« L'accès aux compétences est le plafond de verre des entreprises du numérique en France » (Véronique Torner, présidente de Numeum)

ENTRETIEN. Entrepreneure, membre du comex du groupe Smile et engagée au sein de l'écosystème numérique français depuis plus d'une décennie, Véronique Torner succède à Godefroy de Bentzmann à la tête de l'organisation professionnelle Numeum, qui fédère 2.500 entreprises dont 90% de TPE et PME. La première femme à occuper ce poste détaille à La Tribune sa feuille de route et ses ambitions pour le secteur du numérique français.
Sylvain Rolland
Véronique Torner, la nouvelle présidente de l'organisation professionnelle Numeum.
Véronique Torner, la nouvelle présidente de l'organisation professionnelle Numeum. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous succédez à Godefroy de Bentzmann en tant que nouvelle présidente de Numeum pour trois ans. Quelle sont les objectifs de votre mandat ?

VÉRONIQUE TORNER - J'ai déposé ma candidature pour continuer à porter haut et fort le sujet du numérique responsable, qui me tient particulièrement à cœur puisque j'étais auparavant vice-présidente de cette thématique au sein de Numeum. L'écosystème numérique doit avoir une boussole, qui est d'avoir un impact positif sur le plan économique mais aussi social, sociétal et environnemental, à l'échelle locale, nationale et européenne.

Je porte également deux autres priorités : les compétences et les territoires. L'accès aux compétences est notre plafond de verre en France. Les entreprises sont limitées car elles n'arrivent pas à recruter assez de profils qualifiés, notamment des femmes mais pas seulement. Elles ont besoin que le pays propose un dispositif de formation initiale cohérent avec les besoins du marché, et d'inclure des nouveaux talents par la formation continue et la reconversion. Cette thématique est importante car Numeum est également un syndicat patronal et il reste un gros travail à effectuer, malgré la prise de conscience récente, pour rendre le milieu du numérique plus attractif et répondre aux besoins des entreprises.

Enfin, mon troisième grand enjeu est la présence de Numeum dans les territoires. 90% de nos 2.500 adhérents sont des PME, et la moitié sont situés hors de l'Ile-de-France. Depuis plusieurs années, nous développons 12 délégations régionales, qui animent leurs bassins économiques, car nous pensons que l'avenir de notre secteur est d'être au plus près des pouvoirs publics locaux et régionaux pour faciliter la transformation numérique de l'ensemble des secteurs de l'économie partout en France. Nous voulons aussi pleinement intégrer le numérique dans la réindustrialisation qui s'opère actuellement. J'inclus également la dimension européenne dans les territoires, car il faut raisonner à l'échelle européenne pour servir correctement l'intérêt de nos entreprises.

Qui sont les membres de Numeum et comment votre organisation se distingue-t-elle des autres ?

Numeum a l'ambition de rester la plus grande organisation professionnelle du secteur, et d'être un interlocuteur de référence pour les pouvoirs publics au niveau local, national et européen. L'organisation actuelle est le fruit d'un travail de consolidation en 2021 entre Syntec Numérique et Tech in France. Nous représentons donc un ensemble très variés d'acteurs du numérique, des startups aux grands groupes, en passant par les PME et les ETI. Nos métiers sont nombreux car nous fédérons les entreprises de services du numérique (ESN), les éditeurs de logiciels, les plateformes comme les Gafam, et les sociétés d'ingénierie et de conseil en technologies (ICT). Il y a de tout : des acteurs nationaux, régionaux, des spécialistes et des généralistes.

Comment faire en sorte de représenter tout le monde dans un ensemble aussi hétérogène ?

C'est un challenge pour nous de faire en sorte de repenser le parcours de nos adhérents pour qu'ils se sentent bien représentés. L'un des objectifs de mon mandat est de créer et renforcer des communautés au sein de Numeum : startups, e-santé, open-source... Et de faire en sorte que tout le monde puisse se parler. Je conçois Numeum comme une plateforme où chaque entreprise peut rencontrer ses semblables et partager ses préoccupations, et aussi échanger avec d'autres entreprises du numérique qui peuvent devenir des partenaires ou des clients.

Vous mentionnez le rôle de lobbying de Numeum auprès des pouvoirs publics nationaux et européens. Mais comment pouvez-vous porter des revendications claires en représentant un éventail aussi large d'entreprises, aux enjeux et positions parfois irréconciliables comme les Gafam avec les acteurs du cloud français ?

C'est une très bonne question et la réponse est qu'il y a davantage de sujets qui nous rassemblent que de sujets de diversion, et c'est exactement pour cette raison que nous avons autant de membres. Les sujets communs pèsent 90% des préoccupations de nos membres, et ce sont ceux que je vous ai exposés comme les priorités de mon mandat : les compétences, le développement dans les territoires, le numérique responsable. Toutes nos entreprises, quel que soit leur secteur d'activité, leur taille et l'endroit où elles sont implantées, font face à ces mêmes défis.

Après, il est vrai qu'il y a des sujets, plus rares et plus politiques, sur lesquels nos membres ne sont pas alignés, comme la souveraineté numérique ou le périmètre des données sensibles. Sur ces sujets-là, chacun pousse son agenda via d'autres canaux. Nous nous concentrons sur les grands sujets, ceux qui nous rassemblent, et qui représentent, je tiens à le souligner, 90% des sujets de Numeum. Sur les autres, nous nous autorisons à avoir des divergences et à les assumer, car rassembler une telle variété d'acteurs est une force.

Vous considérez Numeum comme une plateforme. Dans quel sens ?

L'effet de réseau est très important pour être entendus des pouvoirs publics. Quand on représente 2.500 entreprises avec une croissance de 20% des adhérents depuis 2018 et que tout le monde est d'accord sur 90% des sujets, cela permet d'avancer plus vite et plus efficacement. Numeum a par exemple été très utile pour s'organiser pendant le Covid et porter les enjeux des entrepreneurs.

Au-delà de l'aspect lobbying, nous remplissons aussi et surtout le rôle de syndicat patronal pour nos membres, qui sont pour l'essentiel des TPE et PME. En plus de la convention collective, nous leur proposons un catalogue de services à forte valeur ajoutée sur la fiscalité, l'investissement, le juridique, le social, les éléments contractuels... Tous les services rendus remboursent largement la cotisation.

Enfin, l'aspect réseau est primordial : pouvoir échanger entre pairs sur les bonnes pratiques, partager sa vision du marché, se rencontrer régulièrement, trouver des partenaires voire des clients... Nous représentons l'écosystème mieux que quiconque.

Vous mettez de plus en plus l'accent sur les startups mais elles pèsent une toute petite part de vos membres. Comment les attirer alors qu'il existe déjà une organisation qui leur est dédiée, France Digitale ?

Numeum est aussi une plateforme où se font des rencontres business. C'est pour cela que nous avons de plus en plus de startups, dont certaines sont également membres de France Digitale, qui leur apporte le lien avec les investisseurs et pousse des problématiques très spécifiques.

Je pense que les entreprises peuvent, et devraient, adhérer à plusieurs organisations représentatives. Chez Numeum, les startups viennent chercher l'accès au marché et des opportunités de développement de leur business. Nous proposons aussi des dispositifs d'accompagnement, par exemple pour faciliter les relations entre les grands groupes et les startups, ou encore l'internationalisation avec Business France.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 28/06/2023 à 9:30
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On va trop loin pour le numérique domestique et celui disons des affaires courantes. Là comme dans d'autres domaines je me demande qui est le pilote..

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