1914-1918 : l'Allemagne presse la Belgique comme un citron

1914-1918 (4/4) Occupé, le plat pays devient pour les Allemands un réservoir de main-d’œuvre et de matériel. Tandis que les conditions de vie deviennent effroyables.
Les Allemands sur la Grand-Place de Bruxelles. / DR

L'invasion de la Belgique est violente. Confrontées à une résistance inattendue, bloquées dix jours devant Liège, harcelées à l'arrière par des groupes de francs-tireurs, les troupes allemandes sont nerveuses. Elles se livrent à des atrocités qui vont longtemps alimenter chez les alliés l'image de la « barbarie allemande. »

Le 23 août, à Dinant, sur la Meuse, on accuse les habitants d'avoir aidé les Français et l'on exécute 674 civils. Deux jours plus tard, les Allemands répondent à une contre-attaque belge sur Louvain par le pillage et l'incendie de la ville historique, y compris la prestigieuse bibliothèque du 15e siècle.

Un pays occupé

Malgré tout, la conquête du pays est lente. Anvers ne tombe que le 10 octobre, et ce n'est qu'à la fin de l'année, à l'issue de la « course à la mer » que le front se stabilise à l'ouest. Toute la Belgique est alors occupée à l'exception d'un petit coin des Flandres occidentales, autour de la ville d'Ypres. Le pays est alors divisé en trois.

Dans les deux zones les plus proches du front (zones d'opération et zones d'étapes), la dictature militaire est la règle. Dans le reste du pays, un gouverneur général dépendant du Kaiser dirige une administration civile qui encadre des institutions locales belges sous surveillance.

occupation

Une économie à l'arrêt

Après l'attaque, l'économie belge est à l'arrêt. Coupée du monde par le blocus britannique et le front, elle a perdu son moteur et ses ressources. Mais le potentiel industriel est relativement épargné et les usines redémarrent (au ralenti) en octobre. La logique économique a changé : désormais toute l'activité est destinée à alimenter l'effort de guerre allemand. Cette exploitation sera de plus en plus forte à mesure que la guerre prive l'Allemagne de ressources.

L'exploitation industrielle

En théorie, conformément aux conventions de La Haye, l'Allemagne respecte la propriété privée. Mais elle l'amende fortement. L'occupant prend ce dont il a besoin. Dès octobre 1914, un Commissaire basé à Bruxelles peut prendre possession des matières premières dont dispose une entreprise pour ordonner sa livraison à vil prix au Reich. Toutes les entreprises ayant des intérêts à l'étranger sont placées sous le contrôle des conquérants qui, en février 1915, interdisent l'exportation de machines, sauf autorisation.

Deux ans plus tard, les entreprises doivent disposer d'une autorisation pour fonctionner. Dès lors, toute la production dépend des autorités allemandes et est dirigée vers l'Allemagne.

« L'industrie belge ne devient plus alors qu'une branche de l'industrie allemande », estime Henri Pirenne.

Quant au nombre d'entreprises belges, il n'est plus que de 3.000 en 1918 contre 260.000 avant-guerre.

Les réquisitions en matériel

Parallèlement, des listes de produits à réquisitionner sont établies. Tout y passe : matelas, bandages, médicaments, matériel métallique, produits chimiques, arbres, ceintures, huiles, chaussures, machines, bétail. Le démontage des usines, entamé en France au printemps, commence en Belgique à la mi-1917 et s'accélère durant l'été 1918. La sidérurgie est particulièrement touchée.

Sur les 37 hauts fourneaux du pays, 26 furent démontés ou démolis. Seules les usines travaillant pour l'Allemagne sont relativement épargnées : la fabrique de meubles de Malines ou les mines de charbon et leurs fournisseurs.

Les réquisitions en hommes

Les Allemands ont encore plus besoin d'hommes que de matériel. Le besoin de soldats crée des pénuries de main-d'œuvre dans les usines allemandes, alors qu'il faut produire toujours plus de matériel de guerre. Dès 1914, les autorités allemandes encouragent les volontaires belges à venir travailler en Allemagne. Les industriels allemands créent en Belgique des bureaux de recrutement, promettant d'excellentes conditions de travail et des salaires alléchants. Mais le volontariat montre vite ses limites.

Après Verdun, les industriels réclament la déportation des chômeurs belges en Allemagne. Carl Duisberg, le directeur de Bayer explique que « l'industrie ne pourra remplir ses objectifs que si le travail belge est utilisé de force. » Et d'ajouter : « Il faut abandonner toutes les questions de prestige », autrement dit ignorer les conventions internationales. En septembre 1916, le chef d'état-major allemand Paul von Hindenburg ordonne la réquisition de 400.000 travailleurs belges.

