La 5G « ouverte » : la nouvelle arme des Etats-Unis pour contrer Huawei

Les sanctions lancées sous l'administration Trump contre le géant chinois n'ont pas menacé la domination mondiale de ce dernier dans les équipements 5G. En misant sur une technologie ouverte qui permet mélanger les équipements et logiciels de différents fournisseurs, l'administration Biden espère réussir là où les sanctions ont échoué, tout en jouant sur l'avantage qu'ont les États-Unis autour du logiciel. Décryptage.
(Crédits : MICHELE TANTUSSI)

La méthode change, l'objectif reste le même. Troquant le bâton contre la carotte sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont mis en place divers programmes de formation et d'incitation à destination des pays alliés souhaitant construire des équipements 5G dépourvus de toute technologie estampillée Huawei. Une rupture face à la politique de Donald Trump, faite de sanctions directes infligées au constructeur chinois, qui sert toutefois un but similaire : contrer la suprématie de Huawei autour de la 5G. En dépit des mesures de rétorsion américaines, le géant chinois demeure le leader mondial dans les équipements de réseaux télécoms, avec 31% de parts de marché. Il constitue en outre, avec son confrère ZTE et les européens Ericsson et Nokia, l'un des quatre poids lourds internationaux spécialisés dans les infrastructures et équipements 5G.

De champions, l'Amérique, elle, n'en a aucun. Fort de ce constat, le gouvernement américain s'efforce actuellement de sortir un nouvel atout de sa manche : la technologie ouverte, à travers l'Open RAN, un nouveau type d'infrastructures qui permet le décloisonnement des équipements et interfaces, ainsi que la virtualisation des fonctions réseau.

Décloisonner la 5G

À l'heure actuelle, l'infrastructure proposée par Huawei, ZTE, Nokia et Ericsson fonctionne en vase clos : on choisit l'un des quatre constructeurs, et l'on doit ensuite recourir exclusivement à son matériel et son logiciel pour le fonctionnement de son réseau 5G. Avec l'Open RAN, ce n'est plus le cas : on peut mélanger les équipements et logiciels de différents fournisseurs.

« La 5G introduit une rupture en incluant la désagrégation des réseaux, le cloud et les interfaces ouvertes dans son architecture. L'Open RAN pousse cette logique encore plus loin en ouvrant l'interface radio des réseaux, qui jusqu'ici sont demeurés fermés et propriétaires », affirme Stephen Douglas, Head of 5G Strategychez Spirent, opérateur des télécommunications britannique.

Un grand décloisonnement susceptible de briser les silos entre les différents environnements 5G, et donc de contester la suprématie des ténors actuels du marché, stimuler la compétition et faire émerger de nouveaux acteurs. Du pain béni pour l'écosystème américain, lequel, démuni dans le domaine des infrastructures 5G, possède en revanche de jeunes acteurs dynamiques prêts à se positionner sur le marché de l'Open RAN, dont Airspan Networks, JMA, Parallel Wireless ou encore Mavenir, qui a récemment conclu un partenariat avec Orange.

« Nous pensons que l'Open RAN constitue l'avenir. Tous les opérateurs développent des systèmes ouverts, c'est donc une simple question de temps avant que la technologie ne s'impose. Elle est plus économique, promeut l'innovation, de nouveaux modèles d'affaires, notamment autour de l'industrie 4.0, et permet de passer plus rapidement à l'échelle», déclare Stefano Cantarelli, Chief Marketing Officerde Mavenir.

Le logiciel dévore tout... y compris la 5G

C'est pourquoi, le 14 janvier 2020, un groupe bipartisan de six sénateurs américains a déposé un projet de loi visant à développer une architecture 5G ouverte pour doper la concurrence occidentale face à Huawei et ZTE. Quelques mois plus tard, un rapport de l'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), un laboratoire d'idées consacrée aux politiques scientifiques et technologiques, appelait le gouvernement américain à adopter une politique nationale autour de la 5G, qui miserait sur la virtualisation des réseaux pour jouer sur les forces de l'industrie américaine et contrer Huawei.

 « Il y a plusieurs manières de construire un réseau 5G. Il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur les équipements de Huawei. On peut, à la place, virtualiser les réseaux en utilisant de l'équipement généraliste avec interfaces ouvertes et du logiciel sophistiqué. Cette stratégie jouerait sur les points forts de l'Amérique», affirmait alors Doug Brake, auteur du rapport.

