Christian Lacroix au musée de la mode

Une exposition concoctée par Christian Lacroix et Olivier Saillard aux Arts Décoratifs à Paris, propose un superbe face à face entre les collections du musée de la mode et les robes du créateur. A cette occasion, Christian Lacroix répond à nos questions.

Dentelles, chantilly, gaze, crêpe de Chine, velours, tweed, soie et mousseline fuchsia, rouge laque, vert tendre ou noir. Invité à exposer au Musée de la mode à Paris, le créateur Christian Lacroix provoque un véritable feu d'artifice. Pour ce faire, notre homme s'est plongé dans les collections du musée d'où il a exhumé des pièces aussi rares que sublimes réalisées au cours des deux derniers siècles par des couturiers anonymes ou célèbres tels Nicole Groult, Balmain, Courrèges, Schiaparelli ou encore Mainbocher dont on redécouvre ici les fourreaux. Sans oublier ces coiffes extraordinaires faites de perles ou de plumes.

Regroupés autour de thèmes chers au créateur (l'arlésienne, les pois, les fleurs, la liturgie), ces trésors racontent une passionnante histoire des modes, dessinant aussi en filigrane une histoire de la femme dans un dialogue permanent avec des robes haute couture imaginées par Lacroix depuis 20 ans. Une conversation enchanteresse que poursuit pour nous le créateur dans l'interview qu'il nous a accordée.

La Tribune. Comment avez-vous conçu cette exposition?

Christian Lacroix. Je ne souhaitais pas, au moment de considérer les vingt dernières années passées, une banale rétrospective promotionnelle comme il s'en voit tant mais plutôt une légère introspection en croisant certains modèles parmi ces quarante saisons de Haute Couture et une large sélection de costumes dans les réserves du Musée des Arts Décoratifs dans lesquelles j'ai eu la chance de pouvoir m'immerger pendant presque deux ans.

Je suis proche d'Olivier Saillard (chargé de la programmation du Musée de la mode et du Textile, NDLR). Depuis des années nous avions envie de mettre en avant le fonds textile du musée ou de travailler sur le retour chronologique des modes. Pour les 20 ans de la maison, Béatrice Salomon (directrice du musée des Arts Décoratifs dont dépend le musée de la mode) souhaitait, comme moi, une exposition assez patrimoniale plutôt qu'une autocélébration.

Cet anniversaire nous a donc offert l'occasion de réaliser ce projet: considérer une à une les milliers de pièces du musée et en tirer nos chocs, nos étonnements, mes inspirations. Les quelques dizaines de modèles de la maison choisis par Olivier (j'aurais été incapable de faire moi-même ce choix) sont présentés sur un mannequin dont j'ai redessiné la tête, le profil et le long cou dans l'esprit de mes croquis.

Les trésors du musée sont sur des "bustes-cintres" suspendus à des portants techniques, alignés et magnifiquement "mannequinés" par les équipes du musée qui ont su retrouver la silhouette de chaque période tout en gardant la modernité de chaque pièce ainsi en suspens, abstraite comme une sculpture textile, sans l'anecdote polluante de la reconstitution. C'est la collection du musée (on n'a jamais montré autant de costumes, pour la plupart "inédits", dans une exposition) qui environne les modèles, leur sert de fond, induit le lien évident entre mode et musée.

Enfin, je me suis permis de coiffer les modèles de la maison avec la collection de chapeaux du musée et sporadiquement de mêler hauts et bas de grandes maisons passées avec des éléments de nos collections Couture pour ainsi créer des silhouettes de fantaisie emblématiques de ce que j'aime dans nos métiers, une sorte de sampling plus qu'un patchwork.

Vous revisitez à travers cette exposition l'histoire de la mode du XVIIIème siècle à nos jours. Quels sont à vos yeux les temps forts de cette histoire?

On ne réécrira pas l'histoire de la mode et des étapes emblématiques que nous connaissons tous, de la crinoline Napoléon III à la minirobe 60 en passant par Poiret, Chanel et le New Look. Ce sont plutôt les histoires que ces modes se racontent entre elles qui m'intéressent, me passionnent et m'inspirent. Les modes nées de la crise, de la révolution, de la guerre, sont les plus riches, les plus radicales, les plus extrêmes.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au sein des collections du musée de la mode?

La personnalité du musée, de ses donatrices, apparaît à travers ces collections. Nous avons aimé exhumer des noms ou des modèles oubliés ou méconnus comme Mainbocher, comme nous avons aimé montrer l'artisanat ébouriffant de toutes ces époques, de ces créateurs qui ont innové. Ils amusent, font plaisir, étonnent. Nous sommes aussi heureux de pouvoir montrer par cette scénographie très claire la richesse textile de ces collections, au-delà des modèles connus et le plus souvent, encore jamais vus.

La mode reste cantonnée à des musées qui lui sont spécialement dédiés. Pensez-vous qu'elle devrait rejoindre les musées généralistes?

Les années 90 ont enfin conforté les esprits dans l'idée de la transversalité. Elles ont montré la pénétration et l'interaction entre arts majeurs et arts mineurs, arts appliqués, comme on disait, entre toutes les disciplines aussi. Depuis dix ou vingt ans, en outre, les designers qui travaillent sur le vêtement ou l'environnement se rapprochent des plasticiens, des musiciens, des vidéastes pour créer un monde où les disciplines ne sont plus hermétiques. Cela induira donc forcément une autre manière d'aborder et conserver, montrer le travail dans un contexte plus large, global, où tout est dans tout, comme aujourd'hui.

Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus actuellement?

Les arts et traditions populaires. Il y a aussi Christian Rizzo avec qui je prépare une installation à la Galerie des Galeries autour de 20 ans de prêt-à-porter. Il est à la fois chorégraphe, styliste et musicien. Joachim Schmidt, Claude Lévêque, le designer Philippe Million, Cy Twombly, Georges Tony Stoll, Mathieu Mercier, Daniel Firman sont autant de plasticiens "solitaires" étrangers à tous les mariages douteux entre le luxe et l'art contemporain qui font ressembler l'art à de la publicité sur le lieu de vente.

Vous serez commissaire des Rencontres d'Arles cet été. Comment envisagez-vous cette collaboration?

Il s'agira de réfléchir sur le rapport entre les mots "rencontre", "photo", "Arles" et "mode". Non pas pour une programmation nostalgique, mais pour rebondir sur ces thématiques et leurs liens: aller - dans le travail des photographes de mode -, au-delà de la mode, explorer la relation viscérale entre cette ville et la photo (et plus largement, vidéo et arts plastiques), faire se rencontrer tout ça avec bien sûr des partis pris subjectifs qui seront les miens, sans pour autant verser dans l'autobiographie déplacée. Mais sans perdre de vue ce que ma ville natale, mon métier et mes passions ont fait de moi.

Je connais bien Arles et la mode. Et du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours vécu le monde par le prisme de l'image et de la photo. Nous allons donc essayer de faire une programmation cohérente tenant compte de tous ces paramètres, l'intime et le "glam", la présence et l'absence, le corps et l'apparence, cette ville et le monde, l'anonyme et l'iconique, la mémoire et la prospective. Toute une théâtralisation du monde et de l'époque entre passé et futur. Mon "arrêt sur image" en quelque sorte.


Christian Lacroix, histoires de mode. Musée de la mode et du textile aux Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris. Tel: 01 44 55 57 50. Ouvert tous les jours sauf le lundi de 11h à 18h et le week-end à 10h. Nocturnes le jeudi jusqu'à 21h. Jusqu'au 20 avril.

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