Pour ou contre : le bitcoin peut-il se relever de l'hiver crypto ? (Alexandre Stachtchenko face à David Cayla)

Entaché par les scandales FTX et Terra Luna, déprécié et boudé par ses partisans en 2022, le bitcoin voit néanmoins sa valeur repartir à la hausse depuis le début de l'année. Peut-il vraiment sortir de « l'hiver crypto » ? C'est le débat de la semaine entre David Cayla, économiste, et Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain et Cryptos chez KPMG France.
Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France, face à David Cayla, professeur d'économie à l'université d'Angers.
Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France, face à David Cayla, professeur d'économie à l'université d'Angers. (Crédits : Reuters)

L'année 2022 fut celle du revers de fortune pour le bitcoin. Après deux années 2020 et 2021 fastes qui ont vu sa valeur caracoler à des sommets inédits, la dynamique du jeton numérique s'est cassée net au printemps dernier. Depuis, sa valeur unitaire a été divisée par deux, tombant de 42.000 dollars en avril 2022 à 22.000 dollars aujourd'hui.

Derrière les habituels soubresauts du très volatil bitcoin s'est nouée une crise de confiance, alimentée par l'effondrement du stablecoin Terra en mai et surtout de la plateforme d'échange de référence FTX en novembre. A tel point qu'on parle d'« hiver crypto » dans l'industrie, sur fond de chutes des cours et de licenciements massifs chez des acteurs de référence comme Coinbase ou Crypto.com. Sous les vives critiques des présidents de la Fed et de la BCE, le crédit du bitcoin, et des cryptomonnaies, a fondu comme sa valeur.

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Son prix connaît une embellie depuis janvier avec une remontée de 15.000 dollars en décembre à 22.000 dollars aujourd'hui. De quoi retrouver les faveurs d'Elon Musk. L'entrepreneur, qui avait renoncé à permettre l'achat de ses Tesla en bitcoin en 2022, envisage aujourd'hui un service de paiement en bitcoin et en cryptomonnaies sur Twitter. Qu'on y voit un simple outil de spéculation ou une monnaie, l'avenir du bitcoin pose plus que jamais question.

Alors, le bitcoin peut-il se relever de l'« hiver crypto » ?

AS

Le bitcoin se distingue de la farandole de crypto-monnaies, dont certaines peuvent être assimilables à des pyramides de Ponzi. En quoi bitcoin est-il différent ? Qu'est-ce qu'il change dans le jeu financier ? C'est la première monnaie dont la propriété est certifiée numériquement, hors de toute institution ou tiers de confiance. La quasi-totalité des autres crypto-monnaies sont appuyées à une entreprise ou un sous-jacent. A ce titre, le bitcoin est la monnaie numérique la plus « pure », la première propriété privée numérique, d'autant plus résiliente qu'elle n'est pas dépendante d'un seul acteur. Devenue la monnaie alternative la plus universelle, elle est le dollar des crypto bien qu'elle ne soit pas nationale. La question est désormais de savoir si elle va être définitivement adoptée.

Pour en saisir l'intérêt, il faut se décentrer des pays occidentaux. En Occident, acheter du bitcoin est surtout un confort pour diversifier ses investissements. Mais pour quatre autres milliards d'utilisateurs potentiels, le bitcoin répond à de nombreux besoins : inclusion financière, préservation du patrimoine contre l'arbitraire et l'autoritarisme, ou encore protection contre la dévaluation ou la censure. D'ailleurs, en 2022, le seul gouvernement à avoir interdit le bitcoin est celui des talibans, notamment car il joue un rôle dans l'émancipation des femmes afghanes. Roya Mahboob, activiste afghane parmi les 100 personnalités de l'année 2013 selon le Time, qualifie le bitcoin « d'outil puissant pour obtenir la liberté », la Human Rights Foundation « d'échappatoire à la tyrannie », d'« argent de la liberté », quand l'économiste Vénézuélien Carlos Hernandez écrit dans le New York Times que le bitcoin est « plus qu'un buzzword quand vous vivez dans une économie qui s'effondre, sous une dictature qui s'effondre ». Autant de choses difficiles à comprendre quand on vit dans un pays stable, avec une monnaie qui sert de référence et d'étalon.