Ses prières ont été entendues. En juin dernier, le Sénat a voté un investissement de 1,5 milliard de dollars dans la 5G, qui vise notamment à développer l'Open RAN. Quelques mois plus tôt, la Darpa tissait de son côté un accord avec la Linux Foundation, pilier du logiciel libre, pour le développement d'une 5G ouverte.

Mais l'Open RAN promet également de faire entrer la 5G dans l'ère du logiciel : en effet, la virtualisation permet de transférer certaines fonctions actuellement assurées par du matériel propriétaire vers le cloud. Ce basculement vers le logiciel apporte des avantages similaires à l'émergence du cloud computing dans l'informatique : vitesse de déploiement plus rapide, possibilité d'augmenter ou diminuer rapidement les capacités en fonction de besoins, économies d'énergie permises par cette adaptation chirurgicale de la consommation aux besoins...

Les États-Unis veulent faire jouer leur avantage sur le logiciel

Mais du point de vue américain, la virtualisation comporte encore un avantage supplémentaire, le pays possédant certaines des meilleures entreprises de logiciel au monde, domaine qui constitue le point faible des géants chinois, selon Thomas J. Duesterberg,senior fellowau Hudson Institute, un laboratoire d'idées américain.

« Huawei et ZTE sont d'excellents équipementiers, mais n'ont pas de véritable expertise sur le logiciel, contrairement aux géants technologiques américains. »

Pas étonnant, dès lors, que ces entreprises se trouvent aux avant-postes lorsqu'il s'agit de promouvoir la 5G ouverte. Facebook soutient ainsi l'Open RAN à travers son Telecom Infra Project, et la Open RAN Policy Coalition, qui milite pour que les autorités américaines promeuvent une 5G ouverte (et sans Huawei) rassemble, entre autres, Dell, Google, IBM, Intel, Oracle, Cisco, Amazon Web Services (AWS) et VMware.

« Notre point de vue, désormais très répandu dans l'industrie, est que l'infrastructure de la 5G et des futures générations ne suivra pas le modèle des télécoms traditionnel », affirmait ainsi récemment John Roese, chief technology officer de Dell Technologies, dans une interview.

Parmi les initiatives les plus avancées, citons celle de Dish Network, société américaine de diffusion de télévision par satellite, qui s'efforce de construire un réseau de 5G ouverte outre-Atlantique, en partenariat avec certains géants de la tech américains. L'objectif : mettre en place une première offre à Las Vegas l'an prochain, qui doit être étendue à tout le pays en 2023. Un projet qui servira de test grandeur nature pour les ambitions américaines, selon Thomas Duesterberg.

« Dish Networks ont, de par leur métier, sécurisé une large quantité de spectre de fréquence dont on a besoin pour opérer ce type de système. Ils ont également la trésorerie suffisante pour se donner les moyens de leurs ambitions, et ont reçu l'autorisation du Département de la Justice pour se lancer», constate-t-il.

L'entreprise a conclu un accord avec AWS, qui s'occupera de la partie logiciel. « La valeur ajoutée va clairement reposer sur le logiciel, c'est pourquoi des entreprises comme Amazon entrent dans la partie. Microsoft a de son côté tissé un accord similaire avec AT&T...»

Limiter les risques géopolitiques

L'Amérique ne peut toutefois faire cavalier seul : pour que cette stratégie fonctionne, les pays alliés doivent également miser sur la 5G ouverte. Le Japon s'impose d'ores et déjà comme un partenaire privilégié. Le géant du commerce en ligne Rakuten y déploie un ambitieux projet censé couvrir tout le territoire, qui compte déjà trois millions d'utilisateurs. 6 000 stations ont pour l'heure été déployées, et l'entreprise entend ainsi apporter la 5G ouverte à 70% de sa population d'ici la fin de l'année. Les américains Altiostar, Cisco, Red Hat et Qualcomm sont tous partenaires de ce projet.

L'Europe, qui possède deux équipementiers majeurs (Nokia et Ericsson) subissant de plein fouet la concurrence des géants chinois, et s'est de surcroît retrouvée prise entre deux feux dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, se laisse également tenter par la 5G ouverte. Dans un monde où les géants technologiques peuvent être victimes des querelles politiques, miser sur l'ouverture et la concurrence apparaît comme un meilleur moyen d'assurer la résilience de ses infrastructures de télécommunication.

