Les startups, des antennes de l'innovation dans les télécoms

En France, les groupes de télécommunications collaborent de plus en plus avec les startups pour développer de nouveaux services. Les jeunes pousses leur sont de plus en plus essentielles pour se démarquer dans un marché où la concurrence bat son plein.
Pierre Manière

Au Mobile World Congress de Barcelone, fin février, la déferlante de startups a surpris plus d'un habitué. Lors de ce grand salon mondial des télécoms, les jeunes pousses françaises, déjà stars au CES de Las Vegas, n'étaient pas en reste. Sous l'étendard de la French Tech, quelque 60 startups avaient déployé leurs tentes pour montrer leurs innovations aux gros industriels du monde entier. À la tête de CopSonic, Fayssal Majid était aux anges. Lui, qui commercialise une solution de communication par ultrasons (notamment utile dans le paiement mobile), a été repéré par les organisateurs de l'événement. Ce qui lui a valu des visites de représentants de grands groupes susceptibles d'adopter sa technologie.

Dans les télécoms, innover, améliorer les réseaux et déployer de nouveaux services n'est pas un luxe. C'est historiquement le nerf de la guerre de cette industrie où tout va très vite, et où les opérateurs investissent facilement l'équivalent de 15% à 30% de leur chiffre d'affaires chaque année. Or aujourd'hui, « l'innovation a changé d'adresse », comme le rappelle Stéphane Richard, dans son ouvrage Numériques (Grasset, 2014).

Dans le bouillon numérique actuel, l'innovation « ne peut plus se découper par segment ; elle est devenue aléatoire, itérative, et cela en raison d'un nombre grandissant d'entreprises, de toutes tailles et indépendantes les unes des autres », constate le PDG d'Orange. Lequel conclut que « chaque nouvelle fonctionnalité ou innovation élémentaire est le fruit d'un enchevêtrement complexe de contributions provenant de multiples sociétés, le plus souvent de startups agiles et parfois éphémères, "aplatissant" ainsi un processus d'innovation auparavant très hiérarchique et codifié ».

« Big data », Fintechs et réalité virtuelle

En conséquence, les grands groupes comme Orange ne peuvent plus fonctionner en vase clos, en misant seulement sur leurs services de recherche et développement. L'ouverture à l'écosystème des startups est aujourd'hui devenue un passage quasi obligé. Pour Orange, l'objectif est clair : ratisser large. Du financement des startups en passant par leur incubation, le géant français des télécoms s'appuie sur plusieurs structures. En premier lieu, il y a Orange Digital Investment (ODI). Présidée par Pierre Louette, par ailleurs directeur général adjoint de l'opérateur, cette structure, qui pèse 300 millions d'euros, regroupe toutes les activités réservées à l'investissement dans les startups.

« Il y a d'abord les fonds dont nous sommes actionnaires, explique Pierre Louette. Parmi eux, Iris, créé conjointement avec Publicis en 2012. On y a déjà apporté 75 millions d'euros, et on s'apprête à le renflouer à la même hauteur. »

Ici, Orange confie à des équipes spécialisées la gestion des participations, qui se situent entre 3 et 5 millions d'euros. Derrière la volonté affichée « de participer au financement de l'innovation », l'opérateur veut surtout bénéficier d'un bon retour sur investissement. Chaque euro misé doit impérativement faire des petits. Orange dispose d'un autre fond, Orange Digital Ventures (ODV). Contrairement au premier, l'opérateur prend ici directement des participations minoritaires dans des startups en développement, à hauteur de 20 millions d'euros par an. Fintech, Inter-net des objets, big data... ODV cible les domaines où l'opérateur souhaite se renforcer. Parmi les derniers tickets investis, on trouve KissKissBankBank, le chef de file français du financement participatif, Wevr, un hébergeur vidéo de réalité virtuelle, ou encore Afrostream, un service consacré aux films et séries africaines.

« Sur ce créneau, on ne fait pas que mettre de l'argent. On épaule ces sociétés en leur donnant accès à notre base de clients ou à nos experts. Mais elles gardent leur indépendance : pas question de les étouffer en leur disant ce qu'elles doivent faire », insiste Pierre Louette.

