La belle histoire va-t-elle se transformer en fiasco ? Alors que « le plus grand chantier de France », celui du déploiement de la fibre optique, a longtemps été présenté comme une « success story », les critiques fusent contre l'arrivée de ce nouveau réseau, qui doit être le fer de lance de la connectivité du pays pour les prochaines décennies. Si d'un côté, tous les acteurs se félicitent que trois Français sur quatre disposent aujourd'hui de cette technologie, le nec plus ultra pour accéder à Internet à la maison, les malfaçons pullulent sur les réseaux. Partout dans l'Hexagone, des armoires de rue, utilisées pour le raccordement final, se trouvent dans un état déplorable. À peine installées, certaines sont déjà défoncées, ouvertes aux quatre vents. Les câbles, eux, partent dans tous les sens. Ces dégradations ne sont pas sans conséquence : de nombreux abonnés sont confrontés à des pannes, à des déconnexions sauvages, et ont toutes les peines du monde, ensuite, à faire rétablir leur ligne.
Face à cela, la grogne monte à tous les niveaux. La semaine dernière, c'est l'Avicca qui a tapé du poing sur la table. Cette association, qui regroupe les collectivités impliquées dans le numérique, alertait depuis des mois sur ces malfaçons. Elle menaçait récemment de saisir le législateur pour régler ce problème si la situation ne s'améliorait pas. L'association a mis sa menace à exécution. Jeudi dernier, elle a annoncé le dépôt d'une proposition de loi « à visée coercitive » et, « le cas échéant », d'une enquête parlementaire, pour forcer les opérateurs télécoms à améliorer « une bonne fois pour toute » la qualité des raccordements à la fibre.
« La situation ne s'améliore pas »
« La situation nationale des réseaux publics fibre optique ne s'améliore pas, malgré nos alertes et demandes réitérées, a fustigé Patrick Chaize, le président de l'Avicca et sénateur de l'Ain (LR). Pire encore, elle s'est dégradée dans certains territoires. » Le parlementaire a assuré que la proposition de loi serait déposée « dans les prochains jours ». « Celle-ci vise à contraindre les opérateurs et leurs sous-traitants à réaliser des raccordements de qualité et à entretenir les équipements nécessaires (armoires techniques, câbles, poteaux...) pour que les abonnés ne subissent plus de pannes ni de déconnexions intempestives », précise l'Avicca dans un communiqué.
L'objectif est de fermer le robinet d'argent public consacré au déploiement de la fibre dans les campagnes et zones rurales, qui rassemblent environ 40% des habitations à raccorder. Ces « sanctions » devraient, espère l'Avicca, inciter les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free à mettre les bouchées doubles contre les malfaçons et les pannes qu'elles engendrent.
La souffrance de la filière de la sous-traitance
L'association n'est pas le seul acteur à afficher sa colère. Le gouvernement ne cache pas, non plus, sa préoccupation. Idem pour l'Arcep, le régulateur des télécoms. Tous sont au fait de ces problèmes, qui découlent, en réalité, du système mis en place pour déployer la fibre. Les opérateurs font ici appel à un vaste écosystème de sous-traitants. Or beaucoup d'entre eux ne travaillent pas dans les règles de l'art. « Ohé, les opérateurs commerciaux : faites le ménage chez vos sous-traitants !, a tempêté Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep, le 13 février dernier sur Twitter. Ce n'est pas acceptable. »
De leur côté, beaucoup de sous-traitants se plaignent des tarifs pratiqués par les opérateurs - et notamment par Orange, le premier opérateur français. Ils affirment que ces prix ne leur permettent plus de vivre correctement.
« Honnêtement, c'est extrêmement dur », explique un dirigeant d'un important sous-traitant à La Tribune. Celui-ci dénonce le comportement « extraordinairement violent d'Orange ». Dans son viseur figure notamment un nouveau système de pénalités mis en place par l'opérateur historique en cas de manquement des sous-traitants. Celui-ci vise à améliorer la qualité des prestations. Mais selon ce dirigeant, sa mise en place s'est faite de manière trop brutale, ce qui fragilise le secteur.
L'inflation plombe la filière
La filière de la sous-traitance, qui rassemble environ 40.000 personnes en France, souffre aussi fortement de l'inflation. L'explosion des prix à la pompe pèse sur les comptes de nombreuses entreprises qui, en bout de chaîne, ne s'y retrouvent plus. Le sujet est sensible. Il est même devenu la priorité de Philippe Le Grand, le président d'InfraNum, qui rassemble les industriels de la fibre. « Nous souhaitons mettre en place une indexation des contrats sur l'augmentation du coût de la vie », a-t-il affirmé dans un entretien à La Tribune le mois dernier.
- Lire aussi : « Les malfaçons sur les réseaux de fibre sont intolérables » (Philippe Le Grand, InfraNum)
Ces derniers mois, les initiatives visant à mettre fin aux malfaçons se sont multipliées. InfraNum va, d'ailleurs, présenter un plan qui doit être opérationnel à la rentrée. Les opérateurs ont également dévoilé de nouvelles propositions. Le mois dernier, leur lobby, la Fédération française des télécoms (FFT), a dégainé un dispositif pour améliorer la qualité de service sur les réseaux. En novembre dernier, l'Arcep a, elle aussi, annoncé un « plan d'action »... Mais pour l'heure, et comme le fustige l'Avicca, « la situation reste dans l'impasse ».
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