"La propriété industrielle oeuvre au service du développement durable"

Brevet, marques etc. ne sont pas seulement des instruments de protection d'un monopole. Ils sont aussi indispensables au partage de l'innovation, au profit de la transition écologique comme des pays du Sud, explique le président de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), Yves Lapierre.
Giulietta Gamberini
"L'open source n'est pas en opposition avec la propriété intellectuelle: au contraire, il en est un outil", souligne notamment Yves Lapierre.

L'innovation joue un rôle fondamental dans la transition écologique: c'est le constat que l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) veut rappeler à l'occasion de la COP21. L'organisme public, chargé de délivrer en France brevets, marques, dessins et modèles, présente au Grand Palais, dans le cadre de l'exposition "Solutions COP21", 65 entreprises françaises et étrangères qui innovent au profit de l'environnement. Les trophées remis annuellement par l'INPI aux acteurs économiques à l'avant-garde de l'inventivité française ont d'ailleurs été consacrés cette année à cette association entre écologie et innovation. Yves Lapierre, président de l'organisme, explique à "La Tribune" les raisons de ce lien étroit.

LA TRIBUNE -  De plus en plus de start-up investissent le terrain de la transition écologique... Les plus petites entreprises sont-elles désavantagées face à la nécessité de développer une stratégie de protection de leur propriété intellectuelle?

YVES LAPIERRE - Dans le domaine de l'innovation environnementale, les difficultés qui peuvent faire obstacle à la maîtrise de la propriété intellectuelle sont les mêmes que dans les autres secteurs. Il est notamment certain que les grandes entreprises sont davantage initiées à cet enjeu et disposent plus facilement des ressources nécessaires pour agir. Selon nos estimations, en France, parmi les 20.000 entreprises qui bénéficient du crédit impôt recherche, 19.000 sont des PME. Mais seulement 2.000 d'entre elles déposent des brevets. Un travail d'acculturation s'impose donc, que l'Inpi tente de mener.

Dans cette perspective, je préfère d'ailleurs parler de "valorisation", plutôt que de "protection", de la propriété intellectuelle. La "protection" en effet n'intéresse souvent pas les start-up, qui sont dans une logique de rapidité et d'anticipation du marché. Des brevets, des marques etc. sont toutefois aussi de puissants outils de marketing et de développement: ils se révèlent par exemple utiles pour obtenir des crédits, puisqu'ils prouvent qu'on a créé quelque chose et qu'on possède un capital immatériel.

En matière de technologies vertes, le modèle de l'open source est de plus en plus répandu. Est-il compatible avec une stratégie de valorisation de la propriété intellectuelle?

L'open source, déjà très présent dans l'économie numérique, n'est pas en opposition avec la propriété intellectuelle: au contraire, il en est un outil. Je recours souvent à un exemple pour expliquer cette idée: si je suis propriétaire d'un terrain, j'ai le choix entre le fermer en l'entourant d'une barrière, afin d'en jouir de manière exclusive, et l'ouvrir à plus ou moins de gens. De la même manière, dès lors que je développe une innovation et que je suis reconnu en être le propriétaire, je peux choisir comment je veux qu'elle soit utilisée. Je peux opter pour un modèle monopolistique ou de partage. Si je préfère l'open source, afin de favoriser la diffusion de mon idée, je peux néanmoins déterminer au cas par cas si et avec qui je désire établir des relations commerciales. De grandes marques s'en servent d'ailleurs: il y a un an, Tesla a notamment choisi ce modèle pour ses innovations.

Si la première fonction de la propriété intellectuelle est effectivement celle de garantir un retour sur investissement, par un développement propre du marché ou des relations commerciales, sa contrepartie est en effet celle d'assurer une diffusion de l'information. Elle permet notamment de détecter l'innovation et les meilleurs compétences partout dans le monde. Parmi les 65 entreprises innovantes que nous avons mis en avant lors de notre exposition au salon "Solutions COP21" du Gran Palais, six appartiennent à des entreprises africaines: c'est grâce à la propriété intellectuelle que nous avons pu leur donner une tribune.

En quelle mesure la nécessité de valoriser sa propriété intellectuelle est-elle perçue différemment dans les diverses zones géographiques?

Pendant une quarantaine d'années, le développement des pays du Sud a été en grande mesure fondé sur la mise à disposition d'une main d'oeuvre bon marché qui a entraîné des délocalisations de la production des entreprises occidentales. Ayant le sentiment d'être utilisés seulement pour produire, ces pays ont donc pendant longtemps négligé de chercher leurs propres compétences. L'avènement de la mondialisation a néanmoins modifié la donne. La bipartition entre "pays du savoir faire" et  pays producteurs est devenue obsolète depuis que l'information circule à la vitesse d'internet. L'invention en effet n'est pas seulement ce qui va permettre d'obtenir un Nobel: elle est partout.

