Avis d'expert : Comment le formalisme de la justice peut nuire au salarié

Maître Stéphane Béal, avocat associé, Directeur adjoint du Département droit et gestion sociale du cabinet d'avocats FIDAL, passe en revue les différentes étapes de la vie du salarié au travail afin de montrer que la protection du salarié ne passe pas forcément par le formalisme de la procédure juridique.

Quelques arrêts récents de la Cour de cassation illustrent l'exigence de formalisme posée par le Code du travail et appliquée avec sévérité par la plus haute juridiction. Cette tendance "lourde" montre que la recherche de la protection des salariés passe par l'exigence du respect par l'employeur des formes. L'idée peut être résumée comme suit : le respect des procédures entraînera celui du droit et plus généralement des droits des salariés.

Le signataire de ces lignes avoue son scepticisme. Non qu'il faille rejeter en bloc les formes et le formalisme car elles sont nécessaires et utiles. Mais de là à en faire un principe "sacré", il y a une marge. Ainsi en est-il lorsque le respect de la forme prend le pas sur le droit lui-même et son but. En effet, le droit ne constitue pas une fin en soi, mais un moyen d'arriver à un objectif : la définition de règles du jeu permettant aux différents acteurs de vivre et travailler ensemble.

Il est vrai que le droit du travail, français notamment, poursuit cet objectif mais il le fait à partir du postulat suivant : la relation de travail est déséquilibrée, inégalitaire, le salarié constitue la partie faible face à l'entreprise supposée plus forte et plus puissante. Le droit du travail vise à protéger le plus faible, donc le salarié.

Même s'il ne faut pas confondre le droit et l'équité, on ne doit pas oublier que cette notion n'est pourtant pas étrangère au droit. A ce titre on rappellera le Code civil qui dans son article 1135 prévoit : "Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature." (article utilisé par la chambre sociale dans un récent arrêt en date du 18 octobre 2006, n°04-48.612 PBRI Joseph X... c/ société Axa conseil).

Quoiqu'il en soit le propos n'est pas ici de contester ce déséquilibre, même si les situations sont diverses selon les périodes et les secteurs d'activité (il suffit d'analyser les secteurs qui ne trouvent pas de candidats, et que dire de l'inversion de tendance liée au départ massif à la retraite de la génération des baby boomers). Il s'agit de s'interroger sur le rôle des procédures et sur leur pertinence quant à la recherche même de l'objectif poursuivi.

Afin d'illustrer le propos, je prendrais quelques exemples issus de la jurisprudence récente de la Cour de cassation allant de la naissance du contrat à sa mort en passant par son exécution .

Le formalisme dans la conclusion du contrat de travail - le cas du CDD

Il convient tout d'abord de rappeler que la conclusion du contrat (et pas seulement en droit du travail) repose sur le principe du consensualisme. Ce terme, bien connu des juristes, signifie que le contrat est formé et existe dès lors que les parties ont échangé leur consentement sur les deux éléments essentiels que sont la "chose" et le prix. Si l'on traduit cela en langue droit du travail la chose est la prestation, la mission et plus généralement le travail demandé au salarié. Le prix, on l'aura deviné, est le salaire.

Ainsi sur la base de ce principe il suffit que les parties soient d'accord sur ces éléments pour que le contrat existe, l'écrit n'est pas nécessaire. Attention cela ne signifie pas que le contrat n'est pas utile, bien au contraire, mais il n'est pas indispensable. Le problème qui peut naître de l'absence d'écrit est celui de la preuve de l'existence de la relation (un bulletin de salaire suffit à la prouver) et surtout du contenu (fonction exercée, lieu de travail, période d'essai, clause de non concurrence...).

Mais dans un souci de protection rappelé plus haut, le législateur a exigé que certains contrats de travail soient écrits. Allant encore plus loin certaines clauses doivent impérativement y figurer. Sans être exhaustif on peut citer les contrats à durée déterminé, les contrats à temps partiels (qu'ils soient à durée déterminée ou indéterminée), le CNE...

Prenons le cas des contrats à durée déterminée, on sait que les cas de recours à ce type de contrat sont limitativement énumérés par le Code du travail. Concernant le remplacement d'un salarié absent, le code prévoit "Le contrat de travail ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas suivants : 1 Remplacement d'un salarié en cas d'absence,............." (Article L122-1-1) ; et précise "Le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif ; à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. Il doit, notamment, comporter : - le nom et la qualification de la personne remplacée lorsqu'il est conclu au titre du 1° de l'article L.122-1-1 ;..." (Article L122-3-1).

