Pierre Graff : "Les aéroports parisiens sont un actif stratégique pour la nation"

Alors que le marché s'attend à une privatisation d'ADP, son PDG insiste sur la mission d'intérêt général des infrastructures dont il a la charge. Redoutant probablement une prise de contrôle par des intérêts privés étrangers, il invite l'État à rester présent au capital. Pour limiter le risque d'une croissance limitée en France, ADP se dit prêt à des acquisitions à l'international, mais regrette le peu d'offres en la matière.

La Tribune. L'assemblée générale de vos actionnaires a lieu ce mercredi. Avez-vous de bonnes nouvelles à leur annoncer ?

Pierre Graff. Aéroports de Paris se porte bien. Lors de la mise en Bourse en juin 2006, nous nous sommes engagés sur un certain nombre de points à atteindre d'ici à 2010. Nous les avons déjà réalisés pour certains d'entre eux. Concernant par exemple, les surfaces commerciales, nous comptions les augmenter de 30% d'ici à 2010 et même de 44% dans la zone "duty-free". Fin 2008, la hausse sera de 34% et de 70% pour l'international. Nous nous étions aussi engagés à améliorer l'Ebitda de l'entreprise d'au moins 45% entre 2006 et 2010. Nous visons désormais les 60%. L'objectif de gain de 15% de productivité est déjà atteint aux deux tiers. Comme nous le faisons depuis 2005, le dividende représentera 50% du résultat net consolidé. Cette année, les actionnaires vont d'ailleurs avoir une belle augmentation puisque le résultat net comprend une part d'exceptionnels importante provenant de la vente de notre participation dans l'aéroport de Pékin. Il s'élèvera à 1,63 euro par action. L'action est aujourd'hui à plus de 70 euros, mais il y a 18 mois, elle était à 44 euros. Nous n'avons pas failli vis-à-vis de nos actionnaires.

Quels sont les défis pour les grands aéroports au cours des prochaines années ?

Ils devront adapter leurs services pour répondre à la fois aux besoins des compagnies traditionnelles comme Air France-KLM, qui assurent un trafic court, moyen et long-courrier, et misent sur la technique du hub (système de correspondances). Mais aussi à ceux des compagnies à bas coûts, pour l'heure spécialisées sur le trafic de point-à-point sur le moyen-courrier. Leur activité se développe à un rythme très soutenu.

La réponse à ces besoins est d'autant plus difficile qu'elle va se faire dans un contexte de rareté de la ressource aéroportuaire dans la mesure où il devient très difficile de construire de nouveaux aéroports dans les pays tels que les nôtres. Un autre élément est crucial: les aéroports et les compagnies qui y ont basés leur hub, doivent fonctionner en couple s'ils veulent réussir. C'est ce que nous faisons à Paris avec Air France-KLM. C'est d'autant plus important que les aéroports en plein développement du Moyen-Orient et les compagnies qui y sont basées pourraient un jour menacer nos hubs, même s'il ne faut pas surestimer le danger. Ce qui est sûr c'est que la bataille du hub se gagnera aussi au sol.

Vous parlez de ressources aéroportuaires. Quels sont les obstacles qui empêcheraient Aéroports de Paris de répondre à la croissance du trafic ?

Aéroports de Paris dispose déjà des pistes nécessaires. La construction des aérogares ne pose pas de problème technique, il reste en fait deux goulets d'étranglement: la capacité du contrôle aérien et la contrainte sociale. Les sujets relatifs à la navigation aérienne pourront être traités si un certain nombre d'aménagements techniques sont apportés. Quant à la seconde, je rappelle que Paris-Orly est plafonné à 250.000 créneaux horaires par an et que Paris-Charles de Gaulle l'est également en termes de bruit. Concrètement l'énergie sonore émise annuellement à Paris-Charles de Gaulle ne peut dépasser un plafond calculé sur la moyenne des années 1999, 2000 et 2001. C'est finalement vertueux, car les compagnies aériennes sont contraintes de moderniser leur flotte si elles ne veulent pas que le plafond soit atteint. La flambée du prix du kérosène les y incite fortement.

Justement, que pensez-vous de la flambée actuelle du baril ? Ressentez-vous déjà une baisse de trafic ?

