The big mec

Quand un(e) écrivain(e), doit moyennant une grosse poignée de dollars, rédiger l'hagiographie du roi mondial du hamburger, ce n'est pas dans le ketchup qu'elle trempe sa plume, mais dans le poil à gratter, le gaz hilarant et la boule puante. A lire au second degré.

Jim Tobold, ancien jeune paumé des cités toulousaines, est devenu en un petit quart de siècle l'incontestable roi mondial du hamburger, prêt à dévorer, sans le mâcher, le premier concurrent venu, fut-il comme l'abominable Ronald, son proche collaborateur. Ne doutant de rien, surtout pas de lui-même, ce big mec possède tous les signes extérieurs de richesse: une voiture pour chaque jour de l'année (non bissextile), un Boeing aménagé, 130 salles de bains, une femme maltraitée mais toute dévouée et un chien, dénommé, forcément, "Dow Jones", le seul être vivant pour qui il manifeste (une peu) de confiance.

Décoré comme un maréchal de l'armée soviétique, riche comme plusieurs Crésus, entouré de beaucoup de "peoples" que l'on croise dans nombre des 146 pièces de son appartement de 32 étages (à New York, of course, la ville de tous les superlatifs), schnouffé à la dope un peu, aux dollars énormément, l'inventeur du "manger vite pour vivre vite", entre une virée "aux putes" et un conseil d'administration truqué se trouve subitement en manque: il lui faut immédiatement célébrer sa gloire, autrement dit qu'un écrivain de talent rédige, sous sa gouverne, "natürlich", sa glorieuse biographie.

Et voilà, pour une très très grosse poignée de dollars, l'écrivain(e) de se mettre au travail. Ses scrupules, elle en a forcément, s'estompent au rythmes des rencontres, De Niro par ici, Sharon Stone par là, séances de shopping, bijoux éclatants, virées prohibitives... Si la narratrice n'est pas dupe, elle demeure fascinée: le portrait se transforme en une photographie en négatif.

Certes, ce roman foisonnant comporte quelques erreurs (un siège de multinationale rue de Bièvre à Paris!), plusieurs approximations (on n'est plus à quelques millions de dollars près) et un style parfois cocasse (l'imparfait du subjonctif s'immisce dans les apartés). Qu'importe: ce très agréable roman se lit au deuxième degré. Il est alors drôle, amoral, déjanté. Puisque la fiction dépasse la réalité.


"Portrait de l'écrivain en animal domestique" de Lydie Salvayre, Le Seuil, 235 pages, 18 euros

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