Exclusif : un jugement pourrait coûter 3 milliards d'euros à l'Etat

La justice administrative vient de condamner en première instance l'Etat à rembourser 156 millions d'euros au groupe Accor. C'est la première application d'une jurisprudence européenne. Cinq autres groupes du CAC 40 sont engagé dans un contentieux identique.

Le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat, le 21 décembre 2006, à rembourser 156,065 millions d'euros au groupe Accor. Cette "décharge", comme disent les fiscalistes, résulte de la première application d'une jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). Ce qui est en cause est l'imposition des dividendes versés par les filiales européennes à leurs maisons mères situées en France. Jusqu'en 2005, ces dividendes étaient imposés. Mais une décision de la CJCE, dans une affaire concernant un citoyen finlandais contestant un dispositif similaire au cas français, condamne ce dispositif comme une restriction à la libre circulation des capitaux, un des principes de base de l'Union européenne. A la suite de cette décision, la loi française est modifiée pour s'adapter, à compter du 1° janvier 2005, à la nouvelle situation. Pour l'avenir.

Reste à solder le passé. Il le sera au détriment de l'Etat. L'argumentation d'Accor emporte la conviction des juges administratifs (voir le jugement ci-dessous). Suivant les conclusions du commissaire du gouvernement Grau (voir ci-dessous le document brut), ils condamnent l'Etat à rembourser le groupe. Contacté par la Tribune, Accor ne souhaite faire aucun commentaire dans cette affaire. Questionné, notamment sur l'éventualité d'un appel devant la Cour administrative d'appel, le cabinet du ministre du budget, n'a lui non plus pas souhaité commenter une affaire en cours.

Six groupes du CAC 40 concernés

Toutefois, l'affaire se corse. En effet, à l'instar d'Accor, plusieurs autres groupes du CAC 40 se sont lancés dans des contentieux identiques. Rhodia a ainsi obtenu lui aussi une décision en sa faveur devant le même tribunal administratif de Versailles. Selon nos informations, Valeo, Schneider electric, Pechiney et Suez ont entrepris des démarches identiques. Les jugements ne sont pas encore rendus dans ces dossiers. Il semblerait que d'autres entreprises se soient elles aussi engouffrées dans la brèche ouverte par la CJCE.

Plusieurs milliards d'euros en jeu

"Au total, les sommes que pourraient récupérer les entreprises s'élèveraient entre 3 et 5 milliards d'euros, plus précisément autour de 4 milliards", souligne Maître François Froment-Meurice, avocat au cabinet Salans, proche du dossier, membre du Conseil d'Etat en disponibilité et ancien député européen. Ces sommes augmentent régulièrement d'ailleurs, frappée d'un intérêt moratoire de 4,5 % par an tant que l'Etat n'a pas payé. Le dispositif du précompte condamné par la justice a ainsi rapporté à l'Etat, en sommes nettes des restitutions, 543 millions d'euros en 1999, 730 millions en 2000, 1,714 milliards en 2001 et 1,246 milliard en 2002, selon le ministère de l'économie et des finances. Interrogé par la Tribune, le cabinet du ministre du budget n'a pas non plus souhaité commenter ces informations.

L'Etat savait

L'affaire se révèle d'autant plus absurde pour les finances publiques que l'Etat était de longue échéance parfaitement informé de sa probable condamnation ainsi que de l'ampleur des sommes en jeu. "Ce dispositif n'est plus conforme au droit communautaire dans la mesure ou il crée une discrimination entre entreprise nationale et entreprises étrangères", indique, le 8 décembre 2003, Alain Lambert, alors ministre délégué au budget devant le Sénat. Il ajoute : "le sens des responsabilités (...) doit nous conduire à anticiper le risque de contentieux qui est incontestable". Lors de la même séance, Philippe Marini, alors rapporteurs du budget, remarque : "il n'est jamais agréable d'être sous le coup de possibles condamnations judiciaires surtout lorsqu'elles sont coûteuses (...) Nous sommes bien informé de l'action intentée par six grandes entreprises françaises devant les juridictions nationales".

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.