A cette date, le trafic sur nos plates-formes est en croissance. La ressource aéroportuaire est rare et nous avons un modèle économique robuste et diversifié. Il est trop tôt pour faire un diagnostic sur le moyen terme.

Des propositions pour élaborer une charte du développement durable de Roissy vont être transmises au gouvernement. Qu'en pensez-vous ?

Dans ce débat il faut faire très attention. L'aéroport de Paris-Charles de Gaulle est un outil d'intérêt général. Si les compagnies aériennes ne peuvent plus se développer à Paris-Charles de Gaulle, elles n'iront pas à Marseille ou à Bordeaux, mais à Francfort. Avec les hubs de FedEx et d'Air France à Paris-Charles de Gaulle, la zone de chalandise d'une PME régionale s'étend à la planète entière. Le développement durable est un thème qui me tient particulièrement à coeur. Pour progresser concrètement sur des sujets aussi complexes, il faut se garder de toute idéologie. C'est pourquoi je soutiens totalement la démarche engagée par le président de la République et le gouvernement en 2007 dans le cadre du Grenelle de l'Environnement. Je sais que la Commission présidée par M. Dermagne s'attachera à préserver le dynamisme de création d'emplois des aéroports - je vous rappelle que nous créons 4.000 emplois directs et indirects par million de passagers supplémentaires - et la protection des riverains.

Aéroports de Paris a déjà beaucoup investi dans ce domaine. Avec le ministre de l'Ecologie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, Jean-Louis Borloo, nous avons pris de nouveaux engagements lors du Grenelle de l'Environnement. Je crois au progrès de la science et à la capacité de l'homme pour trouver des solutions assurant un développement harmonieux de ses activités.

Craignez-vous de nouvelles contraintes ?

Notre activité est déjà très réglementée. Il n'y a pas beaucoup d'aéroports en Europe où les normes soient plus drastiques que chez nous. Non seulement les avions du chapitre 1 et du chapitre 2 sont interdits comme partout en Europe (classement international des avions en fonction de leurs émissions sonores) mais les avions les plus bruyants du chapitre 3 seront tous interdits en septembre. C'est très sévère. Et l'Etat avec Aéroports de Paris a déjà pris de nombreuses autres initiatives pour protéger l'environnement. De plus, sur ces questions, il faut éviter de raisonner à technologie constante, et intégrer les progrès qui, inéluctablement, vont changer la donne demain. A l'horizon 2030-2035, des générations d'avions bien moins bruyants vont apparaître sur le marché. Quand dans les années 30 certains critiquaient les locomotives à vapeur, ils étaient loin d'imaginer l'apparition des TGV, cinquante ans après.

Aéroports de Paris peut aussi chercher sa croissance ailleurs. A l'international...

Oui. Toute entreprise a tôt ou tard besoin de trouver des relais de croissance. L'international peut répondre à cette exigence. Il est temps d'amorcer cette démarche même si nous ne sommes pas pressés. D'ici à 2015, notre objectif est de gagner entre cinq et dix appels d'offres dans des consortiums dans lesquels nous serions minoritaires avec 10% du capital environ mais en assurant la gestion. A cela j'ajoute un ou deux aéroports dans lesquels notre participation serait significative, voire supérieure à 51%. Plutôt dans des pays membres de l'OCDE pour éviter les risques.

Quelles sont les cibles ?

Prague et Chicago-Midway nous intéressent. Le premier est un très bel actif bien situé en Europe centrale. Mais le gouvernement tchèque n'a toujours pas communiqué les détails de l'appel d'offres qui devait être lancé cet été. La remise des offres est désormais décalée à 2009. A Chicago, le schéma est de disposer de 10% à côté de Morgan Stanley. Nous venons de franchir une étape. Après audition, nous avons été sélectionnés. Nous remettrons une offre à l'automne.

Et sur les autres continents ?

Nous sommes très en veille sur la Chine, l'Inde, et le Brésil. En fait, il est moins difficile de trouver des partenaires financiers que des affaires qui sortent. Nous gardons un oeil sur Lisbonne et Zagreb.

Pourquoi la Chine, alors que vous vous êtes désengagé de Pékin ?