Ainsi, Afrostream permet actuellement à Orange d'enrichir son offre vidéo en Afrique, sachant que l'offre est présente dans plus de 20 pays sur ce continent. Enfin, la dernière activité d'ODI concerne les participations stratégiques dans des pépites matures, à l'instar des 10 % du groupe dans Dailymotion, ou de ses 15% dans Deezer.

« On ne sait pas tout faire »

Outre l'investissement, Orange dispose de dix « Orange Fab » à travers le monde. Présents en Europe, en Afrique, aux États-Unis et en Asie, ces accélérateurs de startups permettent au groupe de se tenir au courant des innovations en vogue. En outre, l'opérateur table sur des passerelles entre ses « fabs » et les fonds d'ODI pour déployer de nouveaux services. « Afrimarket [qui permet d'envoyer de l'argent en Afrique pour payer directement des biens, ndlr] a été incubée dans un fab avant de lever des fonds auprès d'ODV », explique Pierre Louette.

Bien plus petit que le mastodonte Orange, Bouygues Telecom ne joue pas dans la même cour vis-à-vis des startups. Pourtant, l'opérateur s'ouvre de plus en plus à cet écosystème. Pourquoi ?

« Parce que les startups nous apportent de la créativité. Et [qu'avec notre taille], on ne sait pas toujours tout faire », explique Sylvain Goussot, le directeur de l'innovation de l'opérateur.

Pour ce faire, Bouygues Telecom mise notamment sur BT Initiatives. Créé en 2009, ce fonds d'amorçage compte près de 30 startups à son portefeuille. L'objectif est ici d'accompagner financièrement des jeunes pousses dont les services intéressent l'opérateur. Parmi elles, il y a Recommerce, un spécialiste de reprise et de revente de smartphones, qui a permis à Bouygues Telecom de monter sa propre plateforme.

SFR en pleine réorganisation

Pour développer son nouveau boîtier Miami, l'opérateur est aussi allé chercher du côté des « petits ».

« On a notamment travaillé avec Ifeelsmart, qui a conçu toute l'interface utilisateur », souligne Sylvain Goussot.

Dans les nouveaux marchés où ses ressources internes sont limitées, Bouygues Telecom compte largement sur les startups pour aller de l'avant. Avec Objenious, sa filiale consacrée à l'Internet des objets, celles-ci sont largement sollicitées. Parmi ses partenaires, il y a par exemple Wistiki. En collaboration avec Objenious, cette société prépare une nouvelle gamme de traceurs pour localiser les objets du quotidien (bagages, portefeuilles ou clés) sans abonnement.

Chez SFR en revanche, la stratégie liée à l'innovation et aux startups est à l'image de celle de sa maison mère Altice : en plein chantier. Après avoir racheté moult opérateurs (la marque au carré rouge, mais aussi Portugal Telecom ou Suddenlink aux États-Unis), ces deux dernières années, le groupe tentaculaire de Patrick Drahi doit réorganiser toutes ses équipes de recherche, réaliser des synergies, et chasser les doublons. Ce point constitue d'ailleurs une des principales inquiétudes des observateurs, qui doutent de la capacité d'Altice à y parvenir. Pour balayer ces critiques, Michel Combes, directeur des opérations du groupe et PDG de SFR, a annoncé en novembre dernier la création d'« Altice Labs ». L'objectif ? Permettre à tous ses ingénieurs et chercheurs d'échanger sur leurs travaux dans tous les pays du groupe. Pour l'heure, une de ces « plateformes technologiques », dixit Michel Combes, a été lancée au Portugal. Et une autre doit bientôt voir le jour en France. Le groupe souhaite ouvrir ces « labs » aux startups. « L'idée, c'est de leur mettre à disposition nos ingénieurs et nos infrastructures pour qu'elles développent des produits et services différenciants, explique le directeur des opérations. Au besoin, on est évidemment prêt à les référencer dans nos offres commerciales. »

À Free en revanche, l'ouverture aux startups est indissociable de celle de Xavier Niel. Le patron et fondateur du « trublion des télécoms » investit de longue date et à tour de bras dans des centaines de startups du numérique. Insatiable sur ce créneau, il finance actuellement la rénovation de la halle Freyssinet à Paris, présentée comme « le plus grand incubateur du monde ». De quoi profiter et se tenir au courant des prochaines innovations de rupture.

Pierre Manière

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