C'est un véritable fléau pour les PME, y compris françaises. Depuis trois ans, l'artiste français Quibe, connu pour ses dessins en one line - un seul trait continu - s'attaque sans relâche aux contrefaçons de ses oeuvres vendues dans la galaxie Alibaba. Rien que sur la plateforme Aliexpress, destinée aux produits à prix bas, le dessinateur a signalé plus de 900 boutiques. En tout, l'artiste cumule plus de 2000 demandes de retrait sur les différents sites du géant chinois. Le Francilien retrouve ses dessins, parfois déformés, sur des t-shirts, des mugs, des coques de téléphone... « Je suis confronté à une multitude de petites boutiques et, quand je les signale, elles changent de nom puis réapparaissent », constate Quibe, qui ne cache pas son sentiment d'impuissance.
Plus laxiste que ses concurrents
Alibaba traîne depuis plusieurs années la réputation d'être plus laxiste que ses concurrents sur la contrefaçon. Ce n'est pas immérité. En Belgique, par exemple, la moitié des produits saisis par la douane en 2018 provenaient des sites d'Alibaba. Face au phénomène, d'autres pays sont passés à l'action. Les États-Unis bloquent depuis trois ans Taobao, le site phare du groupe, qui compte plus de 650 millions de visiteurs mensuels.
Pourtant, dès 2017, le cofondateur et directeur du groupe, Jack Ma, a reconnu le problème et appelé le gouvernement à l'aide, notamment pour durcir les sanctions envers les contrefacteurs.
La même année, Alibaba a même lancé son alliance de lutte contre la contrefaçon, l'AACA (Alibaba Anti-Counterfeiting Alliance). Elle compte aujourd'hui 132 membres, parmi lesquels Louis Vuitton, Samsung ou Dyson. Sur ces deux dernières années, l'AACA a affiché des chiffres encourageants : 524 usines et points de distribution fermés, 1277 suspects arrêtés et plus de 3,6 milliards de yuans (460 millions d'euros) de produits saisis. Mieux, dans son rapport annuel sur la contrefaçon, Alibaba affirme que les plaintes ont diminué de 32 % en 2018, et que seule une commande sur 10 000 effectuées sur la marketplace Taobao contenait des produits suspectés de contrefaçon.
Quid de la France ? Hélas, les petites sociétés comme celle de Quibe n'entrevoient pas les effets de cette lutte anti-contrefaçon. Quand celle-ci est commise par des vendeurs européens ou américains sur d'autres plateformes, comme Amazon, les avocats ont pour habitude de s'adresser directement aux boutiques contrefactrices. « Mais cela ne fonctionne pas avec Alibaba, car on ne peut pas envoyer des mises en demeure à toutes les boutiques chinoises. Il n'est même pas sûr que les lettres arriveraient », déplore Juliette Disser, l'avocate du dessinateur. Puisque régler le problème à la source paraît très difficile, la juriste souhaite désormais épingler la plateforme.
Alibaba se retranche derrière son statut d'hébergeur
Mais Alibaba se dédouane de toute responsabilité en se retranchant derrière son statut d'hébergeur. Charge à l'avocate de démontrer que le géant est en fait un éditeur. « Il faut prouver qu'Alibaba est proactif dans la mise à disposition du contenu. C'est possible en montrant qu'il fait par exemple la promotion de certains produits, y compris des contrefaçons. » Le dessinateur n'a pas encore entamé cette procédure, qui doit se mener auprès d'un tribunal de grande instance, car, même s'il avait gain de cause, elle ne résoudrait que la partie française du problème.
« Agir en Chine, ça devient plus compliqué », constate Juliette Disser. Il faut connaître les procédures des engagements coûteux que ne peuvent se permettre ni Quibe ni de nombreuses PME.
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