Loi sur les influenceurs : pourquoi le monde de la crypto tire la sonnette d'alarme

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture une loi visant à réguler le marché des influenceurs. Objectif affiché, lutter contre les escroqueries et la publicité déguisées. Cette nouvelle réglementation ne serait toutefois pas sans incidence pour la quasi-totalité des médias et influenceurs vulgarisant les sujets en lien avec les cryptomonnaies et les NFT. Certains envisagent déjà d’arrêter leur activité ou même de s’expatrier. Explications.
Maxime Heuze
La loi sur les influenceurs devrait limiter la sponsorisation des influenceurs et des médias aux seules entreprises agréées Psan.
La loi sur les influenceurs devrait limiter la sponsorisation des influenceurs et des médias aux seules entreprises agréées Psan. (Crédits : Murad Sezer)

Le YouTube de demain sera-t-il épuré de tout contenu sur les cryptomonnaies ? Le 30 mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi, visant à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Le texte sera débattu en séance publique au Sénat au mois de mai, si l'on se fie au calendrier du palais du Luxembourg.

Les députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (Socialistes et apparentés), à l'origine du texte, souhaitent encadrer les partenariats et autres sponsorings. Objectif, éviter la promotion de projets frauduleux ou d'escroqueries pouvant ruiner public non-averti, parfois mineur et recruté sur les réseaux sociaux.

« La réglementation est importante »

A travers cette mesure, les influenceurs et médias cryptos sont notamment dans le viseur, comme en témoigne la récente affaire Marc Blata. Résidant à Dubaï, l'influenceur français est visé par deux plaintes. Avec sa compagne, il est soupçonné d'avoir mis en vente et promu des produits financiers (la NFT « Animoon » et le canal de trading Telegram « Blatagang ») auprès d'internautes, qui estiment avoir été victimes d'une « escroquerie » et d'« abus de confiance ». Selon l'avocat des plaignants, le préjudice total est estimé à 6,3 millions d'euros, avec des « milliers d'investisseurs ayant perdu de quelques centaines à 100.000 euros » dans ces deux projets.

« La réglementation est importante et est appelée par le secteur, car c'est un facteur de confiance et d'adoption. Nous en avons aussi besoin pour faire des partenariats avec des entreprises en dehors de l'écosystème, et c'est un outil pour discerner les acteurs sérieux des autres », réagit Faustine Fleuret, Présidente de l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan).

Un sponsoring limité aux entreprises agréées Psan

Si la loi vise à protéger les consommateurs, elle semble tout de même donner des sueurs froides aux influenceurs et aux médias français vivants de la sponsorisation de projets crypto. « Actuellement, nous sommes sur une interdiction très stricte des entreprises crypto de recourir aux influenceurs et médias », prévient la présidente de l'Adan. Selon la version du texte voté par les députés en première lecture, seuls les partenariats avec un annonceur agréé prestataire de services sur actifs numériques  (Psan) seront autorisés.

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Seul hic, « pour l'instant, il n'y a aucune entreprise agréée en France », affirme Faustine Fleuret. « Cela revient donc à interdire à tous les Psan (y compris enregistrés) de recourir aux influenceurs pour communiquer sur les services qu'ils fournissent, alors même que l'enregistrement octroie légalement le droit aux acteurs de faire de la publicité », s'étonne-t-elle. Elle appelle ainsi à élargir ce droit à la soixantaine d'entreprises enregistrée.

Des conséquences désastreuses à venir ?

Pour l'heure, les influenceurs et médias spécialisés sur ce créneau accusent le coup. « Dans le texte actuel, notre modèle économique est clairement mis en danger », souligne Valentin Demé, directeur des contenus au sein du média spécialisé Cryptoast. De fait, ce média, leader dans l'information sur les cryptomonnaies en France, propose la quasi-totalité de ses contenus gratuitement.

« On se rémunère avec des articles publirédactionnels, des bannières publicitaires et des vidéos sponsorisées. Si l'on coupe les revenus des publicités de Ouest-France par exemple, cela les privera de 3 ou 4% de leur chiffre d'affaires, nous c'est 80% », assène-t-il.

Difficile, dans ce contexte, d'anticiper la poursuite de son média, employeur d'une dizaine de personnes.

Même son de cloche du côté d'Owen Simonin (alias Hasheur sur YouTube). Celui-ci se rémunère à 90% grâce à des partenariats et des affiliations.

« Je ne sais pas si j'aurais les moyens de continuer (si la loi est adoptée telle quelle, ndlr). Comme j'ai pas mal d'argent, je pourrais faire des vidéos gratuitement, mais je perdrais une grosse partie de la plus-value générée par mes vidéos, car je n'aurai plus les moyens de faire des recherches approfondies comme je le fais aujourd'hui. Et il y aura aussi moins de contenus », confie le vulgarisateur.

A titre indicatif, il emploie neuf personnes et dépense « presque 100.000 euros par an » pour produire ses vidéos. Owen Simonin ne manque pas de taper sur cette loi. « Sur les 67 sociétés enregistrées Psan, 20 mettent budget marketing et 4 ont un budget récurrent. Donc les influenceurs et médias ne pourront pas vivre de ces quatre seuls partenariats », argue-t-il. Le YouTubeur français, qui compte 621.000 abonnés à son actif, ne cache pas non plus son amertume sur les conséquences qu'il anticipe sur le public français.

« Ce qui fait qu'il y a moins d'arnaques, c'est YouTube ! Car cela permet d'éduquer gratuitement les gens. S'il n'y a plus de Français, des influenceurs d'autres pays vont récupérer ce marché sans pour autant être régulés », scande Owen Simonin, avant de lâcher « je me suis battu pour que les gens restent en France, et maintenant ceux qui ont fait les choses bien risquent de n'avoir plus le droit d'exercer. »

Un risque d'expatriation des influenceurs français

Face à la menace de ne plus pouvoir exercer leur activité de manière rémunérée, certains apporteurs de contenus envisagent déjà des solutions radicales : l'expatriation.  « Si ça tombe demain, mon plan, c'est de partir au Canada pour continuer mon activité là-bas », confie Benjamin Cohen, créateur du média Le Crypto Daily. De fait, celui-ci se rémunère entièrement via des partenariats avec des entreprises de l'écosystème crypto.

Ce choix radical pourrait toutefois se révéler vain. « La réglementation s'appliquera du moment où l'influenceur s'adresse au public français », rappelle la présidente de l'Adan, qui s'interroge tout de même sur « la capacité des autorités françaises d'aller chercher un influenceur qui opère depuis l'étranger ? ».

De son côté, le directeur des contenus de Cryptoast n'a pas prévu de s'expatrier. Il reste optimiste sur l'issue du vote, programmé au printemps. « On est sur une loi qui a pour but d'encadrer les pratiques, c'est très important, mais on ne doit pas condamner un secteur », argue-t-il.

Maxime Heuze

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Commentaire 1
à écrit le 07/04/2023 à 17:27
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Les cryptomonnaies sont à fuir pour 90% des épargnants , encore plus risqué que les jeux de hasard .L'activité boursière n'est déjà pas compréhensible pour le plus grand nombre avec ses rites ésotériques avec les crypto on est encore dans une autre d...

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