« La ville low-tech, c’est une manière de réinventer nos métiers » (Katayoune Panahi et Thierry Laroue-Pont)

En juin 2022, un collectif réunissant des acteurs de l’immobilier publiait un manifeste pour une transformation urbaine low-tech. Parmi eux, Groupama Immobilier, GRDF, AREP, Paris&Co, Atelier 21, Grand Paris Aménagement. Ensemble, ils s’engagent à transformer leurs pratiques pour « faire des villes qui soient des modèles de sobriété, de résilience et d’inclusion ». Explications avec deux signataires, Katayoune Panahi, directrice de SNCF Immobilier, et Thierry Laroue-Pont, chairman & chief executive officer of BNP Paribas Real Estate. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
Katayoune Panahi, directrice de SNCF Immobilier et Thierry Laroue-Pont, chairman et chief excutive officer of BNP Paribas Real Estate font partie des signataires du manifeste pour une transformation urbaine low-tech.
Katayoune Panahi, directrice de SNCF Immobilier et Thierry Laroue-Pont, chairman et chief excutive officer of BNP Paribas Real Estate font partie des signataires du manifeste pour une transformation urbaine low-tech. (Crédits : S.Godefroy et A.Doyen)

Avec GRDF et Groupama Immobilier, vous êtes les hérauts de la ville low-tech. Concrètement, qu'entendez-vous par là ?

Katayoune Panahi Nous avons beaucoup échangé avec nos partenaires sur l'intitulé du manifeste auquel vous faites référence. Même si son nom est perfectible, nous sommes tombés d'accord sur le concept de ville low-tech, non pas une ville sans technologie, et encore moins une ville low-cost, mais une ville avec la technologie juste et suffisante pour répondre de manière économe aux besoins de chacun en énergie et en matériaux. « Juste » s'entend en termes de justesse et de justice. Il s'agit de faciliter un usage économe de la ville tout en offrant des prix plus abordables, plus inclusifs et plus solidaires, ne serait-ce que pour répondre aux enjeux sociaux et sociétaux d'aujourd'hui. Les défis écologiques, énergétiques et sociaux actuels diffèrent très nettement des Trente Glorieuses et de la société de consommation.

Thierry Laroue-Pont L'ère de l'abondance est en effet terminée - personne n'utilise plus de deux options sur les dizaines que lui propose sa voiture -, mais la frugalité doit être généreuse et sincère. Elle ne doit pas être synonyme de punition, mais rimer avec intensité d'usages et impacts positifs, notamment dans le choix de matériaux plus locaux et donc plus durables. Nous sommes différents acteurs avec des profils variés et nous voulons appliquer à notre industrie ce que nous faisons au quotidien. Par exemple, notre siège à Boulogne-Billancourt, Métal 57. Nous y couplons la sobriété énergétique, l'éco-responsabilité à la mutualisation des usages faisant revenir les collaborateurs au travail. Le bâtiment est également ouvert à la population boulonnaise : associations, jeunes et anciens du quartier... encourageant le partage.

Est-ce à dire que l'on revient au vivre-ensemble ?

K.P. Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons vu la ville par le prisme d'ingénieurs, de techniciens et d'urbanistes sous l'angle de la technologie et, disons-le, du hardware. Cette vision utopiste des bâtisseurs de l'époque a conduit à tester l'urbanisme de dalles, en application de la charte d'Athènes porté par Le Corbusier, dont l'expérience la plus aboutie est sans doute La Défense avec une séparation des fonctions : les piétons sur la dalle, les transports (métros, RER, routes, desserte logistique) sous la dalle. J'ai heureusement le sentiment qu'après toutes ces décennies, la crise sanitaire a eu un effet révélateur de cette ville oppressante, vécue comme une machine infernale, avec la circulation automobile, les caméras de vidéosurveillance... Nous en avions presque oublié que la ville est aussi le lieu où s'exprime la démocratie et où vivent les citoyens. C'est peut-être la fin de la smart city, c'est surtout le retour d'une ville plus humaine qui replace l'homme au centre, qui devient plus acceptable, plus vivable.

T. L-P. La technologie n'est pas une fin en soi, elle est un moyen au service de l'humain. La Covid couplée aux crises économique et énergétique fait que l'on ne peut aller bien dans un monde qui va mal. C'est cela qui remet l'église au cœur du village. Il nous faut penser une ville multi-strates où chaque individu fait partie d'un puzzle collectif. Sur l'ancien site de l'AP-HP, à Paris, dans le IVe arrondissement, nous mêlons des lieux d'interaction d'économie sociale et solidaire (ESS) et des parcours santé. La cohabitation de ces deux populations en fait un immeuble à missions. Ce n'est plus un risque, mais une chance. Le modèle économique fonctionne de surcroît car créant de la valeur. Le mètre carré devient social et environnemental. Tous ces paramètres sont incroyablement motivants pour les talents. En nous rejoignant, ils ne fabriquent pas un énième immeuble de bureaux, mais travaillent sur les circuits courts, le réemploi... C'est radicalement différent de ce que nous faisions il y a dix, voire cinq ans.

K.P. Nous devons adopter cette approche systémique en mixant accessibilité, convivialité et responsabilité. La ville low-tech, ce n'est pas l'absence d'innovation, mais bien au contraire de la passion et de la créativité. Ce n'est pas non plus une contrainte, mais une manière de réinventer nos métiers.

Comme en finir avec la climatisation qui accélère le dérèglement climatique...

