L’amende de 80 millions à Altice est-elle vraiment "très dissuasive" ?

Ce lundi, l’Autorité de la concurrence a sanctionné le groupe du milliardaire Patrick Drahi pour avoir pris le contrôle de SFR et de Virgin Mobile largement avant d’avoir obtenu le feu vert de l’institution, en 2014. Sa nouvelle patronne, Isabelle de Silva, a évoqué une décision "extrêmement importante". Toutefois, cette amende paraît bien peu élevée au regard des infractions d’Altice et de l’ampleur du deal.
Pierre Manière
Patrick Drahi, le propriétaire d'Altice, la maison-mère de SFR.

Elle a voulu marquer le coup. Pour sa première décision depuis qu'elle a succédé à Bruno Lasserre à la tête de l'Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva a convié toute la presse au 11 rue de l'Echelle, à Paris, au siège de l'institution. L'initiative du jour ? Une prune de 80 millions d'euros au groupe Altice du milliardaire Patrick Drahi, pour avoir pris, en 2014, le contrôle effectif SFR et de Virgin Mobile bien avant d'avoir obtenu le feu vert de l'autorité. A cette occasion, Isabelle de Silva a visiblement voulu imprimer sa marque. Ou plutôt montrer qu'elle avait, à l'instar de son redouté prédécesseur, une poigne de fer.

Commentant sa sanction, l'énarque de 47 ans n'y est pas allée de main morte. "C'est une décision extrêmement importante, qu'on peut même qualifier, à certains égards, d'historique", a-t-elle affirmé. Avant d'en remettre une couche : "Il s'agit d'une première mondiale qui va faire office de référence en matière de contrôle des concentrations". Dans la salle, certains journalistes en charge du suivi des télécoms s'étranglent. "Je ne comprends pas très bien le montant [censé être] très important ou dissuasif, bombarde l'une d'entre elles. On est sur un deal à 17,7 milliards. Le maximum de l'amende (son plafond, Ndlr), c'était 500 millions voire 1 milliard d'euros. [...] Et si 80 millions, c'est beaucoup d'argent [...], ça reste petit à l'échelle du deal dont on parle..."

Un "message de fermeté"?

Mais Isabelle de Silva n'en démord pas. Membre de l'Autorité de la concurrence depuis 2014, elle martèle que le montant de la sanction demeure, à ses yeux, "extrêmement dissuasif". Mieux, cette amende constitue pour elle "un message de fermeté" aux entreprises françaises qui seraient tentées, comme Altice et Numericable, de ne pas respecter le temps d'analyse de l'autorité lors des deals importants. Pendant cette période, dite "suspensive", les groupes doivent se comporter de manière indépendante. Et pour cause: sur le papier, rien n'est encore gagné puisque l'autorité peut très bien, in fine, bloquer une opération si elle nuit trop à l'intensité concurrentielle d'un secteur d'activité.

Toujours sur le montant de l'amende, Isabelle de Silva précise aussi que celui-ci aurait pu être plus important. Mais le collège a pris en compte le fait qu'Altice "a proposé de ne pas contester la réalité des faits, ni la qualification retenue par l'autorité", précise-t-elle. Reste qu'on voit difficilement comment le groupe de Patrick Drahi aurait pu obtenir gain de cause en boudant la décision, étant donné les multiples infractions, très documentées, constatées par l'autorité...

Drahi met fin aux dégriffes de SFR

Concrètement, après la notification du rachat de SFR par Numericable, l'autorité a effectué un contrôle de l'opération du 5 juin au 30 octobre 2014. Or à compter du mois de mai, les deux opérateurs vont "se coordonner", dit l'autorité. A plusieurs reprises, "Numericable va se comporter d'ores et déjà comme le propriétaire de SFR" en prenant nombre de décisions stratégiques. Parmi les infractions repérées, Altice a demandé à SFR de mettre un terme à ses promotions sur des abonnements à la fibre. Mises en place au début de l'été 2014, ces dégriffes devaient se poursuivre jusqu'au 25 août. Mais après l'intervention de Patrick Drahi, le PDG de SFR y a mis un terme le 4 juillet.

Outre mettre son nez dans la politique commerciale de son rival, Altice a fait le forcing pour se substituer à SFR pour contrôler Virgin Mobile :

"A l'origine, Virgin Mobile devait être racheté non pas par Numericable, mais par SFR, explique l'autorité. Cette prise de contrôle était importante pour SFR pour sécuriser le chiffre d'affaires que Virgin Mobile lui apportait en tant que MVNO (opérateur virtuel, Ndlr). L'opérateur était prêt à faire une offre de rachat. Or il y a eu des discussions très tôt entre SFR et Numericable à ce sujet. A ces occasions, SFR a donné à Numericable le détail de l'offre qu'il s'apprêtait à faire. Il a transmis des éléments financiers et de business plan expliquant pourquoi l'opération était intéressante. Finalement, il a été décidé d'un commun accord que ce ne serait pas SFR qui ferait l'offre de rachat, mais directement Numericable. Au final, cette offre d'acquisition a été déposée en mai 2014, c'est-à-dire bien avant l'autorisation de rachat de l'Autorité de la concurrence".

Altice brandit sa "bonne foi"

Autre comportement répréhensible épinglé par l'institution : la négociation et la préparation opérationnelle du lancement d'une nouvelle gamme d'offres très haut débit par SFR ("Box TV Fibre"), en utilisant le réseau câblé de Numericable. Si ces offres commerciales ont été lancées le 18 novembre, après le feu vert de l'autorité de la concurrence, le projet "a été négocié et préparé opérationnellement pendant la période suspensive". Sachant, en plus, que celui-ci "marque un changement important dans la stratégie très haut débit de SFR", lequel misait avant sur ses propres déploiements de fibre optique, et pas du tout sur le câble.

Pour l'Autorité de la concurrence, Patrick Drahi savait bien qu'il était hors la loi. "Ces infractions, on ne pense pas que ce soit par négligence qu'on les commette...", dit l'institution. Ce qui n'a pas empêché Altice de se fendre d'un communiqué un brin provocateur. Dans cette missive, il estime avoir agi de "bonne foi", dans un "cadre juridique incertain" ! Quant à savoir si l'amende de 80 millions d'euros est réellement dissuasive, les prochains deals en témoigneront. Ou pas.

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 09/11/2016 à 11:26
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80 millions n'est pas dissuasif par rapport à des opérations financières et acquisitions de plusieurs milliards. JMM MMMM bis ?

à écrit le 09/11/2016 à 8:58
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La "bonne foi" en néolibéralisme ça s'achète.

à écrit le 09/11/2016 à 3:10
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Le capitalisme fou, le cynisme dans sa splendeur. Tout fini mal dans cette logique mortifere. Mais les banques preteuses ne peuvent que suivre. Trop de debits en jeu. Les francais epongeront.

à écrit le 08/11/2016 à 18:12
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Comme je l'ai déjà dit (mais ma remarque n'est jamais publiée) cette aventure se terminera par un gros scandale financier....d'ailleurs quel est le tzux d'endettement de sa holding? Les banques n'osent plus reculer...et pour cause!

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