Pourquoi Nokia quitte une alliance industrielle autour de la 5G

Le géant finlandais des équipements télécoms a décidé de se tenir à l’écart de l’alliance O-RAN. Celle-ci doit permettre, via une uniformisation de normes et de standards, à différents industriels des télécoms, petits ou grands, d’apporter certaines briques technologiques utiles aux infrastructures et logiciels nécessaires à la 5G. Le problème, pour Nokia, est que plusieurs sociétés chinoises de cette alliance figurent sur une liste noire des Etats-Unis. Le groupe redoute de s’exposer à des sanctions en travaillant avec elles.
Pierre Manière
Dans un mail consulté par le site Politico, Nokia a expliqué « n’avoir d’autre choix que de suspendre toutes (ses) activités techniques » avec l’alliance O-RAN.
Dans un mail consulté par le site Politico, Nokia a expliqué « n’avoir d’autre choix que de suspendre toutes (ses) activités techniques » avec l’alliance O-RAN. (Crédits : SERGIO PEREZ)

C'est un coup dur pour l'alliance O-RAN. Ce groupement industriel, qui a vu le jour en 2019, vise à promouvoir l'« open RAN » (Open Radio Access Networks), à savoir une 5G plus ouverte. Son objectif ? Permettre, via une harmonisation des normes et des standards, à des industriels et sociétés de logiciels, petits ou grands, d'apporter différentes briques technologiques utiles à la nouvelle génération de communication mobile. L'enjeu est, in fine, de favoriser la concurrence sur ce segment stratégique, qui est aujourd'hui la chasse gardée de quatre acteurs, à savoir les chinois Huawei ainsi que ZTE, le suédois Ericsson et le finlandais Nokia. Problème : ce dernier a décidé de claquer la porte de l'alliance.

Dans un email consulté par le site Politico, Nokia explique « n'avoir d'autre choix que de suspendre toutes (ses) activités techniques » avec l'alliance O-RAN. Pourquoi diable l'équipementier finlandais, numéro trois du secteur, a-t-il pris une telle décision ? Parce qu'il constate que, parmi les membres de l'alliance, trois sociétés chinoises figurent dans le viseur de Washington. Il y a d'abord la société de puces Kindroid et le spécialiste des supercalculateurs Phytium. Ces deux acteurs ont été placé sur la liste noire du Département du commerce des Etats-Unis, qui les perçoit comme une menace potentielle pour la sécurité nationale. Conséquence: elles n'ont notamment pas le droit de commercialiser leurs produits au pays de l'Oncle Sam sans autorisation. Enfin, il y a le fabricant de serveurs Inspur qui a, de son côté, « été visé par un décret visant à empêcher les investissements américains dans les technologies chinoises sensibles », note Politico.

L'initiative de Nokia va-t-elle faire boule de neige ?

Nokia redoute de s'exposer lui-même à des sanctions du pays de l'Oncle Sam en travaillant avec ces sociétés. L'équipementier finlandais souligne, en revanche, qu'il ne compte pas se retirer définitivement de l'alliance O-RAN: il ne s'agit, rassure le groupe, que d'une « pause ». Le temps que les Etats-Unis précisent dans quelles conditions les industriels chinois peuvent travailler au sein de l'alliance O-RAN. Quoi qu'il en soit, la décision de Nokia interpelle. D'autres membre de l'alliance peuvent légitimement avoir les mêmes inquiétudes. A commencer par son grand rival, le suédois Ericsson, qui dispose de grosses parts de marché de l'autre côté de l'Atlantique. Mais aussi les grands opérateurs comme Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Vodafone ou encore Telecom Italia.

L'initiative de Nokia va-t-elle faire boule de neige, jusqu'à plomber l'alliance O-RAN ? Rien ne l'indique. Pour l'heure du moins. L'ironie est qu'aujourd'hui, les Etats-Unis comptent parmi les plus fervents défenseur de l'« open RAN » ! Washington espère que ses industriels vont massivement s'y imposer, ce qui permettrait au pays de retrouver une place de choix dans le marché des équipements de réseaux mobiles. Aujourd'hui, les Etats-Unis ne disposent plus d'aucun géant dans ce secteur stratégique. La Maison Blanche voit aussi dans l'« open RAN » une alternative de long terme au chinois Huawei, aujourd'hui leader technologique incontesté du marché de la 5G.

Cela dit, on peut, légitimement, s'interroger sur les intentions réelles de Nokia. L'équipementier télécoms ne souhaiterait-il pas, en réalité, entraver l'arrivée de l'« open RAN » ? Nokia a, sur le papier, plutôt intérêt à éviter que le secteur devienne trop concurrentiel, ce qui réduirait, à terme, ses profits. A contrario, les opérateurs télécoms, eux, voient dans l'« open RAN » un levier de choix pour réduire la facture du déploiement de la 5G, et demain de la 6G.

Quand Vodafone boude Nokia, Ericsson et Huawei

C'est notamment le cas de Vodafone. Le géant britannique du mobile a annoncé, en juin dernier, vouloir bâtir « l'un des plus grands réseaux 'open RAN' au monde ». Pour ce faire, il compte s'appuyer sur des acteurs alternatifs à Huawei, Ericsson et Nokia pour équiper 2.500 tours télécoms. Il s'agit du sud-coréen Samsung Electronics, des américains Wind River et Keysight Technologies et du français Capgemini Engineering.

« Dès cette année, les fournisseurs travailleront avec Vodafone pour étendre la couverture 4G et 5G à des endroits plus ruraux dans le sud-ouest de l'Angleterre, et dans la majeure partie du pays de Galles, pour passer aux zones urbaines dans une phase ultérieure, a précisé l'opérateur dans son communiqué. Vodafone travaille également au lancement de l'open RAN dans d'autres pays d'Europe et d'Afrique. »

L'opérateur n'y voit que des bénéfices. « L'open RAN favorisera l'innovation grâce à un écosystème de fournisseurs diversifié et ouvert, précise-t-il. Il conduira à un réseau du futur plus rentable, plus sûr, plus économe en énergie et plus axé sur le client. » Pas sûr, en revanche, que Nokia, Ericsson et Huawei voient cette initiative d'un bon œil...

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 07/09/2021 à 17:40
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à écrit le 06/09/2021 à 17:51
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Nokia a mis donc 2 ans pour mettre ses lunettes... ce n'est pas encourageant!

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