K.P. Vous ne croyez pas si bien dire. Nous menons des expérimentations en ce sens, comme peindre des toits en blanc et utiliser la réverbération. Nous l'avons testé sur des bâtiments techniques en Seine-et-Marne. Cela a permis de mettre en exergue un écart de 7 °C. Ce n'est pas négligeable et facile à mettre en œuvre.

T. L-P. C'est même d'une simplicité incroyable ! Nous, nous construisons nos plans de telle sorte à obtenir des appartements traversants avec des terrasses. Navré de revenir encore à notre siège, mais il est en géothermie complète : 40 % avec l'énergie puisée à 25 mètres sous terre et 60 % avec le réseau de chaleur de la Zac, aussi en géothermie. Cela fonctionne très bien. Dans cette logique de regarder ailleurs, un architecte libanais travaille en ce moment toutes les cours de La Défense comme les pays qui subissent la chaleur. C'est l'exemple de ces cheminées en Iran qui expulsent l'air chaud. Autant d'idées que nous pouvons importer chez nous.

K.P. Au fond, ce sont parfois des pratiques ancestrales. Il suffisait d'y penser. De notre côté, en partenariat d'innovation avec la Banque des territoires et le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, nous travaillons ainsi sur des bâtiments mobiles et modulables (BMM) que nous avons présentés en janvier 2023 au ministre du Logement Olivier Klein. Dans notre cahier des charges, nous demandions une durée de vie de vingt ans et des éléments déplaçables trois fois. Finalement, le Montpelliérain Selvéa, retenu pour la fabrication, nous assure qu'ils vont durer cinquante ans. Dès la conception, nous intégrons les différents usages, la fin de vie du bâtiment et son démantèlement. Ces modules vont nous servir pour l'hébergement d'urgence, les bases vie de nos équipes sur les chantiers ferroviaires, le relogement le temps d'une rénovation de notre parc social ICF ou peut-être pendant les Jeux olympiques et paralympiques.

T. L-P. Nous aussi, nous travaillons sur cette notion d'espaces capables et réversibles. Par exemple, sur notre projet à Cachan, un des immeubles peut héberger des activités tertiaires ou devenir un immeuble de logements. Autre exemple : une tour à La Défense qui peut indifféremment accueillir de l'hôtellerie, du coworking, une résidence tourisme... Même dix ans après la livraison de l'actif, nous devons savoir faire redevenir indifféremment des logements en bureaux et inversement, mais cela suppose de penser ce changement dès le début. De la même manière que les bureaux haussmanniens sont à l'origine des logements, nous en revenons aux fondamentaux d'il y a quelques siècles.

Il n'empêche : comment retisser du lien social dans cette société archipellisée ?

K.P. La ville doit aussi être juste au sens de justice en livrant des bâtiments moins coûteux, plus sobres, plus accessibles pour loger à prix plus abordable des populations reléguées en périphérie. C'est une réponse possible pour limiter la fameuse « giletjaunisation » de la société, mais j'en suis convaincue : la ville du long terme va dans le sens d'une plus grande inclusion. Notre filiale, le bailleur social ICF Habitat investira 4,5 milliards d'euros pour construire 18 000 logements sociaux et en rénover 17 000. Il est prévu dans ce cadre de passer toutes les passoires thermiques E, F et G en classe B, C et D. De même, nos projets de BMM permettent d'installer à Stains une structure d'accueil pour 30 femmes célibataires avec leurs enfants, en situation de vulnérabilité, et qui n'ont pas de solution. Enfin, nous avons transformé un ancien foyer de cheminots dans le XIIIe arrondissement de Paris, en relevant le toit de trois niveaux en bois et en passant les nouveaux studios de E à B grâce à l'isolation par l'extérieur. Nous venons de créer 175 logements au cœur de la capitale pour accueillir entre autres des étudiants et assurer la mixité sociale.

T. L-P. Le tout high-tech était la ville des happy few. Nous devons aller vers cette ville plus inclusive. Coup de chance, elle est très attendue ! Cela passe par des socles actifs en pied d'immeubles avec des commerces de proximité, de services, accessibles au plus grand nombre. Cela passe aussi par la réouverture des cours intérieures, ce que nous allons faire sur l'ancien site de l'AP-HP. Ou encore sur l'utilisation des mètres carrés ; sur l'emprise de notre siège, nous avons rendu 900 m² à la ville qui vont devenir une place publique.

Mais pourquoi a-t-on autant cru à la smart city ?

K.P. J'insiste, mais après la guerre, la fabrique urbaine était synonyme de reconstruction. Elle a accompagné la tertiarisation de la société et l'exode rural. Désormais, il nous faut juguler les revers climatiques, énergétiques - la guerre en Ukraine - et les revers sociaux et sociétaux visibles avec les fractures territoriales générées par la globalisation. Cela nécessite de passer de la smart city à une ville low-tech.

T. L-P. Nous avons quand même la chance en France d'avoir des acteurs qui veulent aller ensemble vers cette ville raisonnée de façon très positive. C'est une démarche volontaire portée par les patrons, avec des équipes derrière qui sont très motivées. Nous sommes, je dirais même, entrés dans une fabrique joyeuse de la ville où nous partageons les bonnes pratiques sans avoir peur de se les faire voler par notre concurrent.

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T15

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Commentaires 2
à écrit le 02/07/2023 à 10:02
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On veut nous vendre la "low-tech" à coup de publicité ? Alors rien ne change ! ;-)

à écrit le 02/07/2023 à 9:20
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Il y aurait tant à faire permettant ainsi d’inciter aux professions valorisantes car créatrices à savoir les artisans, les artistes et les architectes et nombre de nouvelles professions possibles permettant de faire travailler son cerveau plutôt que ...

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