Quand les chercheurs se transforment en "startuppeurs"

L'Afic a tenu l'édition 2015 de son forum du capital-innovation au ministère de la Recherche. Les fonds de capital-innovation sont l'un des maillons de la chaîne de financement des start-up issues de la recherche.
Christine Lejoux
C'est pour mieux valoriser la recherche publique dans le monde économique que le gouvernement a créé les Satt, en 2012.

Encourager encore davantage l'innovation, afin de remettre l'économie française sur les rails de la croissance. C'était l'un des messages délivrés par le Conseil d'analyse économique (CAE), dans un rapport publié le 1er octobre. Or, s'il existe des endroits qui regorgent d'innovations, ce sont bien les laboratoires de recherche. "Ce sont de véritables cavernes d'Ali Baba, énormément de pépites dorment sur nos étagères !", s'est exclamé Philippe Baptiste, directeur général délégué à la Science au CNRS, lors du forum du capital-innovation organisé par l'Afic (association française des investisseurs pour la croissance), le 18 mars.

C'est précisément pour mieux valoriser la recherche publique dans le monde économique que le gouvernement a créé les Satt (sociétés d'accélération du transfert de technologies), voici un peu plus de deux ans, dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir. Dotées de 900 millions d'euros sur une période de dix ans, les Satt ont pour mission de financer la maturation, c'est-à-dire l'étape qui permet de passer du résultat de la recherche à une technologie susceptible d'être commercialisée. Au nombre de 14 pour le moment, les Satt ont détecté 2.900 projets, ce qui a donné lieu au dépôt de 540 brevets, à quelque 140 licences d'exploitation conclues avec des entreprises françaises, ainsi qu'à la création d'une quarantaine de start-up.

Les Satt ont investi près de 70 millions d'euros depuis la fin 2012

"Nous lançons des appels à projet mais des chercheurs viennent également nous voir spontanément", a expliqué Chantal Vernis, Présidente de Lutech, l'une des Satt d'Ile-de-France, lors du forum du capital-innovation de l'Afic. Des chercheurs qui se transforment alors en startuppeurs. Ou pas. "Je ne me sentais pas en mesure d'endosser le costume de chef d'entreprise, aussi ai-je fait appel à Sam Guilaumé [ancien directeur commercial de Tracit Technologies (groupe Soitec) ; Ndlr]", raconte Bruno Flament, directeur de la technologie de Movea, la start-up qu'il a créée en 2007, lorsqu'il était chercheur au CEA-Leti, à Grenoble. A l'inverse, "sur la trentaine d'essaimages de laboratoires que nous avons financés, nous n'avons jamais mis une autre personne que le chercheur à la tête du projet, nous n'avons jamais décrété que le chercheur devait se cantonner à la recherche", témoigne Jérôme Lecoeur, président du directoire de la société de capital-innovation Innovacom.

Le capital-innovation, précisément, intervient après les Satt dans le financement des jeunes pousses issues de la recherche. En effet, les Satt - qui ont investi près de 70 millions d'euros dans la maturation de technologies depuis la fin 2012, via des tickets unitaires allant jusqu'à 500.000 euros - "n'ont pas la capacité de suivre (les futurs tours de table des start-up)", souligne Chantal Vernis. Les fonds de capital-innovation prennent alors le relais, "une fois l'innovation validée par une preuve de concept et la propriété intellectuelle bien définie", précise Philippe Tramoy, directeur de participations chez Seventure, dont le fonds Quadrivium est spécialisé dans le financement d'amorçage de start-up issues des laboratoires du CNRS, de l'Institut Curie ou encore de l'Université Paris IV Sorbonne. "Le métier du capital-innovation n'est pas de financer la maturation, lorsque le taux d'incertitude quant à la viabilité du projet est très élevé", renchérit Régis Saleur, directeur général de CEA investissement, filiale du CEA.

Un manque de fonds de capital-innovation de grande taille en Europe

Comme pour nombre de jeunes pousses françaises, qu'elles soient issues de la recherche ou non, c'est au moment des tours de table plus conséquents que le financement deviendra plus problématique, lorsqu'il s'agira de lever entre 5 millions et 30 millions d'euros, pour développer l'entreprise à l'international, par exemple. Et ce, en raison, notamment, du manque de fonds de capital-innovation de grande taille en France et, plus largement, en Europe. "Malgré des succès comme ceux d'Eurofins et de Supersonic Imagine, j'entends souvent les start-up dire qu'il est beaucoup plus difficile d'aller au deuxième tour de table", reconnaît Philippe Baptiste, du CNRS.

Faute de trouver les capitaux nécessaires à la poursuite de leur croissance, bien des start-up sont contraintes de se vendre à une autre entreprise, souvent étrangère. C'est le cas de Movea, rachetée en juillet dernier par InvenSense. D'aucuns pourraient regretter cette mainmise d'un industriel américain sur une technologie née au sein de la recherche publique française. Bruno Flament et Sam Guilaumé voient les choses différemment, arguant de la cinquantaine d'emplois créés par Movea à Grenoble, où demeure l'activité de recherche et développement de la start-up.

Christine Lejoux

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