Voilà un salarié embauché en qualité de vendeuse par la société X dans le cadre de trois contrats à durée déterminée successifs conclus respectivement pour les périodes des 26 novembre au 3 décembre 1998, 7 au 12 décembre 1998 et 26 juillet au 2 octobre 1999. Mais là n'et pas le problème. En revanche, elle est embauchée à chaque fois pour remplacer plusieurs salariés absents pour cause de congés payés. La salariée introduit une action devant les juridictions afin de voir son CDD requalifié en CDI. La cour d'appel rejette sa demande aux motifs "qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce qu'un contrat à durée déterminée ait pour objet de pourvoir au remplacement de plus d'un salarié absent dès lors que le nom et la qualification de chacun des salariés remplacés sont précisés dans le contrat ;".

La Cour de cassation ne l'entend pas de cette oreille (cass. Soc 28 juin 2006 N° de pourvoi : 04-43053) et pose le principe suivant : "Attendu qu'il résulte de ce texte [article L. 122-1-1-1 du code du travail] que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour le remplacement d'un seul salarié en cas d'absence ;". Concrètement cela signifie qu'une entreprise ne peut prévoir dans un même contrat qu'un salarié "remplacera du 1er janvier 2006 au 31 janvier de la même année M X et du 1er février au 21 février Mme Y" mais elle devra faire 2 contrats différents. Il ne s'agit pas ici de critiquer la solution de la Cour de cassation mais simplement d'apprécier la complexité du droit qui loin de donner une sécurité aux différents opérateurs économiques et une protection aux salariés devient une arme dans les mains de celui qui le maîtrise.

Car on ne voit pas vraiment en quoi le fait que le contrat ait été conclu pour un ou plusieurs remplacements successifs protège le salarié dès lors que les absences sont réelles et les personnes remplacées bien identifiables.

Le formalisme lors de conflit dans l'exécution du contrat de travail

Prenons l'exemple, fréquent en pratique, de l'entreprise qui souhaite mettre un avertissement au salarié. Le droit disciplinaire est formaliste et vise à protéger les salariés. La responsable hiérarchique d'une salariée lui adresse un e-mail ainsi rédigé "Voila deux semaines où tes commandes ne sont pas rentrées dans l'ordinateur ou pas télécommuniquées, ce qui veut dire résultats non exploitables... Si tu souhaites recevoir un second courrier d'avertissement, tu vas être servie ? Je compte sur toi pour faire comme tous tes collègues, c'est-à-dire rentrer et télécom tous les vendredis soir"

On observera que ce reproche lui est adressé par voie électronique (e-mail). La cour d'appel considère qu'il s'agit d'un avertissement. La plus haute juridiction lui emboîte le pas et estime "qu'ayant relevé que par courriel électronique du 4 octobre 2002, l'employeur reprochait à la salariée de ne pas rentrer ses commandes dans l'ordinateur et de ne pas tenir son agenda à jour, et lui enjoignait de procéder à cette opération, à l'instar de ses collègues, tous les vendredis soirs, la cour d'appel a pu décider que ce courrier sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement".

Voilà qui va rassurer nombre d'entreprises, il est possible de considérer qu'un courriel constitue un avertissement, quel progrès ! La Cour de cassation (cass. soc 8 novembre 2006 N° de pourvoi : 05-41514) se met au goût du jour et monter par là qu'elle prend en compte les évolutions technologiques.

Mais attendons la fin de l'histoire. En effet, dans cette affaire l'employeur décidait de procéder au licenciement de la salariée. Mauvaise idée car les faits invoqués dans la notification de licenciement (qui sont les seuls à pouvoir être évoqués devant le conseil des prud'hommes) étaient les mêmes que dans le courriel. Or, si l'on considère que le courriel constitue un avertissement, dès lors que "les seuls faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient ceux-là même qui avaient justifié l'avertissement [par courriel] du 4 octobre", la conclusion s'impose d'elle même : les faits "ne pouvaient être sanctionnés une seconde fois". La souplesse concernant le formalisme de l'avertissement se retourne finalement contre l'employeur.

Le formalisme lors de la rupture du contrat de travail

On prendra deux exemples. Commençons par le cas du licenciement pour motif économique.Lorsqu'une entreprise est confrontée à la nécessité de réduire ses effectifs elle doit impérativement traiter les difficultés suivantes : définir un motif "économique recevable au regard du droit de travail français ; définir des "critères d'ordre" permettant de déterminer le salarié dont le contrat est rompu ; rechercher des solutions de reclassement dans l'entreprise et, le cas échéant, dans le groupe auquel elle appartient ; mettre en place un plan social (que depuis quelques années on nomme "plan de sauvegarde de l'emploi"), lorsque le nombre de suppressions envisagé est de 10 ou plus dans une entreprise d'au moins 50 salariés.

