Jean-Cyril Spinetta ou dix ans de success story à la tête d'Air France

Jean-Cyril Spinetta a fêté dimanche ses dix ans à la tête d'Air France, aujourd'hui filiale du holding Air France-KLM. Une période durant laquelle il a métamorphosé la compagnie française, la faisant passer de troisième acteur européen à la santé financière encore fragile au leader mondial en termes de chiffre d'affaires. Ceci sans connaître le moindre résultat déficitaire, une performance de haut vol alors que le secteur du transport aérien a accumulé les coups durs depuis 2001. Retour sur les dates clés de cette success story.

23 septembre 1997, Jean-Cyril Spinetta, quitte ses fonctions au ministère de l'éducation pour prendre la présidence d'Air France en pleine fusion avec Air Inter, une filiale qu'il a dirigée entre 1990 et 1993. A 54 ans, il remplace Christian Blanc, qui a claqué la porte, faute d'avoir obtenu du Gouvernement Jospin la privatisation qu'il demandait. La candidature de Jean-Cyril Spinetta n'était pas le premier choix de l'Etat actionnaire. Elle a même été écartée dans un premier temps avant de revenir sur le haut de la pile. Jean-Cyril Spinetta l'avoue sans complexe. Il a été choisi par défaut. Dans l'entreprise, son arrivée suscite scepticisme et défiance. La succession de Christian Blanc, le leader charismatique qui a sauvé Air France, est lourde à porter. "Beaucoup pensaient qu'il n'aurait pas les épaules assez larges", se souvient un salarié. Jean-Cyril Spinetta relève le défi. Ce poste, il le voulait plus que tout. Passionné par ce secteur, il est convaincu qu'Air France est promise à un bel avenir. Et qu'il est le meilleur pour ce poste. En s'appuyant sur les fondamentaux instaurés par son prédécesseur (le hub de Roissy, l'harmonisation du réseau, la mise en place d'outils de yield management qui optimisent la gestion de la recette...), il lance Air France dans une phase de développement. Objectif : devenir une Major, au même titre que American, United, Delta ou British Airways et Lufthansa en Europe. "En interne, où le défaitisme était de rigueur, le projet fait sourire", se souvient un cadre.

1er juin 1998, le baptême du feu. À dix jours de la Coupe du monde du football organisée en France, les syndicats de pilotes appellent à la grève illimitée. Ils protestent contre la baisse de 15 % de leurs salaires, une mesure imaginée par Christian Blanc avant son départ. Une vraie bombe à retardement pour Jean-Cyril Spinetta. Dans la multitude de dossiers dont lui fait part Christian Blanc le jour de la passation de pouvoir, celui des pilotes aurait été abordé en quelques minutes, selon un proche. Jean-Cyril Spinetta négocie un échange salaires contre actions (qui s'avèrera très favorable aux pilotes) à l'occasion de l'ouverture du capital qui se profile. Mais refuse de payer les jours de grève. Une première à Air France, qui fait traîner le conflit. Lionel Jospin a beau l'appeler pour le raisonner, il ne lâche pas. "Pour lui, un accord c'est un accord", confie un proche. Les pilotes mettent fin à la grève. Jean-Cyril Spinetta confirme ses talents de négociateur social, un mélange de respect des partenaires sociaux et d'intransigeance. Hormis cette grève, la décennie Spinetta se caractérisera par une paix sociale retrouvée.

22février 1999, entrée en Bourse. Malgré la grève des pilotes, la compagnie dégage des résultats positifs. Suffisamment solides pour pousser Bercy à réduire la participation dans le capital d'Air France. Plus de 24,4 % du capital sont mis sur le marché par l'État et des actionnaires publics - ce qui ramène la part de l'État à 54,4 %- tandis que 12 % sont ouverts aux salariés, dont 8 % pour les pilotes. L'échange salaire-action est un succès. L'ouverture du capital aussi. L'entreprise reprend confiance Et peut se lancer dans sa politique de reconquête. Finie l'obligation faite par Bruxelles de maintenir la flotte à niveau constant, l'une des contreparties à la recapitalisation par l'Etat de 3 milliards d'euros en 1994. Air France lance un plan d'investissement de plus de 6 milliards d'euros sur cinq ans, essentiellement pour renouveler la flotte. La compagnie peut rattraper son retard sur ces concurrents.

Juin1999, l'alliance transatlantique. Air France revient sur la scène internationale en s'alliant avec la troisième compagnie américaine, Delta Air Lines. Rompant ainsi son isolement. "C'est trop tard", raillent les spécialistes. Ses rivales Lufthansa et British Airways ont pris un train d'avance en créant respectivement Star Alliance en 1997 et Oneworld en 1999. Tandis que Continental, Alitalia et KLM, travaillaient sur la création de Wings (qui ne verra jamais le jour, et que Swissair préparait son offensive suicidaire en investissant dans une foultitude de compagnies réunies dans l'alliance Qualiflyer. Mais Jean-Cyril Spinetta convainc Delta de l'intérêt de nouer un partenariat bilatéral fort. Il donnera naissance un an plus tard à Skyteam, aujourd'hui la deuxième alliance mondiale.

