Le « digital » entraîne le sport dans une nouvelle dimension

De l'essor du quantified self - qui permet aux coureurs à pied, aux basketteurs, aux joueurs de tennis et autres d'évaluer et d'améliorer leurs performances -à l'apparition des stades connectés... les nouvelles technologies et les médias numériques bousculent la pratique et la consommation du sport.
Pierre Manière
7 millions de personnes ont suivi en direct la chute de 39.000 mètres de l'Autrichien Felix Baumgartner.
7 millions de personnes ont suivi en direct la chute de 39.000 mètres de l'Autrichien Felix Baumgartner.

En 1903, année du premier Tour de France, il fallait ouvrir un journal - notamment L'Auto, ancêtre de L'Équipe et créateur de l'événement - pour lire les résumés d'étapes. En 1929, première révolution : la radio permet de suivre les péripéties des coureurs au fil de la journée. Et, à partir de 1948, la Grande Boucle s'invite sur le petit écran, permettant encore davantage au spectateur de s'immiscer au coeur de la compétition. Internet, les smartphones et les réseaux sociaux ont fait basculer l'épreuve dans une nouvelle ère, brisant les murs entre les fans, les professionnels et autres journalistes qui suivent en direct les offensives des cyclistes. Enfin, depuis le dernier Tour de France, les 198 coureurs sont équipés, sous leur selle, d'un capteur GPS. Avec son smartphone sur un site dédié, le téléspectateur averti peut donc, entre deux tweets sur une échappée, prendre connaissance de la position exacte ou de la vitesse de son favori. Quant aux directeurs sportifs des équipes, ils disposent, en quelques clics sur leur ordinateur, d'informations sur le positionnement de leurs troupes, afin d'affiner leur stratégie en direct.

De tout temps, les nouveaux médias et les nouvelles technologies ont révolutionné le monde du sport. Le numérique, avec ses légions d'objets connectés, d'applications et d'écrans ne fait pas exception. Désormais, les sportifs professionnels recourent largement au big data, c'est-à-dire à l'analyse des mégadonnées, pour disséquer et améliorer leurs performances. C'est notamment le cas de l'équipe de France de rugby. Engagée dans la Coupe du monde, celle-ci recourt largement à ces outils pour épauler ses joueurs. Dans cette déferlante de technologie, le sportif du dimanche n'est pas oublié. Ainsi, pour la course à pied, très à la mode ces dernières années, les applications de la vague dite du quantified self, consacrées à l'autoévaluation des performances, pullulent.

Des raquettes et ballons connectés

Parmi elles, RunKeeper revendique plus de 30 millions d'utilisateurs. Cette application dispose d'une fonction GPS et recueille moult données sur son utilisateur, comme son rythme cardiaque ou sa vitesse. En analysant ces informations, l'application se mue en entraîneur personnel, et envoie des batteries de conseils et d'indications (comme le nombre de calories brûlées) pendant et après l'effort. Et, une fois son jogging accompli, il est possible de partager sa performance sur les réseaux sociaux.

Parmi les autres sports en pleine mue, on trouve le tennis. Avec les raquettes connectées, les professionnels disposent d'outils de choix pour recueillir d'innombrables informations sur leur jeu, de la puissance de leur service au centrage de la balle lors d'un revers ou d'une volée... Cette technologie est également disponible auprès du grand public. Pionnier dans les e-raquettes, le français Babolat commercialise sa Play Pure Drive depuis deux ans. Sans lever le voile sur ses ventes, Éric Babolat, PDG du groupe, affirmait au printemps dans nos colonnes que « la communauté Babolat connectée » comptait « déjà 20 000 personnes ».

À l'en croire, l'avenir du tennis sera forcément connecté :

« Le joueur peut désormais se jauger, mais aussi se comparer à d'autres, via l'application dédiée. [...] Le tennis connecté enrichit l'expérience du joueur et le sort également de l'isolement. Il n'y aura plus que du tennis connecté d'ici à 2020. »

Même tendance pour le basket. L'équipementier sportif américain Wilson commercialise depuis peu le Wilson X.

