Linux, le logiciel libre qui menace Microsoft

Jamais Microsoft n'a autant dominé le monde de l'informatique. Jamais, vingt-huit ans après sa création, sa présence n'a été aussi imposante. Pourtant, l'entreprise co-fondée par Bill Gates commence à voir se développer une réelle vague de contestation à son encontre. La condamnation pour "abus de position dominante" par l'Union européenne au mois de mars, qui résulte de plaintes déposées par les concurrents de la firme de Redmond, ne représente que le sommet de l'iceberg.Plus important, les utilisateurs eux-mêmes commencent à leur emboîter le pas. Des utilisateurs d'envergure dont les choix pourraient être suivis massivement : de hauts responsables chinois, japonais et sud-coréens se sont ainsi réunis le 3 avril à Pékin afin de coordonner leur utilisation du système d'exploitation Linux et en faire ainsi un remplaçant viable de Windows.Ce projet de coopération internationale a été révélé pour la première fois en septembre dernier. Lors de la réunion des ministres du Commerce de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (Asean) dans la capitale cambodgienne, le ministre japonais du Commerce et de l'Industrie, Takeo Hiranuma, avait expliqué que "l'Etat (japonais) n'a aucune intention de renier quelque produit que ce soit. Mais Windows de Microsoft est totalement dominant malgré le désir de certains d'essayer les fonctions d'autres produits". Avantages concurrentiels pour les logiciels libresLinux est alors apparu comme le système d'exploitation le plus à même de rallier tous les suffrages. Développé en 1991 par l'informaticien finlandais Linus Torvalds, après le travail engagé dès 1983 par le chercheur du Massachusetts Institute of Technology Richard Stallman, il commence à remporter un certain succès. Ses avantages majeurs résident dans sa gratuité (ou son faible coût), sa liberté de copie et de modification. L'accès au code source des logiciels permet en outre de mieux détecter les failles de sécurité, qui constituent l'un des principaux reproches formulés contre Windows par ses utilisateurs, dont le gouvernement japonais.Linux, qui est amélioré constamment par des programmeurs volontaires à travers le monde, possède néanmoins un inconvénient majeur: "la base des logiciels ouverts représentés par Linux est solide mais les logiciels périphériques pour des utilisations telles que le traitement de texte, les tableurs et l'impression ne le sont pas", avait admis le représentant nippon. D'où l'organisation d'une réunion sept mois plus tard pour coordonner les efforts."Linux est une opportunité pour nous de réaliser une avancée dans le développement de logiciels, ajoutait à la mi-novembre Gou Zhongwen, vice-ministre chinois de l'Industrie de l'Information sur le site Internet du ministère. Mais le marché ne peut être développé à grande échelle sans soutien gouvernemental". Quelques jours plus tard, Li Gong, le directeur du centre de recherche de Sun en Chine, révélait la signature d'un accord avec China Standard Software Co Ltd, un groupement d'entreprises étatiques spécialisées dans la promotion des logiciels Linux, pour la livraison de 200 millions de copies de son logiciel de gestion. "Cela prouve que Linux va devenir la solution prépondérante en Chine, assurait-il alors. Les deux entreprises sont en train de mettre en place un faisceau de logiciels qui possède tout ce dont un utilisateur d'une entreprise, du gouvernement ou de l'éducation pourrait avoir besoin." L'Asie, base avancée de LinuxQue cette poussée "linuxienne" ait lieu en Asie n'a rien d'étonnant. Comme l'explique Martin Fink, vice-président du système Linux chez Hewlett-Pakard, qui revendique le rang de premier vendeur mondial de serveurs fonctionnant sous Linux, ce système "est le seul à répondre à des besoins très spécifiques d'applications en langues asiatiques", notamment avec les alphabets rares, comme le thaïlandais ou le coréen. Deuxième avantage, déjà énuméré, son prix, largement inférieur à celui de Windows. Mieux adapté à des