Au Royaume-Uni, une équipe chargée par le gouvernement de s'affranchir des équipements Huawei dans les télécoms (but qui doit être atteint à l'horizon 2027 sur ordre des autorités), recommande que des équipementiers nouveaux ou utilisant un logiciel ouvert constituent 25% de l'infrastructure des télécommunications d'ici 2025. Le gouvernement allemand va pour sa part investir deux milliards de dollars dans cette technologie.

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Commentaires 14
à écrit le 30/07/2021 à 2:40
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Nokia sera avalé par les USA puis fusionné avec Cisco ou autre pour venir compléter les rangs des GAFAM .. On connaît les méthodes américaines ,ils décident ,on s'exécute .

à écrit le 22/07/2021 à 13:54
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Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Edition (sortie 10 mars 2021). L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile les desseins secrets de la Chine avec l'installation de la 5G en France. Un néo-pola...

à écrit le 21/07/2021 à 15:56
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Tour le monde sait que les chinois ont pompés (volés) les secrets occidentaux (comme dans bien d'autres domaines) pour construire une industrie téléphonique puissante en si peu d'années, donc réponse du berger à la bergère . . . .

à écrit le 21/07/2021 à 13:35
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Qu attendent les pays européen pour s’entendre et non se concurrencer ce qui fait le jeu chinois et usa? On a les équipementiers faut créerl écosystème il en va de notre indépendance économique et politique la commission Européenne ne peut pas tout...

à écrit le 21/07/2021 à 13:35
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Qu attendent les pays européen pour s’entendre et non se concurrencer ce qui fait le jeu chinois et usa? On a les équipementiers faut créerl écosystème il en va de notre indépendance économique et politique la commission Européenne ne peut pas tout...

à écrit le 21/07/2021 à 13:34
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Qu attendent les pays européen pour s’entendre et non se concurrencer ce qui fait le jeu chinois et usa? On a les équipementiers faut créerl écosystème il en va de notre indépendance économique et politique la commission Européenne ne peut pas tout...

à écrit le 21/07/2021 à 13:33
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Qu attendent les pays européen pour s’entendre et non se concurrencer ce qui fait le jeu chinois et usa? On a les équipementiers faut créerl écosystème il en va de notre indépendance économique et politique

à écrit le 21/07/2021 à 13:33
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Qu attendent les pays européen pour d entendre et on se concurrencer ce qui fait le jeu chinois et usa? On a les équipementiers faut crée l écosystème il en va de notre indépendance économique et politique

à écrit le 21/07/2021 à 13:28
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Alors le amish qui s'est fait espionné par les outils qu'il professe !! trop fort, cela montre le niveau de maîtrise !!! Jupiter a enfourché pégase quand il a compris que c'était pégassus?

à écrit le 21/07/2021 à 13:12
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Une vraie bonne idée ? Sur quoi se base-t-elle ? Que cela suggère-t-il ? Blasé et toujours en surface... il convient de creuser les sujets. Les américains sont les rois des protocoles propriétaires (Apple, Cisco, ...), ils veulent juste ici que les...

le 22/07/2021 à 11:52
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Merci pour votre clairvoyance.. tant que les opérateurs utilisent du Nokia ou du Ericsson non, il ne sont pas dans la main des gafam et c est pour ça qu ils essaient de developper le telco cloud. Merci de nous épargner vos propos simplistes

à écrit le 21/07/2021 à 13:11
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@ Citoyen Blasé Une très mauvaise idée qui n’améliorera en aucun cas les performances, augmentera les failles de sécurité potentielles, n’amènera qu’un gain de coût marginal (voir rapport de Widelity à la FCC sur le sujet) et qui cerise sur le gâtea...

le 22/07/2021 à 10:24
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"on met les opérateurs EU dans les mains des GAFAM " ILs y sont déjà, réveillez vous les gars depuis le temps que je vous le dis... J'espère que vous n'avez pas un poste à responsabilité. -_-

à écrit le 21/07/2021 à 10:21
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Une très bonne idée qui va bien au delà de la volonté de sanctionner huawei.

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