Le « oui mais » de l’Arcep sur un partage renforcé des réseaux mobiles

Selon le régulateur des télécoms, 38% des sites mobiles étaient mutualisés à quatre opérateurs au début de l'année. Alors qu’une partie de la sphère politique appelle à mettre les bouchées doubles sur ce front, notamment pour en finir avec la fracture numérique, le régulateur, lui, plaide pour un « équilibre » afin de ne pas déstabiliser le marché.
Pierre Manière
« En limitant la concurrence par les infrastructures, le partage de réseaux mobiles peut aussi limiter l’autonomie technique et commerciale de chaque opérateur et restreindre les incitations à l’investissement et l’innovation », écrit l’institution dans un rapport récent.
« En limitant la concurrence par les infrastructures, le partage de réseaux mobiles peut aussi limiter l’autonomie technique et commerciale de chaque opérateur et restreindre les incitations à l’investissement et l’innovation », écrit l’institution dans un rapport récent. (Crédits : Reuters)

Dans l'Hexagone, le développement de l'industrie des télécoms répond à un impératif : celui de la concurrence par les infrastructures. Cette règle, mise en place à l'ouverture du marché à la fin des années 1990, s'applique à tous les opérateurs, qu'il s'agisse d'Orange, de SFR, de Bouygues Telecom ou de Free. En clair, tous doivent construire et posséder leurs propres infrastructures. Dans le mobile, à eux de trouver des lieux pour installer des pylônes et y greffer les antennes qui permettront, in fine, aux consommateurs d'utiliser leurs smartphones.

Ce modèle est toujours perçu comme particulièrement efficace pour animer la compétition entre les opérateurs, et favoriser les investissements dans la couverture du territoire national. Mais il existe de nombreuses exceptions. Cela a notamment été le cas lors de l'arrivée de Free Mobile en 2012. L'opérateur ne disposait, alors, d'aucun parc d'antennes. Pour lancer son service, il a été autorisé à louer le réseau 2G et 3G d'Orange, via un accord dit « d'itinérance », le temps de bâtir le sien. En parallèle, l'Arcep accepte un certain niveau de mutualisation des réseaux entre opérateurs dans des zones moins rentables.

Les élus plaident pour davantage de mutualisation

L'exemple le plus important est l'accord Crozon signé en 2014 entre Bouygues Telecom et SFR. Cette mutualisation porte sur les zones les moins denses du pays (57% de la population) à l'exception des zones blanches. Ici, les opérateurs utilisent les mêmes antennes, mais chacun conserve ses propres fréquences. En outre, l'Arcep autorise et pousse depuis des années à la mutualisation des réseaux dans les zones blanches, où le mobile ne passe pas, et dans les campagnes et zones peu peuplées. Il faut dire que sinon, les opérateurs n'y iraient pas spontanément, car ces territoires sont jugés peu - voire pas - rentables.

Mais aujourd'hui, une large frange de la classe politique milite pour une mutualisation beaucoup plus poussée des infrastructures. Pourquoi ? Parce que la fracture numérique, malgré les efforts des différents gouvernements successifs et du régulateur, demeure une réalité. Les investissements des opérateurs sont principalement allés dans les grandes villes et territoires les plus peuplés. Or il reste encore, en France, de nombreuses zones très mal couvertes en 3G ou en 4G. En septembre 2021, un rapport du Sénat sur la couverture mobile du territoire pointait « les limites » du « modèle fondé sur la concurrence par les infrastructures », et appelait à « la nécessité de renforcer les mutualisations ».

L'Arcep veille à ne pas « restreindre » l'incitation à investir

Ses auteurs considèrent, en effet, que « les mutualisations sont encore insuffisantes entre les opérateurs »« Certains élus se plaignent de voir s'implanter de nouveaux pylônes dédiés à un seul opérateur, alors qu'un ou plusieurs autres pylônes sont déjà présents sur le territoire communal, fustigent-ils. Le jeu de la concurrence conduit à la multiplication des pylônes, ce qui n'est pas satisfaisant tant du point de vue écologique que de l'acceptation sociale des implantations. »

Ces critiques, l'Arcep les entend bien. Le 18 juillet dernier, elle a, pour la première fois, fait état du niveau de mutualisation des infrastructures mobiles en France. En métropole, quelque 38% des sites mobiles sont ainsi mutualisés à quatre opérateurs au 1er janvier 2022. L'institution en convient : le partage de réseaux a de gros avantages. Il permet aux opérateurs de modérer leurs investissements, « ce qui présente un effet favorable sur l'aménagement du territoire en permettant la couverture des zones les moins denses ». Sans oublier que  cela « peut également contribuer à la protection de l'environnement ».

Cela dit, le régulateur émet un bémol. Pas question, pour autant, d'ouvrir la porte en grand à la mutualisation. « En limitant la concurrence par les infrastructures, le partage de réseaux mobiles peut aussi limiter l'autonomie technique et commerciale de chaque opérateur et restreindre les incitations à l'investissement et l'innovation », justifie l'institution dans son rapport. Il s'agit, selon le régulateur, de trouver un juste « équilibre » pour ne pas déstabiliser le marché. Un argumentaire qui suscite toutefois des grincements de dents chez certains élus, à l'heure où l'accès à internet est devenu aussi essentiel que l'eau ou l'électricité.

Pierre Manière

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