La nouvelle a été confirmée par l'état-major français. Alors qu'il venait d'atterrir, un avion militaire libyen ne respectant pas la zone d'exclusion au-dessus de Misrata, troisième ville du pays, a été abattu par un chasseur français. Pour Paris, comme pour Londres, cette nouvelle est de nature à conforter l'idée que l'intervention autorisée par l'ONU porte ses fruits. Et elle intervient à un moment la France comme le Royaume-Uni sont amenés à faire le constat que l'Europe de la défense reste une chimère, l'Allemagne ayant démontré qu'elle demeurait allergique à toute intervention militaire.
Alain Juppé qui s'exprimait mercredi devant la presse l'a reconnu : "il ne faut pas manier la langue de bois, il y a des divergences. La divergence, elle est sur l'utilisation de la force militaire. Il y a un pays qui est radicalement hostile (...), c'est l'Allemagne. D'autres pays partagent cette prudence, mais c'est l'Allemagne qui s'y est opposée." Et Gérard Longuet, ministre de la Défense, est allé un peu plus loin dans la critique ce jeudi sur Europe 1 : "c'est une vraie souffrance pour moi qui suis très européen, je me rends compte que l'Angleterre et la France ont la même vision assez responsable et parfois tragique du monde, les autres pays ont perdu l'idée d'être responsables du large environnement".
Si le couple franco-allemand continue à être le moteur de l'Union européenne dans la gestion de la crise financière qui menace l'euro, il a clairement trouvé ses limites sur ce dossier. Pour les questions de défense, Paris ne peut apparemment compter que sur Londres. En novembre 2010, Français et Britanniques ont scellé leur alliance en signant un traité de défense et de sécurité impliquant un renforcement sans précédent de leur coopération militaire, dont la création d'une force expéditionnaire commune. "C'est un niveau de confiance entre nos deux nations jamais égalé dans l'histoire", avait alors souligné Nicolas Sarkozy.
Officiellement, cet accord se voulait un premier pas vers une véritable Europe de la Défense. Mais, dans le même temps, la France a mis en sourdine sa revendication d'un état-major européen autonome de l'Otan, montrant ainsi qu'elle n'y croyait plus vraiment. Le comportement de l'Allemagne dans la crise libyenne a achevé de convaincre les Français que le projet devait être remisé au placard pour une très longue période. Un diplomate interrogé par l'agence Reuters, raconte avoir avoir assisté lors du Conseil européen du 11 mars, où Berlin s'est battu contre cette opération militaire, à une altercation très vive entre Alain Juppé et son homologue allemand, Guido Westerwelle. "Maintenant que vous avez obtenu tout ce que vous vouliez, Kadhafi peut aller de l'avant et massacrer son peuple", lui aurait dit le chef de la diplomate française.
Certains, au sein du gouvernement français, estiment néanmoins qu'il faut être patient, la politique étrangère et de défense étant au coeur de la souveraineté des nations et l'Allemagne restant paralysée par le poids de son passé. "On demande toujours à l'Europe de sauter 1,90 mètre et l'Europe ne peut pas toujours sauter 1,90 mètre", a ainsi dit à quelques journalistes le ministre des Affaires européennes, Laurent Wauquiez. "Tous les pays ne veulent pas s'impliquer militairement. Est-ce que c'est un drame ? Non."
Mais la France estime qu'il faut maintenant mettre les choses au point et voir si l'Union européenne veut rester une "grosse Suisse", selon les mots de son ancien ministre des Affaires étrangères socialiste Hubert Védrine.
"Est-ce que nous nous résignons à faire que l'Union européenne reste une ONG humanitaire ou est-ce que nous avons une autre ambition pour l'Union européenne, c'est-à-dire d'en faire une puissance politique capable d'avoir des positions diplomatiques et des capacités militaires d'intervention le cas échéant ?", a-t-il demandé mercredi. Et de conclure : "pour moi, la réponse est très claire, c'est la deuxième hypothèse, nous ne sommes pas tous d'accord là-dessus et ce sera sans doute l'objet d'un grand débat en Europe dans les semaines, les mois et peut-être les années qui viennent."