Entre opportunité et prudence, le gouvernement doit défendre une doctrine commerciale périlleuse face à la Chine. Au printemps 2023, le président de la République française avait retrouvé en personne le président Xi Jinping en Chine après trois années de relations diplomatiques secouées par les années de pandémie. Un an plus tard, la France et la Chine ont décidé de fêter 60 années d'échanges en recevant le couple présidentiel chinois sur le sol français pendant deux jours.
Derrière cette séquence diplomatique fêtée en grande pompe, les inquiétudes restent vives dans les milieux économiques et industriels de l'Hexagone. L'offensive de la Chine dans les voitures électriques ou les panneaux photovoltaïques a déjà suscité d'immenses craintes sur le sol européen. En face, l'Europe tente de fourbir ses armes mais reste profondément divisée sur la stratégie industrielle et commerciale à adopter. Pour l'Allemagne, la Chine reste malgré tout un débouché de premier ordre du Made in Germany. Et les différentes enquêtes anticoncurrentielles menées de part et d'autre alimentent les crispations économiques et diplomatiques.
Le ministre des Finances défend des règles de réciprocité
À l'occasion du déplacement du dirigeant communiste, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a plaidé pour « un partenariat économique équilibré » entre Paris et Pékin. « Il me semble qu'on ne peut pas parler de partenariat équilibré quand les excédents commerciaux sont à l'Est et les déficits commerciaux sont à l'Ouest », a-t-il ajouté, défendant, comme le président Emmanuel Macron avant lui, des « règles équitables ». « La réciprocité », a poursuivi Bruno Le Maire, « c'est s'assurer qu'en Chine comme en France, des règles similaires, comparables, sont appliquées » en matière de production, de normes environnementales ou sanitaires ou encore « le montant des subventions ».
Prise en étau entre la Chine et les Etats-Unis, l'Europe peine à trouver sa place dans une mondialisation en pleine recomposition. « Sur le volet économique, l'âge d'or des grands contrats dans les secteurs de l'aéronautique, du nucléaire civil ou de l'automobile est révolu. Désormais, il s'agit d'arracher, après des mois de négociation ardue, l'ouverture du marché chinois pour l'exportation de produits agricoles, notamment la viande et les produits laitiers », a expliqué Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l'Ifri, dans une note.
Le Maire pousse la Chine à venir produire en France
Lors de son allocution, le ministre des Finances français a tendu les bras aux entreprises chinoises. « Nous voulons que la Chine produise en France et qu'elle ouvre des usines. Nous sommes prêts à accueillir des entreprises manufacturières chinoises sur notre sol », a-t-il déclaré.
Défendant l'attractivité de la France, le locataire de Bercy espère susciter des intérêts industriels devant la délégation chinoise venue en nombre sur le territoire hexagonal. À quelques jours du grand sommet Choose France qui aura lieu le 13 mai, Emmanuel Macron va profiter de cette opération au château de Versailles pour défendre les investissements étrangers en France.
Commerce extérieur : Franck Riester pousse les entreprises françaises à « avoir de l'ambition en Chine »
Au Forum d'Affaires Chine organisé à Bercy ce lundi 6 mai, le ministre du Commerce extérieur français, Franck Riester, a de son côté poussé les entreprises tricolores à conquérir des parts de marché en Chine. « Il y a encore un très grand nombre d'opportunités en Chine. Je vous invite à avoir l'ambition de développer vos activités en Chine. Nous échangeons beaucoup avec mon homologue pour faciliter les échanges et l'accès aux marchés », a-t-il déclaré devant un parterre d'entrepreneurs français et chinois. Le ministre a notamment expliqué que la France pouvait « faire mieux » dans de nombreux secteurs. Il a notamment évoqué « la décarbonation, les technologies et l'agroalimentaire ».