La résistance belge fut héroïque, mais 120.000 Belges furent réquisitionnés jusqu'en mars 1917, date à laquelle Berlin renonce à ces déportations. La moitié d'entre eux allèrent travailler en Allemagne, l'autre moitié sur le front français dans des conditions très difficiles. Beaucoup revinrent handicapés et certains moururent de privations ou de maltraitance.

reichsmark

La Belgique inondée de marks et d'impôts

Placées sous contrôle allemand dès septembre 1914, les banques belges et la banque centrale vont se montrer très peu coopératives avec l'occupant. Le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, Théophile de Lantsheere, avait transféré avant la guerre l'essentiel des réserves de la banque centrale à Londres.

Les Allemands, faute d'or, décident d'imposer le cours légal du mark au taux très avantageux pour les Allemands de 1,25 franc belge par mark. Les autorités allemandes vont inonder le pays de marks papier. Théophile de Lantsheere tente de s'y opposer : il est destitué et interné.  En 1918, 4 milliards de marks sont en circulation en Belgique, soit 5 milliards de francs belges, une fois et demi le PIB de 1913...

L'Allemagne a payé en monnaie de singe la Belgique, mais elle exige d'elle non seulement les impôts d'avant-guerre, dont la collecte continue, mais aussi des contributions de guerre qui s'élève d'abord à 40 millions de francs par mois, puis à 50 et enfin à 60 millions de francs mensuels. En tout, un demi-milliard de francs sont ainsi collectés auprès des collectivités locales. Et pas question de payer en marks...

La vie quotidienne : chômage et inflation

Dans de telles conditions, la vie des Belges sera très difficile. A la crainte des réquisitions et de l'arbitraire allemand s'ajoute le chômage, endémique. Il atteint à la fin de la guerre 77 % de la population active. Parfois, il est « patriotique », lié au refus de servir l'occupant. Le plus souvent, il est subi : le manque de matières premières et de débouchés et le contrôle allemand sur la production conduit à une baisse dramatique des besoins de main-d'œuvre. L'afflux de papier monnaie, les réquisitions et l'insuffisance de la production agricole aidant, les prix s'envolent. Les pommes de terre s'achètent en 1918 quatre fois leur prix de 1914. En janvier 1919, les prix sont supérieurs de 639 % à ceux de juillet 1914. La politique de contrôle des prix des Allemands est inefficace et ne jouent qu'à leur profit. La famine n'est évitée que par le recours à l'aide internationale, mais la situation devient critique.

allemagne

La Belgique, une proie avant tout

La Belgique devait devenir une province économique allemande. Le gouverneur général de décembre 1914 à avril 1917, Moritz von Bissing, a rappelé ce qu'il voulait: « D'une façon ou d'une autre, on utilise la Belgique pour l'expansion allemande. » Aussi a-t-il plaidé pour un traitement modéré des territoires occupés.

« Je suis d'avis qu'un citron pressé est inutile et qu'une vache morte ne donne pas de lait », explique-t-il en 1915 pour demander une certaine retenue à Berlin.

Mais il n'est guère entendu. Les industriels allemands, notamment, craignent qu'après-guerre, une Belgique revitalisée ne redevienne un redoutable concurrent. Ils préfèrent le pillage et von Bissing doit les rassurer que « jamais la Belgique ne redeviendra un concurrent pour l'économie du Reich. »

En réalité, Moritz von Bissing ne sera jamais vraiment écouté. La Belgique est perçue comme une proie par les autorités civiles, militaires et économiques allemandes. La demande des industriels belges de participer au programme néerlandais d'exportation vers les alliés est refusée en 1915. Les Allemands ne cherchent jamais à développer les territoires occupés. Pire même, à la fin de la guerre, ils se livrent à des destructions systématiques des usines et des réseaux de communication. Faute de devenir vassale, la Belgique ne devait jamais plus devenir une rivale pour l'Allemagne...

Cet article a déjà été publié en novembre 2014.

Commentaires 25
à écrit le 14/11/2014 à 15:05
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C'est assez drôle, de 1870 à 1944, les allemands ont un vrai comportement de "boches", depuis face aux derniers événements politiques, afghanistan, Afrique, Ukraine, ce sont de véritables couilles molles. Ca ne les empêche pas de continuer à vivre g...

à écrit le 14/11/2014 à 14:00
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Excellent article sur un episode peu connu de ce conflit. Les racines de beaucoup de maux se trouvent dans ce passe et leur comprehension permet de mieux les décrypter pour mieux les résoudre...

à écrit le 14/11/2014 à 10:10
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DELEST = votre réaction est choquante !!! C est justement le contraire: il ne faut pas cesser de garder en mémoire ces faits historiques et bien documentés afin que personne n´oublie la monstrosité de ces guerres qui n ont rien apporté d´autre...

le 20/03/2016 à 8:58
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Tout à fait d'accord avec vous sauf pour l'intangibilité des frontières : c'est la guerre froide et la destruction mutuelle assurée qui ont provoqué le gel des frontières en Europe. Depuis la fin de l'URSS, les frontières ont recommencé à bouger. Qua...

à écrit le 23/07/2014 à 6:36
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Concernant le début de votre article: Liège n'a pas retardé d'une minute l'avancée de l'armée allemande qui ne pouvait, comme l'armée française, se mettre en mouvement avant le 14 août; il y avait les phases de mobilisation puis de concentration à r...