25 juillet 2000, 16 h 44 : crash de Concorde. Le vol charter AF 4590 à destination de New-York s'écrase peu après le décollage à Gonesse, près de Roissy, sous les yeux du président d'Air France. Le bilan est lourd : 113 victimes. Lui qui était à la tête d'Air Inter lors du crash du Mont Saint Odile ne cherche pas à fuir ses responsabilités et assume ses responsabilités. Son attitude est saluée. L'entreprise fait bloc. Cet accident sonnera le glas du Supersonique. En novembre 2003, son exploitation est arrêtée tant chez Air France que chez British Airways.

11 septembre 2001, les attentats de New York et de Washington. Le transport aérien entre dans une crise sans précédent. En dix jours, Jean-Cyril Spinetta prend des décisions radicales. Réorganisation du réseau, gel des embauches. "C'est à ce moment-là qu'il va gagner une énorme crédibilité en interne", explique un proche. Alors que les coups durs se succèdent entre 2001 et 2004 (guerre en Irak, épidémie de Sras, début de la flambée du pétrole), Air France survole la crise. Son réseau équilibré entre les différentes zones géographiques est un atout précieux. Et les liquidations de Swissair, de Sabena et d'Air Afrique lui ouvrent un boulevard en Afrique, au moment où l'axe transatlantique prenait du plomb dans l'aile. Contrairement à la plupart de ses concurrents, les résultats restent dans le vert. Et la compagnie ne licenciera pas.

Le 9 avril 2003, parution au Journal officiel de la loi de privatisation d'Air France. Dès que les "conditions du marché le permettront, l'État réduira sa part dans le capital de 54,4 % à un peu moins de 20 %", explique Bercy. Ce recul de l'État est primordial dans la stratégie d'alliances capitalistiques de Jean-Cyril Spinetta. Aucune compagnie aérienne privée n'aurait accepté de passer sous le contrôle d'une entreprise publique comme Air France. Et notamment KLM avec qui les premiers contacts ont déjà été pris en coulisses.

16 septembre 2003, accord de fusion avec KLM. À trois heures du matin au siège de Roissy. Jean-Cyril Spinetta et son homologue de KLM Leo Van Vijk signent leur rapprochement. La fusion est désormais irréversible. "À ce moment-là, je me demande si je ne fais pas la plus grosse c... de ma carrière", confie-t-il. Il n'en sera rien. KLM est une superbe affaire. Son prix avoisine les 800 millions d'euros . Une misère pour une compagnie riche d'une flotte de près de 200 appareils, et qui vient de lancer un plan de restructuration dont Air France profitera. Surtout, la fusion commence à être opérationnelle au moment où le trafic redécolle.
À l'issue de l'offre publique d'échanges (OPE), le 3 mai 2004, la part de l'État dans le nouvel ensemble est mécaniquement diluée et tombe à 44,7 % (18 % aujourd'hui). Air France est de fait privatisée. Air France-KLM devient le numéro un mondial du transport aérien en chiffre d'affaires (le troisième en trafic) et marque la première grosse opération de concentration depuis la libéralisation du marché européen en 1993.

26 mai 2004, accident du terminal de Roissy. Trois semaines après le début de la fusion avec KLM, Air France est victime de l'effondrement du terminal 2E de Roissy. Véritable poumon industriel, son système de correspondances (hub) est ébranlé. Jean-Cyril Spinetta est inquiet. Air France pourra-t-elle augmenter ses capacités de 5 % comme prévu cet été-là et les années suivantes? La compagnie relève le défi. Tout le programme de vols est revu en un temps record. Aucun n'est annulé, même le jour de l'accident. Air France pourra continuer à monter en puissance, malgré des conditions très dégradées. L'ouverture en juin du satellite S3 de Roissy est en revanche le point de départ d'une amélioration en termes de capacité et de qualité sans précédent. Ceci grâce à la politique d'investissement d'Aéroports de Paris. En mars 2008 terminal 2E rouvrira . Il sera suvi par la mise en service d'un terminal régional (2G) quelques mois plus tard. En seize mois, Air France récupèrera une capacité de 18 millions de passagers supplémentaires. C'est l'étape la plus importante de la stratégie de hub sur les quinze prochaines années. Le satellite S4, prévu en 2012, sera la prochaine.

5 septembre 2007, appel du pied à Alitalia. Jean-Cyril Spinetta déclare que si la direction d'Alitalia le contacte pour un rapprochement, il écoutera avec beaucoup d'attention. Après avoir boudé l'appel d'offres sur la vente des 49,9 % de la participation de Rome dans Alitalia, Air France-KLM revient dans la course. Air France.

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