Grogne au sein de Boko Haram face à la percée de l'armée

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Liberes des griffes de boko haram[reuters.com]
(Crédits : © Afolabi Sotunde / Reuters)

par Julia Payne

MALKOHI, Nigeria (Reuters) - Un vent de contestation souffle dans les rangs des fantassins de Boko Haram en raison du manque d'armes et de carburant, racontent des femmes libérées de la secte islamiste par l'armée nigériane.

Le groupe, qui veut fonder un Etat islamique dans le nord-est du Nigeria, a enlevé deux milliers de femmes et jeunes filles l'an dernier. L'armée nigériane en a libéré près de 700 la semaine dernière au fur et à mesure de son avancée dans le dernier bastion de la secte, la vaste forêt de Sambisa.

Le mois dernier, les djihadistes ont commencé à se plaindre auprès de leurs prisonnières d'un manque d'armes et de munitions, racontent deux des femmes rencontrées dans un camp qui accueille 275 captives libérées, dans le hameau de Malkohi en banlieue de Yola, capitale de l'Etat d'Adamawa.

Les hommes sont nombreux à n'avoir que des bâtons. Certains de leurs véhicules sont inutilisables parce qu'ils manquent d'essence ou sont en panne.

Aisha Abbas, 45 ans, a été enlevée en avril 2014 à Dikwa dans l'Etat de Borno. Cette mère de deux enfants raconte que tous les combattants avaient des armes avant mais que récemment seuls certains en portaient. Le chef des ravisseurs, Adam Bitri, a été ouvertement critiqué par son épouse qui s'est ensuite enfuie.

Les femmes racontent qu'elles n'avaient pas le droit de sortir. Elles étaient nourries de temps à autre, parfois battues. Leurs enfants étaient livrés à eux-mêmes ou faisaient des commissions pour Boko Haram. Ceux des combattants apprenaient à tirer.

"Un soir en avril, nous nous sommes retrouvées devant des partisans de Boko Haram qui ont dit : nos chefs ne veulent pas nous donner assez de carburant et d'armes et maintenant les soldats gagnent du terrain sur nous à Sambisa. On va vous laisser", raconte Binta Ibrahim, 18 ans. Sur les 275 prisonnières libérées du camp de Malkohi, une soixantaine ont plus de 18 ans.

MARIÉES CETTE ANNÉE

"Ils nous ont menacées, mais ensuite ils sont partis. On était contentes et on a prié pour que l'armée arrive et nous sauve", ajoute Binta Ibrahim. Quand les membres de la secte ont repéré deux hélicoptères à midi le jour de leur sauvetage, ils ont essayé de vendre les femmes jusqu'à 2.000 nairas chacune (neuf euros).

Le soir, alors que l'armée approchait, les prisonnières ont refusé de fuir avec les combattants de Boko Haram. Ils ont commencé à les lapider, mais ensuite ils sont partis.

"On a entendu des balles siffler (...) Nous nous sommes jetées par terre. Des femmes ont été écrasées (par les véhicules militaires), d'autres blessées par les balles. Il y a eu 18 morts. On les a comptés. Il y avait des bébés", déclare Salamatu Mohamed.

Le ministère nigérian de la Défense n'a pu être joint pour réagir à ces témoignages.

L'an dernier, après avoir pris le contrôle au Nigeria d'une zone plus vaste que la Belgique, Boko Haram semblait quasi impossible à arrêter, menant des attaques par delà les frontières, au Tchad, au Cameroun ou au Niger.

Depuis le début de l'insurrection il y a six ans, des milliers de personnes ont été tuées par la secte et 12,5 millions de Nigérians ont dû fuir de chez eux. La secte a suscité l'indignation de la communauté internationale en avril 2014 avec l'enlèvement de plus de 200 lycéennes dans la ville de Chibok.

Les femmes racontent que les hommes menaçaient souvent de les vendre ou de les emmener très loin dans la forêt jusqu'à leur chef, l'insaisissable Abubakar Shekau. Plusieurs fois, l'armée nigériane a annoncé l'avoir tué.

Selon Hanatu Musa, une jeune maman de 22 ans, enlevée en juin dernier à Gwoza dans l'Etat de Borno, les combattants disent avoir été déçus par leur chef qui les a conduit à tuer au nom de la religion.

Aucune des femmes interrogées n'a vu les lycéennes de Chibok, mais Aisha Abbas affirme que les combattants de Boko Haram en ont parlé. "Ils ont dit que les filles de Chibok avaient été mariées cette année (...) Certaines ont été vendues comme esclaves et les combattants ont chacun épousé deux à quatre des filles."

(Avec Isaac Abrak, Danielle Rouquié pour le service français, édité par Gilles Trequesser)