Doté d'une batterie non rechargeable - dont l'autonomie correspond à « l'évaluation d'environ 100.000 tirs » -, ce e-ballon bourré de capteurs permet d'analyser son jeu via une application sur smartphone spécifique.

Caméras embarquées en ski ou en plongée

Autrefois chasse gardée de quelques rares initiés, certaines pratiques trouvent désormais leur public et des sponsors sur Internet. C'est le cas du base-jump. Ce sport extrême consiste à se jeter dans le vide d'un point fixe (comme une falaise ou une antenne), en actionnant son parachute au dernier moment. Aujourd'hui, nombre d'adeptes partagent les vidéos de leurs sauts sur YouTube, grâce à des caméras GoPro greffées à leur casque. Du ski à la plongée sous-marine, cet usage se démocratise à toute vitesse. L'an dernier, quelque 5,2 millions de GoPro ont été écoulées dans le monde. Certaines vidéos explosent parfois largement les compteurs. Il y a trois ans, le record du saut en chute libre de l'Autrichien Felix Baumgartner, qui s'est jeté d'une capsule à 39.000 m d'altitude, a attiré les foules. Sponsorisé par la marque de boissons énergisantes Red Bull, l'événement a été suivi en direct par près de 7 millions de personnes sur la Toile.

Biberonnées au numérique, toutes ces nouvelles « expériences sportives », comme disent les experts, attirent de plus en plus d'investisseurs. Signe qui ne trompe pas, les startups innovantes foisonnent dans ce nouvel écosystème. Et les levées de fonds s'enchaînent. Au printemps dernier, la startup PIQ, qui fabrique un minicapteur multisport pour enregistrer, visualiser et partager les performances des athlètes, a levé 5,5 millions de dollars. Filiale d'Octonion, une société suisse de logiciels et de services, la jeune pousse a décroché cette manne auprès de plusieurs investisseurs de renom, dont le taïwanais Foxconn, un des plus gros sous-traitants d'Apple dans les composants électroniques.

Sur un autre créneau, la société française BodyCap développe une gélule connectée. Baptisée e-Celsius, celle-ci permet de mesurer la température de son hôte. Pour les dirigeants de BodyCap, cette technologie doit notamment permettre d'en savoir plus sur le corps des marathoniens pendant leur effort, et notamment lever les risques d'hyperthermie auxquels ils sont confrontés. La société - qui a noué des partenariats avec Orange Healthcare et Samsung - a levé 1 million d'euros il y a quelques mois. Elle vise un chiffre d'affaires de 2 à 3 millions d'euros à l'horizon 2016.

En parallèle, ces quantités d'informations et de contenus offrent de nouvelles opportunités à tous les acteurs impliqués dans la diffusion des grands événements sportifs. C'est le cas d'Euro Media Group (EMG). Ce spécialiste des prestations techniques et des services audiovisuels filme des émissions et des compétitions sportives pour des chaînes de télévision. La société réalise ainsi des matchs de Ligue 1 pour Canal+, certaines rencontres de la Coupe du monde de rugby, et les images du Tour de France. Récemment, EMG a mis les bouchées doubles sur le segment dit du « second écran » (comme les smartphones et les tablettes), en rachetant Netco Sports, une startup spécialisée dans ce domaine.

« C'est absolument fondamental, explique Thierry Drilhon, le patron d'Euro Media Group. Quand ils regardent un match de foot, les téléspectateurs, les jeunes en particulier, ne sont plus autant focalisés sur la télévision qu'avant. Bien souvent, ils ont leur téléphone à portée de main pour avoir accès à d'autres contenus et enrichir leur expérience. »

L'irrésistible essor du « second écran »

EMG, qui est à l'origine de l'initiative des capteurs sous les selles des coureurs, souhaite ainsi créer une application pour offrir aux fans de la Grande Boucle des informations complémentaires à ce qu'ils voient à télévision. Pour Thierry Drilhon, les services liés au second écran apparaissent stratégiques, alors que le marché des tablettes et des smartphones affiche un plein essor. Il cite ainsi l'application Canal Football App, également développée par Netco Sports.

