION : Cet article fait l'objet d'une mise au point de la Free Software Foundation Europe (FSFE) à lire à la fin du texte.

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Cinq ans déjà ! C'est le 23 février 2010 que Google a fait savoir pour la première fois que la Commission européenne examinait les plaintes de trois sociétés à son encontre : le site Web britannique comparateur de prix Foundem, le moteur de recherches juridiques français Ejustice, et le site américain également de comparatifs de prix Ciao - ce dernier étant depuis 2008 propriété du groupe Microsoft, lequel opère le moteur de recherche alternatif Bing.

C'est justement en 2008 que Microsoft a cofondé le groupe de pression Icomp (Initiative pour un marché concurrentiel équilibré), dont est aussi membre Foundem. L'éditeur de Windows avait initialement porté plainte contre Google devant l'autorité de la concurrence allemande, avant que l'affaire ne soit transférée à l'exécutif européen. Depuis novembre 2010, ce dernier enquête et soupçonne Google d'abus de position dominante sur le marché de la recherche en ligne.

La firme américaine de Mountain View contrôle en Europe 94% du marché de la recherche sur le Web (plus de 91% dans le monde) et même 98% sur les smartphones ! Tous les plaignants dénoncent le fait que l'algorithme de recherche de Google rétrograde leurs sites Web dans les résultats du moteur, parce qu'ils lui font concurrence.

DES ALGORITHMES SUSPECTS DE FAVORITISME PROGRAMMÉ

En fin d'année 2010, Microsoft a aussi rejoint une autre coalition, FairSearch, qui a été constituée par les sites Web de voyage en ligne Expedia (Expedia.com, Hotwire, Tripadvisor), Farelogix, Kayak (SideStep) et Sabre (Travelocity). Il s'agissait alors de s'opposer au rachat de ITA Software par Google pour 700 millions de dollars. Cette société américaine, créée en 1996, est spécialisée dans les données aériennes (horaires des vols, disponibilités et prix) qu'utilisent justement les sites Web de voyages TripAdvisor, Kayak, Orbitz ou encore... Bing de Microsoft. FairSearch dépose plainte en avril 2010 devant Bruxelles contre Google.

Ce quasi-monopole de la firme de Mountain View s'appuie sur un algorithme exclusif qui organise et hiérarchise - d'une manière opaque - les résultats susceptibles d'être pertinents par rapport à la requête de l'internaute.

« Ce manque de transparence signifie également que les algorithmes peuvent être programmés pour exclure, sanctionner ou promouvoir des sites spécifiques ou des catégories entières de sites », s'insurge FairSearch qui regroupe aujourd'hui une quinzaine d'entreprises remontées contre Google - parmi lesquelles l'on retrouve, outre ses fondateurs et Microsoft, Nokia, Oracle, Twenga, Allegro, Hotwire, The Find ou encore AdMarketPlace.

La firme de Mountain View, qui a le pouvoir d'évincer ses concurrents en reléguant leurs sites Web vers le bas des résultats de recherches, a lancé ses propres services verticaux dans le voyage, le commerce, la cartographie, la finance, le local ou encore la vidéo. Le géant du Net rivalise ainsi avec éditeurs indépendants de sites Web ou applications spécialisées.

« Google utilise sa prédominance dans la recherche pour promouvoir ses propres services plutôt que ceux de ses concurrents, en affichant son propre contenu en haut ou au milieu de la page des résultats de recherche. Et ce, sans avertir les consommateurs que les résultats y sont placés artificiellement par ses soins », dénoncent les plaignants auprès de Bruxelles.

Google avantagerait ses propres services, par exemple Hotel Finder contre Easyvoyage, Google Maps contre Mappy ou encore YouTube contre Dailymotion. Parallèlement, en septembre 2012, deux poids lourds ont rejoint Microsoft dans FairSearch : Oracle et Nokia. La coalition porte alors à nouveau plainte à Bruxelles pour accuser Google de concurrence déloyale avec cette fois l'écosystème Android proposé gratuitement aux fabricants de smartphones, ce qui constitue à leurs yeux une pratique illégale de « prédation tarifaire » - avec en plus détournement de trafic. Le géant du Net se défendra sur le terrain du logiciel libre, à travers la Free Software Foundation Europe (FSFE) (lire à à la fin de l'article la mise au point de la FSFE).

UNE COMPÉTITION LOYALE À GARANTIR

Plus de quatre ans après, l'enquête au long cours contre Google entre dans sa dernière ligne droite. C'est la Danoise Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, en fonction depuis le 1er novembre dernier, qui a hérité de ce méga-dossier jusqu'alors instruit par son prédécesseur Joaquín Almunia. La multinationale du Web risque gros dans cette affaire : jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires mondial, soit 6 milliards de dollars d'amende ! C'est pour éviter cette sanction pécuniaire que Google a présenté à trois reprises des concessions à la Commission européenne, laquelle semblait prête à l'automne dernier d'accepter celles d'il y a un an.

