Dans le petit monde des réseaux sous-marins, Amitié est comparable à une autoroute quatre voies. Ce nouveau câble sous-marin transatlantique, dont les opérations sont en cours pour le faire atterrir au Porge, près de Bordeaux, est un monstre de puissance. Longue de 6.800 km, cette nouvelle artère reliant les Etats-Unis au Vieux Continent dispose de pas moins de 16 paires de fibre optique. Chacune offre une capacité maximale de 23 térabits par seconde. Fruit d'un investissement entre Facebook, Orange et le britannique Vodafone, Amitié se paye même le luxe d'être un peu plus puissant que Dunant, le méga-câble transatlantique de Google récemment entré en service. Ce dernier ne dispose « que » de 12 paires de fibre, même si chacune d'elle est capable de délivrer jusqu'à 30 térabits de données par seconde.
Amitié sera opérationnel début 2022. Il reliera la côte Est du pays de l'Oncle Sam, via l'état du Massachusetts, à l'Europe par deux pays : la France, donc, où il sortira de mer au Porge avant de terminer sa course à Bordeaux, et le Royaume-Uni, via la petite ville balnéaire de Bude, au nord des Cornouailles. Pourquoi avoir choisi Le Porge ? « Parce que c'est un endroit qui est relativement près de Bordeaux - ce qui limite le nombre de tranchées à creuser - et où l'érosion marine est faible. Une fois que le câble sera enfoui, il restera protégé pendant longtemps », explique Jean-Luc Vuillemin, directeur des services et réseaux internationaux d'Orange. « L'érosion est l'ennemi des câbles sous-marins, poursuit le dirigeant. Si elle est importante, le câble ressort au bout de quelques années. Il devient alors vulnérable aux interventions humaines. »
Un coût de 250 millions d'euros
Facebook utilisera la majeure partie de la capacité de cette artère. Orange, qui s'occupera notamment de l'exploitation et de la maintenance de la station d'atterrissement en France, disposera de deux paires de fibre. Amitié et Dunant remplissent un rôle essentiel : il doivent permettre d'absorber l'explosion du trafic de données entre les Etats-Unis et l'Europe. A elles seules, ces deux nouvelles liaisons transatlantiques surpuissantes illustrent à quel point le Vieux Continent s'est converti aux services des GAFA. Une large partie des données des Européens, particuliers et entreprises, étant stockée dans des data centers américains, les câbles sous-marins sont indispensables pour leur permettre d'y accéder.
Avec Amitié, Orange consolide sa position dans les communications transatlantiques. L'opérateur historique possède également deux paires de fibre sur Dunant. En disposant de capacité sur ces deux câbles, le leader français des télécoms gagne aussi en résilience. Cela lui permettra, en clair, d'assurer une continuité de service si un problème survient sur un câble. Cela a un prix: ces méga-câbles coûtent très cher, autour de 250 millions d'euros l'unité, et Orange a déboursé plusieurs dizaines de millions d'euros pour disposer de ses propres fibres sous les mers.
Un câble « made in France »
Le projet Amitié démontre aussi l'excellence du savoir-faire français en matière de construction et de pose des câbles sous-marins. C'est en effet Alcatel Submarine Networks (ASN) qui a remporté ce juteux contrat. Filiale de l'équipementier télécoms finlandais Nokia depuis le rachat d'Alcatel-Lucent en 2015, l'entreprise a vu son carnet de commandes se garnir avec l'appétit des GAFA pour les câbles sous-marins. Rappelons qu'ASN reste éminemment stratégique au yeux de l'Etat français, qui dispose d'un droit de regard en cas de cession. Avec l'essor du numérique, les câbles sous-marins sont des infrastructures de plus en plus sensibles, et figurent dans le viseur des militaires et des espions.
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