On lui fait le reproche d'être volatil. Il l'est par rapport au dollar et à l'euro, mais beaucoup moins comparé au pesos argentin ou à la livre libanaise. Pour les habitants de ces pays, le bitcoin constitue une valeur refuge, qui - bien qu'il fluctue - permet de disposer d'une épargne sécurisée et toujours accessible. D'année en année, de plus en plus de gens de pays émergents acquièrent du bitcoin. Ainsi du Nigéria où 30 à 50% de la population possède des cryptomonnaies - alors qu'elles y sont interdites. S'ils apportent moins de capital que les Occidentaux, ses acheteurs sont chaque année plus nombreux, renforçant de fait la confiance dans le bitcoin.

La corrélation entre la valeur de bitcoin et celles des marchés financiers s'observe depuis peu de temps, essentiellement depuis 2019-2020. Cela coïncide avec l'achat massif de bitcoins par des investisseurs professionnels à partir de 2019, et plus uniquement des particuliers. Face au retournement de conjoncture, les investisseurs corporate ont vendu massivement leurs portefeuilles de bitcoins et provoqué sa chute. La baisse du bitcoin témoigne de la prise de contrôle actuelle des financiers classiques sur le marché.

Quid de son avenir ? Il faut rester prudent, tant c'est un ovni financier. La pente la plus probable semble être une concentration du secteur des cryptos à mesure que leur usage se démocratise. La crise de confiance actuelle ne remet pas vraiment en cause l'envie naturelle de faire confiance à des professionnels pour garder ses cryptos, ce qui peut être perçu comme étant en contradiction avec la philosophie première du bitcoin. A la manière des débuts chaotiques d'Internet avant que n'émergent les GAFAS, les faillites et les crises dans le bitcoin pourraient déboucher sur l'émergence de grandes plateformes de référence pour l'achat, la vente et la conservation de bitcoins. A tout le moins, le bitcoin offre une alternative à la monnaie dette, et permet de posséder soi-même dans le monde numérique.

DC

Le bitcoin est né dans une période de crise, après le krach de 2008. A l'époque, il se présentait comme une innovation radicale et entendait répondre à la défiance envers l'État et les banques. Il s'agissait, pour ses partisans, de promouvoir un système financier et monétaire alternatif et autonome, détaché des États, des banques, qui ne reposerait pas sur des tiers de confiance. Cependant, force est de constater que le bitcoin tombe dans les mêmes travers que la finance classique. Le cours du bitcoin est procyclique, c'est-à-dire qu'il suit et amplifie les évolutions des marchés financiers traditionnels. Ainsi, contrairement à l'or ou au franc suisse, il ne s'agit pas d'une valeur refuge qui s'apprécierait en période de crise.

Alors que le bitcoin se présentait comme une technologie dont les échanges se font sans tiers de confiance, des plateformes comme FTX se sont imposées en tant qu'intermédiaires. À la chute de FTX, certains propriétaires de bitcoins se sont retrouvés dans l'impossibilité de retirer leur portefeuille de bitcoins. Ces épargnants ont été entraînés dans la chute de FTX, soulignant l'échec d'un bitcoin qui pourrait être protecteur du grand public et dont la valeur et la liquidité seraient garanties en toute occasion.

L'autre problème du bitcoin, qui sape son image auprès du grand public, c'est que son fonctionnement consomme énormément d'électricité. En effet, chaque transaction doit être validée par une preuve de travail qui implique de nombreux calculs de la part de centres de « minage » dont la consommation d'électricité annuelle totale est supérieure à 130 TWh, soit la consommation d'un pays tel que l'Argentine. Cette consommation d'énergie pose des problèmes aux pays qui accueillent ces centres tels que le Kazakhstan. Plus largement, l'usage du bitcoin s'avère très polluant. C'est en raison de cette image de monnaie destructive de la planète qu'Elon Musk, plutôt favorable aux crypto-monnaies, dut renoncer à accepter le paiement en bitcoin pour les véhicules Tesla.

