Le sujet n'a jamais été aussi sensible. En France, de nombreux territoires ne disposent toujours pas de réseau mobile. La crise du Covid-19 a jeté une lumière crue sur cette fracture numérique qui plombe le pays depuis des années. Pour les habitants des zones blanches, où le mobile ne passe pas, le confinement a souvent pris des allures de chemin de croix. Dans ce contexte, les avancées du New Deal seront scrutées à la loupe. Signé en janvier 2018, cet accord entre l'Etat et les opérateurs doit permettre d'apporter la 4G à tous les Français. Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se sont notamment engagés à mettre en service des antennes de téléphonie mobile dans certains territoires peu peuplés à la demande des collectivités locales. Mais selon nos informations, ils sont en retard sur leurs obligations. La crise du coronavirus l'explique. Certes. Mais en partie seulement. « Aujourd'hui, certains opérateurs ne jouent pas vraiment le jeu », affirme à La Tribune une source proche du dossier.
L'enjeu est important. D'abord pour les habitants des zones rurales qui n'ont toujours pas accès au mobile. Ensuite pour le gouvernement, qui a fait de la fin des zones blanches une priorité politique. Et enfin pour les opérateurs eux mêmes, qui s'exposent à des sanctions de l'Arcep, le régulateur des télécoms. D'ici la fin du mois, l'autorité doit lever le voile sur le respect des obligations de déploiement des opérateurs. Interrogée par La Tribune, elle se refuse à tout commentaire.
« Changement de paradigme »
Si des opérateurs n'ont pas respecté leurs engagements, c'est toute la mécanique du New Deal qui pourrait être remise en cause. Cela constituerait un camouflet pour l'exécutif, qui a présenté cet accord inédit comme la meilleure solution au problème de la fracture numérique dans le mobile. Depuis sa signature, Julien Denormandie, le secrétaire d'Etat à la cohésion des territoires, le répète : le New Deal constitue « un changement de paradigme ». Celui-ci est intervenu au moment du renouvellement de certaines licences d'utilisation de fréquences mobiles aux opérateurs. Au lieu de profiter de l'occasion, comme c'était jusqu'alors l'usage, pour soutirer un maximum d'argent aux opérateurs, l'Etat a changé son fusil d'épaule. Il a refusé son chèque, mais a demandé, en échange, aux opérateurs d'investir environ 3 milliards d'euros pour en finir avec les zones blanches.
Le New Deal change aussi la manière de procéder. Par le passé, l'Etat fixait aux opérateurs des objectifs de pourcentage de couverture de la population. Dans ce système, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se ruaient, en priorité et pour des raisons économiques, dans les villes et zones les plus denses. Or dans le cadre du New Deal, un dispositif donne la main aux collectivités locales. Ce sont elles qui décident où implanter de nouvelles antennes, en fonction de leurs besoins. A leur initiative, l'Etat sélectionne 600 à 800 nouveaux sites 4G à construire par an, la plupart étant mutualisés entre les opérateurs. Cette fourchette n'a pas été choisie au hasard. Elle avoisine, au regard des évaluations de l'Arcep, le maximum de sites prioritaires que le secteur des télécoms peut construire chaque année. In fine, le New Deal, dans sa globalité, doit aboutir à la création d'environ 10.000 nouveaux sites.
Les inquiétudes de l'Arcep
Côté mise en œuvre, le gouvernement publie régulièrement, par arrêtés, des listes de sites mobiles à bâtir. Dès lors, les opérateurs disposent d'un délai maximum de deux ans pour les mettre en service. Au début du mois de juillet 2018, un premier arrêté a été publié. Celui-ci prévoyait la construction de 485 sites mobiles. C'est sur cette première fournée que l'Arcep précisera, ce mois-ci, si les opérateurs ont bien fait leur travail. Le secrétariat à la cohésion des territoires, lui, nous indique que cette première échéance « va être directement affectée par le Covid-19 ». « Mais nous allons tout faire pour que les engagements pris dans le cadre des prolongations de fréquences soient tenus par les quatre opérateurs », poursuivent les services de Julien Denormandie.
Jusqu'à présent, l'Arcep, elle, ne s'est pas montrée rassurée. C'est peu dire. L'été dernier, comme l'a révélé le quotidien Les Echos, l'autorité a adressé une « mise en demeure anticipée » à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. L'institution jugeait que les déploiements n'allaient pas assez vite. Au mois d'avril, lors d'une audition par une commission du Sénat, Sébastien Soriano, son président, a de nouveau tapé du poing sur la table. « Nous n'accepterons pas n'importe quel motif de retard au prétexte de la crise, a-t-il lancé. L'Arcep est un régulateur 'business friendly', il ne s'agit pas de devenir un garde-chiourne - pour autant, nous ne sommes pas naïfs. » Sa sortie a hérissé les opérateurs. Dans une interview au Figaro, Arthur Dreyfuss, le président de la Fédération française des télécoms (FFT), le lobby su secteur, a qualifié les propos de Sébastien Soriano d'« insultants ».
Bouygues plaide pour un « New deal 2 »
Ironie de cette affaire : deux opérateurs, Bouygues Telecom et SFR, jugent aujourd'hui qu'avec la crise du Covid-19, le secteur doit notamment mettre les bouchées doubles dans le déploiement de la 4G, plutôt que de se lancer tout de suite dans la 5G. Directeur général de Bouygues Telecom, Richard Viel a ainsi déclaré ce mardi aux Echos que « le New Deal n'était pas une science exacte ». « La crise nous a fait prendre conscience que beaucoup trop de nos concitoyens ne sont pas couverts en 4G », a-t-il lancé. Le dirigeant concède que Bouygues Telecom a pris « un léger retard » dans le New Deal, comme « les autres opérateurs », mais que celui-ci « est dû à la crise sanitaire actuelle ». Avant de plaider pour une accélération de la couverture 4G, via un « New Deal 2 », en échange d'une ristourne sur le prix des fréquences 5G. Pas sûr que le gouvernement et l'Arcep l'entendent de cette oreille.
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