Renaissance sur le port de Sète

Dans "La graine et le mulet", Abdellatif Kechiche conte la renaissance d'un ouvrier d'origine maghrébine en bout de course. Soutenue par une progéniture nombreuse, cet homme taciturne et tenace veut se créer une nouvelle vie en ouvrant un restaurant de couscous sur le port de Sète. Un film chaleureux, plein de vie, avec des acteurs non professionnels confondants de naturel.

Après les très remarqués "La Faute à Voltaire "(2001) et "L'esquive" (4 césars en 2005) Abdellatif Kechiche réalise une grande et belle saga familiale, un film chaleureux à la Claude Sautet, une oeuvre d'auteur exigeant et grand public, une fable à laquelle chacun peut s'identifier, universelle donc, même si elle est située dans le milieu des Français d'origine arabe, implantés dans le Sud-est de la France, à Sète.

La réussite est d'autant plus remarquable que le réalisateur, lui-même originaire de Tunisie, n'utilise que des acteurs non professionnels qui se coulent avec un naturel confondant dans cette fiction très réaliste, comportant sa part de comédie et de drame. Avec des grandes figures dans les premiers rôles: Habib Boufares, le personnage principal, Monsieur Beiji, comme lui travailleur dans le bâtiment d'origine tunisienne, père d'une famille nombreuse, obsédé par le souci de laisser quelque chose à ses enfants. Autre découverte: Hafsia Herzi qui joue la jeune et belle Rym, la fille de sa maîtresse, prix de la meilleure jeune actrice au festival de Venise où le film a aussi obtenu le Prix spécial du jury et - excusez du peu - celui de la critique internationale.

L'histoire a pour cadre le port de Sète, là où vit seul M. Beiji, homme d'âge mûr, divorcé, taciturne et obstiné. Arrivé à la soixantaine, il se traîne sur le chantier naval dans un emploi devenu trop dur pour son âge. Il devrait prendre une retraite bien méritée mais il n'a pas assez cotisé, ayant beaucoup travaillé au noir dans sa jeunesse. En plus, il a des problèmes de santé du côté du coeur. Heureusement, M. Beiji est le père d'une nombreuse progéniture, mariée ou non. Et si ses grands garçons sont turbulents - l'un d'entre eux, joli coeur, lui causera involontairement bien des déboires - les filles veillent sur lui.

Leur mère est une maîtresse-femme, une matrone au grand coeur, reine du couscous, qui réunit toute sa tribu chaque dimanche autour de la table familiale et ce sont des moments débordants de chaleur et de vie.

M. Beiji, lui, n'en est pas, il a choisi de vivre seul près de sa maîtresse qui tient un bistrot-restaurant sur le port, au-dessus duquel il loue une chambrette. Ses garçons voudraient qu'il retourne au bled, pour se débarrasser de lui. Mais il refuse d'abandonner la partie et de rentrer pour ainsi dire bredouille au pays.

Il préfère s'inventer un futur, en l'occurrence ouvrir un restaurant de couscous de poisson (d'où le titre du film "La graine et le mulet"). Pour cela, il sait qu'il peut faire appel à son ex femme. Quant au lieu: un vieux rafiot destiné à la casse fera l'affaire pour peu qu'il soit retapé. Reste le plus difficile: faire la tournée des administrations afin d'obtenir les aides à la création d'entreprise. Dans sa lutte sourde contre le racisme latent, il peut compter sur l'aide de Rym qui n'a pas froid aux yeux. Et, pour la phase réalisation du projet, sur la contribution de toute sa tribu familiale et amicale.

Arrive le grand jour de l'inauguration du restaurant à laquelle M. Beiji a convié toute la bonne société sétoise. Pour autant la partie n'est pas gagnée et le happy end ne sera pas au rendez-vous. Car malgré la ténacité de chacun et les trésors d'ingéniosité déployés par Rym, un petit grain de sable va enrayer irrémédiablement cette belle mécanique de la renaissance.

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