En novembre, le gouvernement du Sri Lanka a fait volte-face six mois après avoir été le premier pays au monde à prendre le cap d'une agriculture 100% bio. Sous la pression de ses agriculteurs, il a levé l'interdiction de tous les produits agrochimiques, y compris les herbicides et les pesticides (dont le glyphosate), afin d'éviter au pays, déjà en grande difficulté, de plonger dans une crise majeure.
Si l'option bio du Sri Lanka n'a pas été faite dans les meilleures conditions, il n'empêche que son exemple démontre que le basculement intégral dans ce mode de production agricole est loin d'être la panacée que ses défenseurs louent. Surtout, il montre qu'une approche idéologique n'est pas la meilleure façon d'appréhender la façon de nourrir la planète qui, d'ici quelques années, atteindra les 10 milliards d'individus. En effet, dans nombre de pays développés, s'est installée une sorte d'évidence selon laquelle l'agriculture biologique ("organique" chez les pays anglo-saxons) serait "naturelle" tandis que l'agriculture moderne, productiviste, serait "chimique" et donc susceptible de mal nourrir les individus.
Biais naturaliste
On passera sur le biais naturaliste très répandu. Il s'agit d'un procédé rhétorique qui considère que toute chose naturelle est bonne, et donc que toute choses artificielle est mauvaise. Il suffit de jeter un coup d'œil au nombre d'emballages de produits alimentaires (mais pas que) pour constater que le marketing utilise ad nauseam cette notion de "produit naturel", sans jamais définir ce que l'on entend par là. Ce qui est problématique, car, par exemple, la peste est naturelle, en revanche, le vaccin est artificiel. Pourtant l'une tue, l'autre sauve.
Il en est de même pour les deux agricultures, "bio" et "conventionnelle". La mode veut que la première est supérieure à la seconde. Or rien n'est moins vrai. C'est ce que l'on constatera à la lecture du livre de Laurent Pahpy, "Le mirage bio" (éd. Hugo Doc). Cet ingénieur et économiste réussit en moins de 200 pages à éclairer les multiples aspects du bio dans un propos clair et bien informé. L'auteur part d'un constat :
"Le mouvement bio s'inscrit à contre-courant des transformations de l'agriculture du siècle dernier en rejetant plusieurs piliers de la révolution verte qui ont permis d'atteindre la productivité agricole actuelle : les engrais de synthèse, les produits phytosanitaires et les biotechnologies. Ces derniers sont régulièrement critiqués du fait des conséquences de leurs utilisations sur notre santé et notre environnement. Le bio cherche donc une alternative à ce qui est présenté comme une fuite en avant."
Laurent Pahpy va donc se livrer à une comparaison sur tous les plans entre les deux agricultures en mobilisant les méta-études.
Pesticides naturels
Or, que constate-t-on ? "Qu'il n'existe pas de preuve indiquant que les aliments bios sont significativement meilleurs pour la santé, tant sur le plan nutritif que sanitaire", indique l'auteur, en citant plusieurs références. De même, "il n'est pas possible (en l'état actuel des connaissances) d'affirmer que la consommation de produits bios est moins cancérogène que l'alimentation conventionnelle".
En effet ,contrairement à une idée reçue, le bio utilise aussi des produits de protection des plantes - quelque 3.000 - mais qui ne sont pas qualifiés "de synthèse", même s'ils présentent aussi des risques, et sont aussi - ironie de l'histoire - produits par des entreprises agrochimiques comme Bayer (qui a racheté Monsanto).
Car toutes les plantes ont besoin de produits phytosanitaires même si Laurent Pahpy rappelle que "99,99% des résidus de pesticides que nous ingérons par notre alimentation sont produits par les plantes elles-mêmes". Sur ce point, l'exemple du chou est édifiant.
L'agriculture bio est souvent décrite comme plus respectueuse de la nature que l'agriculture conventionnelle. Or, si l'on compare non pas la production à l'hectare mais par unité de produits, l'impact est moins évident, car le bio requiert davantage de surface pour produire le même volume.
Un succès fondé sur le marketing et le lobbying
Cette relativisation des divers bienfaits du bio montre que c'est une autre stratégie qui fait aussi son succès : son marketing et son lobbying. Surfant sur les biais cognitifs de l'appel à la nature, à la santé et à la tradition, le marketing bio joue sur la peur de l'empoisonnement. Il n'hésite pas à recourir à des études partielles très médiatisées, à l'exemple de l'étude de Gilles-Eric Séralini sur les OGM, financée notamment par Auchan et Carrefour qui ont par la suite lancé toute une gamme de produits "sans OGM", indique Laurent Pahpy.
Les OGM sont d'ailleurs un sujet sur lequel l'auteur insiste car ils représentent de nombreux espoirs pour l'agriculture de demain. Si évidemment les plus grandes précautions doivent être prises dans la manipulation de la génétique d'une plante - mais c'est le cas pour nombre d'innovations dans de nombreux domaines -, aujourd'hui le consensus scientifique sur l'innocuité intrinsèque des OGM est bien établi.
Ces plantes qui peuvent naturellement résister aux insectes et aux maladies voire croître dans des conditions climatiques difficiles feront partie des solutions face aux conséquences du réchauffement climatique, en particulier dans les pays les plus pauvres. Du reste, 190 millions d'hectares dans 30 pays sont consacrés aux cultures OGM, dont certains depuis plusieurs années sans que des catastrophes soient survenues.
Mais il est difficile de lutter contre des préjugés aussi tenaces, surtout quand ils reposent sur la peur, une mauvaise information ou encore une idéologie. Si l'agriculture bio peut occuper une place légitime, elle ne peut être une alternative totale et crédible à l'agriculture conventionnelle et aux biotechnologies, sans faire courir un grave risque pour nourrir tout le monde à des prix accessibles. Le Sri Lanka l'a appris à ses dépens, il n'aura fallu que quelques mois pour que le mirage disparaisse.
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Laurent Pahpy "Le mirage bio", éditions Hugo Doc, collection Alerte, 135 pages, 9,95 euros.