Ankara accusé de vouloir empêcher l'unité des Kurdes en Syrie

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Ankara accuse de vouloir empecher l'unite des kurdes en syrie[reuters.com]
(Crédits : Umit Bektas)

par Gulsen Solaker et Ece Toksabay

ANKARA (Reuters) - Le principal objectif de l'offensive militaire lancée il y a une semaine par la Turquie en Syrie et en Irak est d'empêcher l'unité territoriale kurde et non pas de lutter contre l'Etat islamique (EI), affirme le chef du parti turc pro-kurde HDP.

Dans un entretien accordé à Reuters jeudi à Ankara, Selahattin Demirtaş accuse le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, de s'être lancés dans une offensive contre l'EI en Syrie et contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Irak pour se venger d'avoir perdu la majorité absolue au Parlement lors des élections législatives du 7 juin.

Si l'AKP (Parti de la justice et du développement) a perdu sa majorité, une première depuis son arrivée au pouvoir en 2002, c'est en partie en raison des gains du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche) qui a obtenu suffisamment de voix pour franchir le seuil des 10% de suffrages lui permettant d'envoyer pour la première fois des députés au Parlement

"L'AKP entraîne le pays dans une période de conflit; il cherche à se venger pour la perte de sa majorité lors de l'élection de juin", déclare Selahattin Demirtaş. Le passage par le HDP du seuil et la perte de sa majorité parlementaire par l'AKP sont utilisées comme un prétexte pour la guerre."

La Turquie a lancé des frappes aériennes pratiquement simultanément vendredi dernier contre le PKK dans le nord de l'Irak et contre l'EI en Syrie. Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a parlé de "lutte synchronisée contre le terrorisme".

Or, les attaques contre le PKK sont nettement plus lourdes que contre l'EI, ce qui fait dire aux Kurdes que la Turquie veut contrôler leurs ambitions territoriales, ce que dément Ankara.

"FAIRE DE L'EFFET"

"La Turquie a mené quelques frappes aériennes contre l'Etat islamique juste pour faire de l'effet, sans lui causer de graves dommages, et d'ailleurs, l'Etat islamique ne ressent pas de pression sérieuse de la part de la Turquie", estime Selahattin Demirtaş.

"Les opérations de la Turquie ne visent pas à prendre des mesures contre l'Etat islamique. Le principal objectif est d'empêcher la formation d'une entité kurde dans le nord de la Syrie", ajoute-t-il.

Ankara voit d'un mauvais oeil l'avance régulière sur le terrain en Syrie des forces kurdes, les YPG (Unités de protection du peuple), branche militaire du Parti de l'union démocratique (PYD), soutenues par les bombardements aériens de la coalition internationale menée par les Etats-Unis.

Environ la moitié des 900 km de frontière qui séparent la Syrie et la Turquie est désormais contrôlée par les Kurdes.

Le président Erdogan et l'AKP craignent que ces avancées ne donnent des idées aux 14 millions de Kurdes de Turquie et ne ravivent l'insurrection du PKK, qui connaît une trêve depuis mars 2013 en raison des négociations de paix engagées fin 2012 avec Ankara.

L'accord conclu entre la Turquie et les Etats-Unis sur l'utilisation de ses bases aériennes par les avions de la coalition pour aller frapper l'EI en Syrie prévoit aussi d'empêcher les Kurdes syriens de relier leurs gains territoriaux qui pourraient sinon devenir une bande de terre sans discontinuité entre la frontière irakienne et la Méditerranée.

"Erdogan a insisté par le passé sur le fait qu'il n'autoriserait jamais l'unification des cantons kurdes dans le nord de la Syrie. Djarablous est le seul obstacle à cette unité", note Selahattin Demirtaş en référence à une commune syrienne qui se trouve à la lisière de la "zone de sécurité" que veut se constituer la Turquie.

(Danielle Rouquié pour le service français)