à écrit le 18/07/2014 à 21:29
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Ras le bol de ces articles Les Français vivent dans la passé Nous sommes au 21 è siècle

le 23/07/2014 à 6:26
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Regrettable réaction pour une personne qui lit des publications de qualité. Le drame de jeunes hommes de vingt ans tués, mutilés dans leur corps et/ou leur esprit ne vous émeut-il pas ? Ignorer le passé, c'est être condamné à le revivre, dit-on. L...

le 14/11/2014 à 13:32
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@delest: il semble évident que tu aurais été un collabo. Alors, que fais-tu encore chez nous si c'est mieux chez les autres !!! Tu pourrais de plus avoir un minimum de respect pour tous ces gens qui ont permis de sauver notre démocratie :-)

le 14/11/2014 à 14:02
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Bien sûr, faisons table rase du passé, des millions de morts et de toute cette souffrance, oublions tout... rien de mieux pour recomettre les mêmes erreurs. Alors par pitié, si vous n'êtes pas intéressé passez votre chemin mais ne postez pas ce genre...

à écrit le 18/07/2014 à 9:22
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La France n'a pas fait pareil en 1936 lors de l'occupation de la Rhure, et l'Allemagne n'a pas fait de même avec la France lors de l'occupation..... La politique des état reste la même malheureux au vaincu.... Bon cela est l'histoire, mais la questi...

le 14/11/2014 à 10:46
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Occupation de la Rhure en 1936 ? Revoyez votre histoire. Elle a bien eu lieu de 1923 à 1925 complètement justifiée par le non payement des dommages de guerre.

le 14/11/2014 à 13:11
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1) l allemagne ne pouvait pas payer de tel dommage de guerre (a moins d exporter massivement vers la france et de dectruire du coup l industrie francaise) 2) l occupation de la Ruhr a ete une imbecilite sans nom car non seulement elle n a rien rappo...

le 14/11/2014 à 14:26
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@@Nestor: peut-8tre que si on avait mis l'Allemagne dans l'état où elle avait mis l'Europe, nous n'aurions pas eu AH. Rappelons aussi que l'Allemagne a payé une somme infime des réparations qui lui avaient été demandées. Tous ces braves gens morts po...

le 20/03/2016 à 10:51
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Ah ce révisionisme qui arrange bien les vainqueurs de la 2GM : il faut tout mettre sur le dos de la France, vassale récalcitrante jusqu'il y a peu. MAis oui, le nazisme est né à cause de la méchante France qui n'avait même pas les moyens de reconstru...

à écrit le 18/07/2014 à 9:11
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presser comme un citron..", pour ça, ils connaissent......

à écrit le 17/07/2014 à 21:20
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ah les gentils allemands et leurs économies prospères

le 18/07/2014 à 13:05
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Le travail forcé reste la base de l'économie Allemande. La travail forcé des Allemands pauvres et celui des ressortissants des pays de l'Est, importés comme du bétail et surexploités, sont les mamelles de la compétitivité Allemande. Mais chut... il n...

le 14/11/2014 à 13:14
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On pourrait dire la meme chose de la france: "le travail force est la base de l economie francaise. celui des francais pauvre (smicard ou stagiaires) et celui des africains importés comme du bétail et surexploités" A propos de betail, le parcage de...

le 20/03/2016 à 10:38
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C'est la base de l'économie capitaliste sans contrôle comme tout le monde le sait depuis presque deux siècles y compris les plus grands défenseurs actuels de la "libéralisation des forces productives" face au droit du travail. Cette mentalité n'a p...

à écrit le 17/07/2014 à 12:34
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Il est bien de rappeler que la guerre n'est qu'un moyen parmi d'autres d'étouffer la concurrence économique. Si la France quittait l'euro et donc l'europe pour pouvoir de nouveau s'enrichir et se développer pleinement elle pourrait être de nouveau "e...

le 17/07/2014 à 14:27
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autrement dit restons dans la mouise, la paupérisation, la misérabilité galopantes, ainsi on ne craint pas d'être envahis, mais on peut craindre à juste titre de crever à petit feu... !!

le 18/07/2014 à 8:56
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La France se détruit déjà toute seule, pas besoin d'aide extérieure. Les jeunes diplômés qui fuient à l'étranger pour avoir ne serait-ce qu'un travail en sont un bon exemple..

le 18/07/2014 à 9:13
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+ 1000000

à écrit le 17/07/2014 à 9:59
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C'est une bonne idee de reparler de cette periode historique au moment ou deux empires s'affrontent pour le controle de l'Ukraine. Les gens comprendront pourquoi on s'approche d'une 3eme guerre mondiale (cf. dernieres sanctions americaines contre la ...

le 18/07/2014 à 12:05
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Un seul empire plutôt, et en chute libre. Plus un pays est agressif, plus nombreux sont les signes de sa chute.

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