L'illustration porte sur l'obligation de reclassement dont on rappellera brièvement les contours afin de mieux appréhender ce qui suit.

A la suite d'une suppression ou transformation d'emploi, et avant d'envisager le licenciement pour motif économique l'employeur doit proposer aux salariés concernés "des emplois disponibles de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification substantielle des contrats de travail" (Cass. soc., 8 avril 1992, n°89-41.548, Jardin). D'origine jurisprudentielle, l'obligation de reclassement est préalable à tout licenciement pour motif économique (Cass. soc., 19 février 1992, n°90-46.107, RJS 04/92 n°420) ; elle a été consacrée par le législateur avec la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 (article L. 321-1, alinéa 3, du Code du travail).

En l'espèce, une association a procédé au licenciement pour motif économique de l'un de ses salariés. Au titre de l'obligation de reclassement lui incombant, elle lui a adressé des offres verbales d'emploi à temps partiel. Le salarié conteste la régularité du licenciement sur le fondement, notamment, de la violation de l'obligation de reclassement. La cour d'appel rejette ses prétentions en se fondant sur la production, par l'employeur, d'attestations d'offres à temps partiel refusées par le salarié.

L'intéressé se pourvoit en cassation et soulève devant les juges l'interrogation suivante : En vue d'établir l'exécution, par l'employeur, de l'obligation de reclassement préalable au licenciement économique, des modes de preuve alternatifs à l'écrit sont-ils admissibles ?

Il est certes vrai que le Code du travail précise en son article L.321-1 (3ème et dernier alinéa) "Les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises.". Mais cette exigence est-elle de fond ou de forme ?

Pour la Cour (arrêt du 20 septembre 2006 n°04-45.703) "les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises". Elle en fait donc de la règle relative à la forme écrite des offres de reclassement préalables au licenciement économique une règle de fond. En effet, la Haute Cour reproche aux juges du fond d'avoir considéré l'obligation de reclassement satisfaite "sans constater l'existence d'offres écrites et précises proposées au salarié".

Sur le plan pratique cela signifie que l'employeur ne pourra en aucun cas se prévaloir d'offres de reclassement non écrites et/ou qui n'ont pas été adressées au salarié par écrit. On ne lui laisse pas la faculté de prouver qu'il a exécuté son obligation de reclassement par un autre moyen que la production de la proposition écrite.

La sanction de la méconnaissance de l'obligation individuelle de reclassement, c'est-à-dire l'absence de cause réelle et sérieuse (cf. notamment cass. soc., 26 février 2003, ,°01-41030) a donc vocation à s'appliquer dès lors que l'employeur a omis d'adresser au salarié des propositions de reclassement par écrit.

Cette solution est particulièrement sévère puisque "le moyen relatif à l'obligation de reclassement est nécessairement dans le débat portant sur la cause économique du licenciement", et que les juges doivent le soulever d'office dès lors qu'ils examinent le caractère réel et sérieux du licenciement pour motif économique (cf. notamment cass. soc., 6 décembre 2000, n°98-45.644 et cass. soc., 24 octobre 2000, n°98-41192).

Bien entendu l'écrit est de loin préférable mais qu'est-ce qui importe : que l'employeur recherche des solutions de reclassement et les propose au salarié ou qu'il fasse un écrit qui ne pourrait exigé qu'à titre de moyen de preuve.

Autre illustration : le licenciement pour motif personnel.

Voilà une entreprise qui envisage de licencier un salarié et le convoque à un entretien préalable par télécopie adressée à son domicile. Le Code du travail prévoit (article L.122-14) que : "L'employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation. L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation". La cour d'appel qui avait été amenée à se prononcer avait considéré que le salarié avait nécessairement eu connaissance de cette convocation, même faire par télécopie, car le salarié était présent à l'entretien préalable.

Pour la Cour de cassation (arrêt du 13 septembre 2006 N° de pourvoi : 04-45698) cela ne suffit pas et elle considère que la convocation préalable "par télécopie ne pouvait pallier l'inobservation des prescriptions légales, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;". La procédure n'est donc pas régulière et le salarié pourra donc prétendre à des dommages et intérêts à ce titre (attention cela ne rend pas pour autant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Nous pouvons sans risque extrapoler et considérer que la décision serait la même en cas de convocation par e-mail.

Maître Stéphane Béal, avocat associé, Directeur adjoint du Département droit et gestion sociale du cabinet d'avocats FIDAL


(Titre et intertitres sont de la rédaction)

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