« On peut revoir les buts et les plus belles actions d'un match. Mais aussi avoir accès à énormément d'informations complémentaires », explique-t-il.

Par exemple, « on peut savoir combien de kilomètres le footballeur Lionel Messi a parcouru depuis le coup d'envoi, ou encore combien de buts il a marqué dans la compétition », détaille le patron d'EMG.

Maître de conférences à l'université de Caen Basse-Normandie et spécialiste du management du sport, Boris Helleu partage cette analyse. « Que l'on soit au stade ou devant la télé, c'est de plus en plus l'écran à la main », constate-t-il.

« Quand on regarde les données de Médiamétrie sur les audiences Twitter, une bonne moitié des programmes TV les plus commentés sont les retransmissions sportives en direct, et notamment les matchs de foot », renchérit-il.

Nouveaux relais de croissance

D'après lui, cette « tendance lourde » constitue d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les clubs et les fédérations misent beaucoup sur le mobile pour trouver de nouveaux relais de croissance. C'est, par exemple, la logique des « stades 2.0 », comme le nouveau grand stade de l'Olympique lyonnais. Dotée de 300 écrans disséminés dans une centaine de loges, cette nouvelle arène de 60.000 places disposera aussi de 500 bornes wi-fi permettant jusqu'à 25.000 connexions simultanées. Grâce à une application spécifique, les supporters pourront commander leurs boissons en ligne, et ainsi éviter les habituelles longues files d'attente. Avec cette connectivité et ces nouveaux services, le club espère ainsi que ses hôtes mettront davantage la main au portefeuille. Tout en publiant un maximum de contenus sur le spectacle proposé pour accroître l'aura du club.

Il s'agit là d'un point crucial, sachant que les clubs cherchent de plus en plus à monétiser leur audience numérique auprès de leurs sponsors et partenaires financiers. Sur ce point, l'OL n'est pas en reste. Le club dispose en effet d'une « SociOL room », c'est-à-dire d'une salle dans le stade consacrée à ses animateurs de communauté, ainsi qu'à quelques supporters triés sur le volet. Leur rôle ? Faire vivre les matchs sur les réseaux sociaux. Mais aussi (et surtout) assurer un maximum de visibilité à son sponsor principal, Hyundai, qui supervise l'initiative. Des animateurs de communauté du constructeur automobile sont donc présents dans la salle. Leur tâche ? Rédiger des tweets sur les réseaux sociaux en lien avec le match et vantant la marque, lesquels seront consciencieusement retweetés par leurs homologues de l'OL. L'objectif de Hyundai est très clair :

« Il s'agit de drainer les gens vers nos propres réseaux sociaux, mais aussi vers nos concessionnaires », bombarde un responsable des partenariats sportifs du constructeur à Europe1.fr.

Valoriser son audience numérique

Les fédérations investissent aussi ce lucratif créneau. Boris Helleu explique :

« Vous êtes la FFF [Fédération française de football, ndlr], vous avez un superproduit qui s'appelle l'équipe de France de football. Et vous avez des partenaires comme le PMU, KFC, Carrefour, etc. et des millions de fans sur Twitter, Facebook et Instagram. Que faites-vous pour satisfaire vos sponsors sur les médias sociaux ? Vous pouvez simplement les mentionner pour générer du trafic sur leurs propres sites, mais aussi organiser des jeux-concours... En clair, vous valorisez votre audience numérique dans vos contrats de sponsoring. »

Toutes ces légions de fans sont aussi convertibles en bases de données marketing, poursuit le spécialiste.

« On peut récupérer leurs profils sur Twitter et Facebook pour faire du mailing. Ou encore générer du trafic dans les boutiques physiques, via des opérations spécifiques. Pendant un match, on peut offrir aux fans sur Twitter une promotion de -10 % [sur les maillots, écharpes ou ballons, par exemple, ndlr]. »

L'industrie du sport n'a donc pas perdu son temps pour prendre le pli de la révolution numérique. Et la transformer, sans traîner, en espèces sonnantes et trébuchantes.

Pierre Manière

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