Fibre : la loi anti-malfaçons sème la zizanie dans les télécoms

La proposition de loi votée mardi au Sénat pour en finir avec les dysfonctionnements sur les réseaux de fibre a accouché d’une situation explosive. Les piques se multiplient entre les opérateurs, le gouvernement, les parlementaires et différentes fédérations professionnelles.
Pierre Manière
Jean-Noêl Barrot, le ministre délégué en charge du Numérique et des Télécoms, est opposé à l'essentiel de la proposition de loi.
Jean-Noêl Barrot, le ministre délégué en charge du Numérique et des Télécoms, est opposé à l'essentiel de la proposition de loi. (Crédits : Reuters)

Un panier de crabes. Voici à quoi ressemble le petit monde des télécoms depuis l'adoption, mardi dernier au Sénat, d'une proposition de loi visant à en finir avec les malfaçons, les raccordements ratés et autres débranchements sauvages d'abonnés sur les réseaux de fibre. Le texte a semé la zizanie entre tous les acteurs du secteur, qui se tirent désormais joyeusement dans les pattes. À son initiative, Patrick Chaize, le sénateur (LR) de l'Ain, s'en est lui-même donné à cœur joie jeudi matin, lors d'une conférence de presse au Parlement. Il a taclé coup sur coup les opérateurs et le gouvernement, accusés de faire l'autruche face aux dysfonctionnements sur les réseaux fibre, et de les minimiser. « C'est à croire qu'ils n'en ont pas pris conscience ! », a déploré le parlementaire.

Surtout, il a accusé l'exécutif comme les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free de véhiculer « un mensonge » en arguant que sa proposition de loi allait entraver la fin du grand chantier du déploiement de la fibre. Aux yeux des opérateurs et de Jean-Noël Barrot, le ministre délégué en charge des Télécoms, le texte menace le mécanisme du raccordement des clients, appelé « mode STOC » (1). Ils arguent qu'avec cette nouvelle loi, cette tâche ne serait plus la chasse gardée des opérateurs commerciaux, mais relèverait du choix des opérateurs d'infrastructures, lesquels déploient la fibre dans tout le pays.

« C'est complètement dément »

« Faux », rétorque Patrick Chaize, qui se demande si le gouvernement et les opérateurs « ont bien lu son texte »À l'entendre, sa loi ne vise qu'à « accompagner » le mode STOC, sans le supprimer. « C'est seulement si les règles de l'art ne sont pas respectées lors du raccordement d'un client que l'opérateur d'infrastructures reprendra la main », se défend-il. Son argumentaire est cependant balayé avec force par Bercy et les opérateurs. « Le texte, en l'état du droit, remet en cause le mode STOC, s'agace-t-on au ministère. Il dit clairement que c'est l'opérateur d'infrastructures qui décide s'il veut laisser le raccordement final à l'opérateur commercial. »

L'exécutif estime aussi qu'un tel changement est particulièrement malvenu, alors que le déploiement de la fibre, initié en 2013, est censé s'achever dans moins de deux ans. « Lorsqu'on joue au Monopoly, on ne change pas les règles au moment d'acheter les hôtels », grince-t-on au ministère. Chez les opérateurs, même son de cloche. Un haut responsable d'un grand opérateur considère qu'avec sa loi, Patrick Chaize a ouvert la boîte de Pandore.

« Elle introduit une complexité délirante dans un système déjà compliqué, s'emporte-t-il. C'est complètement dément, explosifÇa va perdre tout le monde. On va générer des contentieux, des litiges, rajouter des coûts aux opérateurs... Ce texte, s'il passe, remet en question le chantier de la fibre. »

Des sous-traitants asphyxiés

Patrick Chaize, lui, reste droit dans ses bottes. Sa loi, renchérit-il, permettra aussi de doter l'Arcep de nouveaux pouvoirs pour contrôler la qualité des réseaux, et ainsi de sanctionner les opérateurs commerciaux. Ce dispositif vise à inciter les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free à mieux payer leurs sous-traitants en charge du raccordement de la fibre, dont beaucoup affirment ne plus avoir les moyens de travailler correctement.

Le sénateur a maintenant une priorité : tout faire pour que son texte soit inscrit dès que possible à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, où il a, aux dires de tous les acteurs, toutes les chances d'être voté. Patrick Chaize entend bien profiter de la tribune dont il bénéficiera le 16 mai prochain, lors d'un colloque de l'Avicca, l'influente association des collectivités engagées dans le numérique qu'il préside, pour vanter son texte. À cette occasion, il ne s'interdit pas de s'en prendre à Jean-Noël Barrot devant la presse et les élus locaux, très en colère contre les malfaçons sur les réseaux de fibre.

« Cher Patrick, encore bravo à toi »

Dans ce contexte électrique, InfraNum, la plus importante fédération du secteur des télécoms, est plus que jamais sous pression. Sa situation est pour le moins inconfortable car ses membres ne sont pas sur la même longueur d'onde vis-à-vis de la loi Chaize. La fédération rassemble, en effet, à la fois les opérateurs d'infrastructures, les opérateurs commerciaux, mais aussi les sous-traitants en charge des raccordements ! Le 26 avril dernier, InfraNum s'est notamment fendu d'un communiqué commun avec la Fédération française des télécoms (FFT), le lobby des opérateurs, pour dénoncer les conséquences de la loi Chaize. « Concrètement, la remise en cause du cadre actuel provoquerait un arrêt brutal des raccordements », avertissait la missive, très hostile à la proposition de loi.

Mais mardi, juste après l'adoption à l'unanimité du texte au Sénat, Philippe Le Grand, le président d'InfraNum, a félicité le sénateur. « Cher Patrick, ton engagement et ce que tu apportes au développement des infrastructures numériques dans les territoires est incontestable, a-t-il écrit sur Twitter. Encore bravo à toi. » De quoi provoquer des grincements de dents chez les opérateurs. « Il faut qu'il choisisse son camp ! », fulmine notre haut responsable d'un fournisseur d'accès à Internet. Avant de se faire menaçant : « Si InfraNum soutient publiquement la proposition de loi en notre nom, il y aura débat sur une sortie des opérateurs de la fédération », prévient-il.

Ne pas gâcher la fête

La dégradation des relations entre tous ces acteurs n'a rien de rassurant. Malgré certains dysfonctionnements, le chantier du déploiement de la fibre, qui a déjà coûté la bagatelle de 35 milliards d'euros, est globalement présenté comme un succès, avec plus de 80% des habitations éligibles à cette technologie. Ce résultat est d'abord le fruit d'une bonne entente entre le gouvernement, les collectivités et les opérateurs. Tous, au sein de la filière et chez l'exécutif, espèrent la fin des tensions pour ne pas gâcher la fête. Les prochaines semaines seront, à cet égard, décisives.

1. Le mode STOC (« sous-traitance opérateur commercial ») est le dispositif qui s'applique pour le raccordement final des abonnés à la fibre. Dans cette logique, l'opérateur d'infrastructures laisse ces interventions aux opérateurs commerciaux Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, lesquels font appel à différents sous-traitants pour les réaliser.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 06/05/2023 à 15:45
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Tous coupables ! Uberisation d'une filières , fermeture des PME TPE local au profits d'auto entrepreneurs non formés , habilités mais qui font le job pour 3 fois moins chère . Copinage , corruption des responsables d'activités qui ferme les yeux en d...

à écrit le 05/05/2023 à 14:40
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Une nouvelle loi n'est pas nécessaire , il existe déjà un arsenal juridique suffisant tant en droit pénal qu'en droit civile .Exemple la notion de tromperie sur la marchandise est un délit !!!

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