Mais c'était sans compter sur de nouvelles plaintes déposées en mai 2014 par 400 entreprises françaises et allemandes, qui - regroupées dans l'organisation Open Internet Project (OPI) créée à l'initiative notamment de Lagardère (éditeur du comparateur de prix LeGuide.com), CCM Benchmark ou encore Axel Springer accusent eux aussi Google d'atteinte à la neutralité des résultats de recherche.

« Le secteur numérique européen demande aux gouvernements européens de garantir une compétition loyale face au monopole de Google, en séparant son moteur de recherche d'une part et ses services d'autre part », a déclaré l'OIP. Cette idée de « dégroupage » a été reprise en novembre dernier par le Parlement européen dans une résolution non contraignante. En effet, les eurodéputés ont demandé à la Commission européenne « d'envisager de [...] séparer les moteurs de recherche des autres services commerciaux ».

Les anti-Google, de plus en plus nombreux, avaient jusqu'au 9 janvier dernier pour envoyer leurs arguments - chiffres de pertes de trafic à l'appui - à Margrethe Vestager. Reste à savoir si elle rendra son verdict avant la présentation, prévue en mai 2015, de la stratégie numérique « équilibrée » concoctée par ses collègues Andrus Ansip et Günther Oettinger, chargés respectivement du Marché unique numérique, et de l'Économie et la Société numériques.

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Mise au point de la Free Software Foundation Europe (FSFE) portant sur la phrase suivante :

«Le géant du Net se défendra sur le terrain du logiciel libre, à travers la Free Software Foundation Europe (FSFE).»


Cette phrase donne l'impression au lecteur qu'il y aurait une coordination officielle entre Google et la FSFE sur cette action. Or, il n'en est rien, la FSFE ayant agi en totale indépendance de Google dans cette affaire.
En effet, la FSFE agit ici en tant que défenseur du logiciel libre en général et non pas de Google en particulier. La FSFE a toujours défendu le fait que l'utilisation et la distribution de manière gratuite de logiciels libres ne constitue pas une atteinte à la libre concurrence. Il s'agit ici de deux modèles économiques qui s'affrontent, l'un basé sur la gratuité du système d'exploitation, l'autre sur la vente de licences logicielles.

La FSFE défend ici le droit de toute personne ou entreprise à utiliser des logiciels libres dans leurs produits. Sources d'innovation, les logiciels libres permettent aussi une meilleure concurrence car ils peuvent étre étudiés, utilisés, partagés et améliorés par tous sans aucune restriction commerciale. (Voir notre lettre à la Commission européenne : https://fsfe.org/activities/policy/eu/20130729.EC.Fairsearch.letter.html)

Nous vous rappelons par ailleurs que la Free Software Foundation Europe est une association à but non lucratifœuvrant à la promotion des logiciels libres [1] et dont le financement est principalement constitué de dons [2]. De nombreuses entreprises nous soutiennent par ce biais (dont Google) mais cela ne leur donne aucune influence sur nos actions et campagnes : la FSFE ne défend les intérêts d'aucune entreprise en particulier et continue d'agir en toute indépendance.

[1]: https://fsfe.org/about/ [2]: https://fsfe.org/donate/thankgnus.html

Notre campagne Free Your Android [3] est une preuve de cette indépendance puisque nous encourageons en effet toute personne possédant un appareil sous Android à se « libérer »  de Google, dans un but de protection de la vie privée contre Google mais aussi Amazon, Apple ou Microsoft.
[3]: https://freeYourAndroid.org/

Nicolas JEAN & Marius JAMMES

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Commentaires 3
à écrit le 26/03/2015 à 9:49
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Bonjour, Juste une précision, la FSFE est une association indépendante de promotion du logiciel libre. La phrase la concernant dans l'article est alambiquée et laisse croire que l'association est impliquée d'une manière ou d'une autre dans la défe...

à écrit le 25/03/2015 à 16:31
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l'europe balkanise le marché, a créé de toutes pièces 159 opérateurs européens quand il en reste 4 aux US, interdit des rachats par peur de non concurrence, pire notre régulateur franchouillard limite de façon arbitraire la couverture numérique par l...

à écrit le 25/03/2015 à 8:45
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Il faudrait surtout que les multinationales européennes et les fonds d'investissement publics européens se mettent d'accord pour faire émerger un Google , un amazon, un apple, un Microsoft... À raisonner en marché 'national et non mondial, on a pas ...

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