L'ouverture des marchés publics au centre des tensions commerciales
Malgré ce discours gouvernemental, certains intervenants ont mis en garde les entreprises françaises sur leur volonté d'investir en Chine. Sur le plan juridique, « il ne faut pas être naïf et être prudent », a alerté Anne Severin, avocate associée, chez DS Avocats. « La Chine a décidé de privilégier la production locale pour ses marchés publics. Cela peut être étonnant car la Chine a rejoint l'OMC (l'organisation mondiale du commerce) en 2001 mais il faut rappeler qu'elle n'a pas ratifié l'accès aux marchés publics », a-t-elle poursuivi. En face, l'Europe largement ouvert ses marchés publics à l'extérieur mais cette politique commerciale est de plus en plus contestée sur le Vieux continent.
La propriété intellectuelle, un enjeu majeur face à la contrefaçon
Parmi les risques évoqués ce lundi 6 mai à Bercy, la contrefaçon a été largement évoquée. « La protection de propriété intellectuelle passe par des contrats mais cela doit passer par des points de vigilance pour éviter des mauvaises surprises », a déclaré Julie Hervé, conseillère Propriété Intellectuelle au sein de l'ambassade de France à Pékin.
Reconnaissant qu'en Chine,« le cadre de la protection s'est énormément structuré avec des textes qui cadrent mieux les choses », la spécialiste de l'INPI (Institut national de la propriété intellectuelle) a mis en garde contre « les problématiques de contrefaçon » persistantes. « L'émergence des plateformes a facilité la distribution de la contrefaçon. Cette contrefaçon touche tous les secteurs d'activité ». Face à ce fléau, la juriste a conseillé aux entreprises de bien enregistrer les droits de propriété auprès des douanes et « d'anticiper les démarches de protection ».
Un déficit commercial abyssal entre la France et la Chine
Les échanges commerciaux entre la France et la Chine sont particulièrement déséquilibrés. Selon le bilan réalisé par les douanes en 2023, le déficit commercial de biens s'est établi à 40 milliards d'euros, pour une balance commerciale négative totale de 100 milliards d'euros. A titre de comparaison, ce déficit s'établissait à 5 milliards d'euros au début des années 2000 au moment de l'entrée de la Chine dans l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L'année dernière, l'Hexagone avait exporté pour 31 milliards d'euros de biens et importé pour 72 milliards d'euros.
La Chine est ainsi le premier déficit commercial de la France. Et ce phénomène est loin d'être nouveau. Entre 2008 et 2020, la balance commerciale de la France est restée largement déficitaire à l'égard de la Chine selon un bilan des douanes. Ce déficit commercial « est ainsi depuis 2008 le déficit bilatéral le plus élevé de la France. Sa croissance, vigoureuse pendant la décennie 2000-2010, a ralenti nettement entre 2011 et 2019. Le dynamisme des importations deux fois supérieur à celui des exportations entre 2000 et 2019 explique cette croissance », souligne l'administration. Reste à savoir si la France va réussir à regagner des parts de marché en Chine.
Une faible moisson de contrats suite à la première journée de la visite Les entreprises françaises ont profité de la visite du leader chinois pour signer de nouveaux contrats commerciaux mais les montants et les projets restent, dans l'ensemble, modestes. Le groupe français Suez a annoncé la signature d'un contrat avec le Dongguan Water Group, pour construire une usine destinée à produire de l'énergie à partir des boues d'une cinquantaine de stations d'épuration de cette mégapole du sud de la Chine. Montant du contrat : 100 millions d'euros pour la construction seule. L'enjeu dans un deuxième temps sera de contracter pour l'exploitation et la maintenance de l'usine, qui pourrait représenter près d'un milliard d'euros de revenus sur 20 ans, selon Suez. L'Elysée communique également sur « un partenariat stratégique global dans l'industrie des batteries » entre Xiamen Tungsten New Energy et le français Orano. Des contrats de « fourniture de système de traction électrique » ont également été signés entre Alstom et la société exploitante des lignes de métro à Pékin et Wuhan. Groupama et Shudao Group ont signé un contrat de joint-venture sur la finance verte. Autre industriel français cité, EDF, pour la production hydrogène et sur de la coopération en matière d'énergie nucléaire.