Certes, l'Afrique n'est pas encore sortie de son rôle de réservoir de matières premières d'abord, puis de marché pour la consommation de produits transformés en Europe, qui ne lui permet de capter aucune valeur ajoutée. Il n'empêche que la réalité bouge: le développement de l'économie chinoise aujourd'hui est notamment fondé, lui, sur l'innovation.

Beaucoup d'entreprises engagées dans la transition écologique le sont aussi en matière de développement durable. La propriété intellectuelle est-elle un obstacle au transfert des technologies Nord-Sud?

Une étude que nous venons de présenter dans le cadre de "Solutions COP21" le constate: contrairement à ce qui est parfois affirmé, la propriété intellectuelle oeuvre au service du développement. Un exemple le montre clairement: celui de l'une des entreprises que nous avons sélectionnées pour "Solutions COP21", Nutrisat, qui produit des aliments spécifiquement destinés au marché africain. Grâce aux brevets dont elle dispose, elle pu choisir d'en confier la fabrication à des entreprises implantées en Afrique, ce qui non seulement permet de créer des emplois locaux, mais a aussi un impact environnemental positif car elle réduit les transports des marchandises...

La même approche pourrait être adoptée pour ce qui est des infrastructure lourdes dont l'Afrique a besoin pour mieux accéder à l'électricité, à l'eau etc. Les connaissances nécessaires pour les développer sont aujourd'hui l'apanage de grands groupes occidentaux. Cependant, l'Afrique dispose déjà d'un tissu industriel d'entreprises innovantes qui possèdent les outils indispensables pour les adapter localement. Les lampes LED de Lucibel, par exemple, sont désormais utilisées pour rendre plus productive l'aquaculture chilienne... Des partenariats équilibrés, dans une approche d'innovation collaborative, sont donc sans doute possibles et produiraient d'importants bénéfices sur le terrain. La propriété intellectuelle permet cette mise en commun.

Nombre de pays émergents, où on ne peut pas parier sur la naissance immédiate de géants mondiaux, ont d'ailleurs déjà pris conscience de la dimension globale de la propriété intellectuelle, et s'en servent comme d'un outil pour valoriser un tissu industriel basé sur les PME. Ils sont en ce sens en l'avance par rapport aux pays européens où cette notion est traditionnellement liée à une idée de captation.

En Afrique, les petites voire micro-entreprises sont très présentes... Ne risquent-elles pas d'être exclues du jeu?

La solution face à ce danger est offerte par la propriété intellectuelle elle-même. Parmi les instruments à disposition, il y a en effet les indications géographiques, qui permettent de valoriser un produit particulièrement lié à un territoire. Le Maroc s'en est par exemple servi pour protéger son huile d'argan et éviter que des producteurs d'autres pays revendiquent cette appellation. La démarche a sans doute bénéficié au développement de l'économie locale liée à ce produit et à ce savoir-faire, tout en évitant toute forme de monopole: la production est en grande partie assurée par des coopératives. De même, derrière l'appellation "Cognac", il y a de grands comme de petit producteurs.

Mais la possibilité de protéger ses idées et de connaître celles des autres est-elle la même dans toutes les régions du monde?

Les accords qui régissent la matière de la propriété intellectuelle ayant une centaine d'années d'existence, le vocabulaire est heureusement standardisé. Les brevets ont toujours la même structure et sont partout assortis d'une obligation de publication avec accès libre. Des outils de traduction automatique sont parfois prévus par les différents organismes nationaux ou supranationaux d'enregistrement et les instruments de recherche sont de plus en plus développés. Avec la diffusion d'internet, on peut donc désormais considérer que ces outils et ces informations sont quasi universellement accessibles.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

Giulietta Gamberini
Commentaires 3
à écrit le 10/12/2015 à 19:21
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Mon brevet a été payé par mon entreprise ( elle en dispose gratuitement ) ; il est européen . Si elle l'a fait c'est pour valider un nombre de brevets déposé par ces soins vis a vis de la concurrence. Pourquoi si peu de brevet ? - parce que des que ...

à écrit le 10/12/2015 à 18:18
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Comment ne pas s'étonner que les PME ne deposent pas beaucoup de brevet. Combien cela coute de déposer un brevet à l'international ? Quelle micro-entreprise va sortir un pret bancaire pour un brevet ? Aucune. Ici au Nicaragua deposer une marque et un...

à écrit le 10/12/2015 à 9:31
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Bon, on peut pas demander au directeur de l INPI de se prononcer contre les brevets. Ca serait comme demander au PFG de Ricard de condamner la consommation d alcool. Mais dire que les brevets en bloquant la concurence et en nourrissant les patents tr...

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