La décision du président russe Vladimir Poutine de lancer une opération militaire tôt ce jeudi matin, dans les régions du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, et a exhorté les forces ukrainiennes de déposer les armes et de se retirer a pour conséquence de soutenir les prix de plusieurs matières premières dont le blé, qui a atteint un nouveau record à Chicago, depuis juillet 2012, atteignant 9,26 dollars le boisseau (27 kg), progressant de 5,7%. Sur Euronext, le prix de la tonne de blé meunier a atteint 344 euros, en hausse de près de 12% par rapport à son cours de clôture de la veille, et son plus haut niveau historique.
Ces derniers jours, les prix étaient déjà soutenus par le risque d'un affrontement entre les armées russe et ukrainienne après la décision de Vladimir Poutine de reconnaître l'indépendance des régions russophones sécessionnistes du Donbass. Si les premières sanctions annoncées par Joe Biden ciblaient avant tout la fortune des oligarques, proches du président russe, excluant pour le moment l'énergie ou les produits agricoles, les primes de risque commençaient à être prises en compte sur les marchés. Le cabinet français Agritel alertait mercredi dans un communiqué : "Les craintes d'un conflit armé bloquant la logistique ukrainienne sont réelles. Si elles se concrétisent, le marché mondial se verrait coupé d'une source importante de matières premières agricoles."
Des acteurs majeurs
Russie et Ukraine sont des acteurs majeurs du marché des céréales, notamment du blé. La première est le premier exportateur mondial, avec une part de 18%, la deuxième se place au quatrième rang, avec plus de 7%. Les deux pays pèsent donc pour près d'un quart des exportations mondiales de blé. Toute interruption prolongée affecterait donc de nombreux pays dont la Chine, qui a fait de l'Ukraine une pièce maîtresse pour renforcer sa sécurité alimentaire. Pékin était le premier importateur de céréales ukrainiennes en 2021, représentant 21% des exportations de céréales du pays. Par ailleurs, l'Ukraine a exporté un record de 8,2 millions de tonnes de maïs vers la Chine en 2021, soit près de 30 % du total des importations chinoises de cette céréale.
Or, environ 90 % des exportations de céréales ukrainiennes sont transportées par voie maritime, notamment par le port d'Odessa, situé sur la mer Noire. Avec le conflit, il est probable que Moscou ordonne un blocus maritime, empêchant les exportations, notamment de blé. "Les craintes d'une guerre augmentant, les armateurs évitent les ports de la mer Noire et les négociants se préparent aux sanctions", avertissaient mercredi les analystes de S&P Global Platts.
L'option d'une attaque russe par la mer
Une alerte qui prend en compte les importantes manœuvres navales qu'a effectuées la Russie le mois dernier, une démonstration de force visant à décourager la navigation internationale et à mettre la pression sur Kiev. Car si la Russie mène régulièrement des manœuvres en mer Noire, elle ne l'avait jamais fait à une si grande échelle. L'opération est d'autant plus aisée que la marine ukrainienne a pratiquement disparu avec sa saisie à Sébastopol lors de l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Une attaque de l'Ukraine par la mer est donc une option pour Moscou, redoutée par l'état-major ukrainien car les troupes russes pourraient contrôler le littoral de la mer d'Azov, offrant ainsi la continuité territoriale entre les régions séparatistes du Donbass et la Crimée, ainsi que la mainmise sur le port de Marioupol.
Si ce scénario reste pour le moment hypothétique, le secrétaire d'Etat à l'Agriculture, Tom Vilsack, a confié à l'agence Associated Press le week-end dernier que si tel était le cas, "ce serait une opportunité d'intervenir et d'aider nos partenaires à traverser cette situation difficile", sous la forme d'une augmentation des exportations des producteurs de blé américains dont un rapport du département de l'Agriculture américain (USDA) indique qu'elles sont à leur plus bas niveau depuis 6 ans.
Un arrêt des ventes à l'international serait en effet un coup dur pour l'Ukraine. En 2020, l'agriculture représentait 45% de ses exportations, et 10% de son produit intérieur brut, ce qui en fait le troisième secteur de l'économie, selon la Banque mondiale. D'autant que le pays a engrangé une bonne récolte. Pour celle de 2020-2021, l'Ukraine a exporté 16,6 millions de tonnes, et devrait normalement en exporter 22,5 millions de tonnes sur la récolte 2021-2022, selon les estimations de S&P Global Platts Analytics. En début de mois, l'USDA l'estimait même à 24 millions de tonnes alors que la Russie devrait exporter 60 millions de tonnes, des exportations faisant l'objet d'un quota et de l'imposition d'une taxe (100 dollars par tonne le mois dernier).
Un marché tendu
L'USDA prévoit une production mondiale à 776,4 millions de tonnes pour la récolte 2021/2022 dont 208,4 millions de tonnes font l'objet d'échanges internationaux. La consommation mondiale est estimée à 788,1 millions de tonnes. Les stocks de report sont projetés à 278,2 millions de tonnes. Le marché reste également tendu en raison de la faiblesse des stocks en Amérique du nord, les Etats-Unis et le Canada étant les deuxième et troisième exportateurs mondiaux. Au Canada, leur niveau était en baisse de 38% en décembre de 2021 par rapport à décembre 2020, en raison de récoltes qui ont subi les aléas climatiques, qui ont aussi pesé sur la production des Etats-Unis.