clients à budget plus réduit, il devrait connaître une adoption croissante "sur les marchés émergents d'Asie-Pacifique, Amérique latine et Europe centrale", assure Al Gillen, analyste chez IDC. Selon le cabinet d'études, s'il n'est présent que sur environ 3% des 160 millions d'ordinateurs vendus chaque année dans le monde, sa part devrait monter à 7-10% d'ici à la fin de la décennie.L'augmentation de ses parts de marché pourrait être obtenue grâce au soutien de grandes entreprises en dehors des marchés émergents. Des groupes comme HP : "après la Chine, la Corée du Sud et le Japon, où la demande est particulièrement forte, nous allons également proposer des ordinateurs fournis avec Linux aux Etats-Unis et en Europe", a annoncé Martin Fink. Selon les termes de l'accord, le système d'exploitation Novell SuSe Linux deviendra le système Linux exclusif que HP "distribuera avec sa gamme de consoles de bureau et d'ordinateurs portables en Amérique du Nord" dans un premier temps. L'opération sera étendue à l'Europe, au Moyen-Orient, à l'Afrique et à la région Asie-Pacifique "à une date ultérieure".Les administrations européennes intéresséesEn ces temps de croissance modérée, les économies avancées poursuivent également des objectifs de réduction de coûts. Pour économiser 100.000 euros, la petite ville de Schwaebisch Hall, située dans l'Etat allemand de Bade-Wurtemberg, a ainsi décidé de remplacer totalement les logiciels Windows présents sur les ordinateurs de ses 400 employés par des produits Linux. Schwaebisch Hall est ainsi la première municipalité à profiter de l'accord signé entre le ministre allemand de l'Intérieur Otto Schily et IBM, qui vise à populariser Linux. Munich a également annoncé le basculement de 14.000 ordinateurs Windows vers Linux. Et ce malgré le déplacement du président de Microsoft dans la ville allemande pour lui offrir 90% de réduction sur le coût initial des licences. En Angleterre, les municipalités de Newham, à Londres, et de Nottingham s'orientent dans la même direction.En France, on n'en est pas encore là. L'Agence pour le développement de l'administration électronique (ADAE) n'est pourtant pas rétive au changement, comme l'a montré la publication en décembre 2002 d'un guide sur le passage aux logiciels libres. Elle cherche ainsi à "ouvrir à la concurrence les systèmes d'exploitation du parc d'ordinateurs de l'administration, estimé à un million, explique un représentant de l'Agence. Nous ne cherchons pas à tuer Microsoft et à imposer un autre système. Mais nous ne voulons pas laisser toute la gestion entre les mains d'une seule entreprise privée, américaine, et qui n'a pas les mêmes objectifs de service public que nous. Qui plus est, notre but est, à terme, de pouvoir gérer nous même le réseau".Comme le précise encore le responsable de l'ADAE, "il n'y a pas incompatibilité entre produits gratuits et produits payants. Nous effectuons donc nos choix en fonction de la demande de nos administrés". La France, touchée elle aussi par la mode Linux, devrait donc s'acheminer vers une coexistence entre les logiciels gratuits et ceux du géant de l'informatique.Microsoft ne compte pas se laisser faire...Face à la multiplication de ces menaces, Microsoft n'a pas tardé à réagir. D'autant que depuis un an, l'entreprise dirigée par Steve Ballmer ne cache plus sa crainte de Linux. Suite à la déclaration commune des trois pays d'Asie du nord-est, son responsable pour les affaires gouvernementales en Asie, Tom Robertson, a ainsi demandé de laisser "le marché se charger de déterminer les vainqueurs de l'industrie du programme. Les gouvernements ne devraient pas être en position de le faire". Plus concrètement, quand des administrations annoncent leur volonté de passer à Linux, Steve Ballmer n'hésite pas à se déplacer et à casser les prix, avec des réductions de 90% sur le tarif habituel des licences. Rien de bien compliqué, quand on dispose, comme Microsoft, d'une trésorerie de 53 milliards de dollars...
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