De manière générale, le bitcoin génère peu de confiance. En réalité, on ne peut pas vraiment dire qu'il s'agisse d'une monnaie. Il n'en a, de fait, aucune des caractéristiques. Il n'a pas de cours légal, sa liquidité est faible et, la plupart du temps, il ne sert pratiquement jamais à acheter quoi que ce soit. En réalité, on devrait plutôt parler de crypto-actif. Mais il s'agit d'un actif particulier car, contrairement à une action ou une obligation, il ne génère aucun revenu. Si les gens détiennent des bitcoins, c'est uniquement pour des raisons spéculatives, parce qu'ils espèrent dégager une plus-value en le revendant plus tard, avec l'espoir que son cours augmente.

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Pour comprendre la nature spéculative du bitcoin, il faut regarder comment il a progressivement élargi sa communauté d'adoption. À l'origine, le bitcoin était un instrument marginal issu des communautés libertariennes qui souhaitent depuis longtemps introduire des monnaies « libres », détachées des États et de la dette. Puis, il s'est imposé dans des communautés « hacker » en raison de sa technologie spécifique, la blockchain. De là, il a ensuite touché les geeks, les cadres supérieurs adeptes d'innovation, puis le grand public, notamment au moment de la crise Covid de 2020. Mais ces derniers amateurs de bitcoin, très sensibles aux scandales récents, risquent de s'en détourner définitivement.

Au-delà de la crise de confiance épisodique de FTX, le bitcoin semble avoir atteint ses limites d'expansion. Il n'y a plus assez d'épargne fraîche pour l'alimenter, telle une pyramide de Ponzi qui s'écroule quand l'argent frais cesse d'affluer. Néanmoins, le noyau dur de partisans du bitcoin, souvent animés par une vision politique et par une croyance inébranlable en l'avenir de ce type d'instruments, va sans doute demeurer. Pour nombre de ses utilisateurs, l'effondrement récent du cours du bitcoin ne serait qu'une étape normale de consolidation. Ainsi, beaucoup d'entre eux estiment que le moment est opportun pour en racheter. On peut cependant douter qu'ils soient suffisamment nombreux et qu'ils détiennent suffisamment d'épargne pour permettre au bitcoin de retrouver le cours atteint en 2021.

Commentaires 7
à écrit le 04/03/2023 à 4:41
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Celui qui n'a pas encore acheté un btc en 2023 le regrettera amèrement en 2024/2025

à écrit le 03/03/2023 à 13:46
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Qu'elle est la valeur du "crypto" s'il n'y a pas de contrepartie réelle ? ;-)

le 03/03/2023 à 15:41
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Dans ce cas qu'elle est donc la valeur du dollar ou de l'euros vu qu'elles ne sont plus adossées à rien ?

à écrit le 02/03/2023 à 15:53
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Le bitcoint permet a tous les malfrast de la planete de faire leur business Comme c'est eux qui dirigent, le bitcoin survivra. Ils se foutent bien du cours puisque leur argent est d'origine "sale".

à écrit le 02/03/2023 à 10:03
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"le noyau dur de partisans du bitcoin, souvent animés par une vision politique et par une croyance inébranlable en l'avenir de ce type d'instruments, va sans doute demeurer." Certainement. Et il y aura tjrs un milliard de personnes souvent plus rich...

à écrit le 02/03/2023 à 8:33
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techniquement vca vaut 0, et ca coute de plus en plus cher de miner! on voit bien a quoi ca peut servir ( enfin, la blockchain du moins), pour le reste, les cryptoactifs ne sont pas des monnaies, ni meme des actifs vu qu'il n'y a rien derriere, sauf ...

le 02/03/2023 à 18:34
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bon limite on peut dire que c'est un cryptopassif, mais ca serait un peu trop subtil...) c est meme pas du vent c est de la perte énergie

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