Pour investir en Chine, soit vous êtes concessionnaire pour 25 ans, soit vous êtes un actionnaire minoritaire et vous raisonnez comme un investisseur financier. A Pékin, notre contrat de gestion qui accompagnait notre investissement s'est peu à peu terminé. Aussi, comme notre poids s'est retrouvé dilué au conseil d'administration et que le cours de Bourse atteignait un plafond, nous nous sommes retirés. Nous avons réalisé une excellente plus-value de 110 millions d'euros. Aujourd'hui nous prospectons le marché chinois avec Veolia. Nous ciblons plutôt des petits aéroports (10 millions de passagers). Nous avons quelques touches.

Aéroports de Paris serait-il intéressé par des grands aéroports régionaux qui ont changé de statut si l'Etat se désengageait ?

Bien entendu Aéroports de Paris regarderait ces dossiers s'ils venaient à se présenter. A ce jour, Bordeaux, Lyon et Toulouse ont créé des sociétés aéroportuaires. Le moment venu et si j'ai le sentiment que les responsables locaux accueillent avec intérêt notre candidature, nous déposerons une offre.

Si le premier gestionnaire aéroportuaire, le britannique BAA qui est menacé de démantèlement à Londres, devait vendre une partie de ses aéroports, serez-vous candidats ?

On prendra un dossier pour Gatwick même si a priori je suis très réservé. Je n'ai pas évoqué Heathrow qui est beaucoup plus intéressant, car j'imagine mal Ferrovial, la maison-mère de BAA, s'en séparer. Mais on ne sait jamais...

A Paris, vos relations avec Air France se sont en apparence apaisées, mais les associations dans lesquelles elle est présente continuent à faire des recours judiciaires contre la hausse de vos redevances. Comment l'expliquez-vous ?

Nos relations avec les compagnies aériennes et les Alliances sont effectivement de bonne qualité. Mais en revanche certaines associations multiplient les contentieux. C'est un peu hypocrite: on sait bien qu'il suffirait que les compagnies sifflent la fin de la partie pour que cela s'arrête. Je ne suis pas dupe. Les associations ont attaqué le contrat de régulation économique signé avec l'Etat en 2006 (il fixe notamment le niveau d'investissement et le niveau des redevances entre 2006 et 2010), elles ont perdu. En revanche elles ont gagné un recours sur la forme. Nous l'avons corrigé. Maintenant, nous sommes attaqués sur la correction. Mais notre dossier est béton. Je ne comprends pas cet acharnement ! Et au final de quoi parle-t-on ? On parle de quelques millions d'euros répartis sur 84 millions de passagers c'est-à-dire quelques centimes à comparer au niveau des surcharges kérosène - jusqu'à 50 euros sur le long courrier - que les compagnies sont parfois contraintes d'appliquer.

C'est sans fin ?

Oui. Je regrette que ces associations ne comprennent pas que tout ce qui a été entrepris à Aéroport de Paris, l'ouverture du capital, la mise en Bourse... sert leur intérêt. Les compagnies ont besoin d'un aéroport productif capable d'évoluer et d'investir. Sans la réforme d'Aéroports de Paris et sans nos investissements, la bataille se jouerait aujourd'hui entre Francfort et Londres.

Les compagnies assurent que la hausse est trop importante par rapport à l'inflation et au service rendu...

Elles sont d'accord lorsque nous proposons un plan d'investissement de 2,7 milliards sur cinq ans - elles en demandent même un peu plus. Elles sont d'accord aussi lorsque nous mettons en place un système de bonus-malus pour la qualité de services. La seule pierre d'achoppement, ce sont les redevances. Mais que dit la loi ? Que les revenus d'une société doivent couvrir les charges, les amortissements et rémunérer les capitaux employés. Cela me semble tout à fait normal et légitime.

Dans ce contexte, comment voyez-vous la négociation du prochain contrat de régulation pour la période 2011-2015?

Cela va être sportif ! La clé du prochain contrat sera le niveau d'investissements. Je proposerai, une hypothèse basse avec une stabilisation des redevances et donc les capacités d'investissement correspondantes. Nous venons de lancer la construction du satellite S4 à Roissy, qui, lorsqu'il ouvrira ses portes en 2012, portera la capacité de la plate-forme à 80-85 millions de passagers. Et après ? Les compagnies aériennes, traditionnelles et à bas coûts, affirment qu'il faudra rapidement des capacités additionnelles, auquel cas de nouveaux terminaux devront être financés lors du prochain contrat de régulation. Si les besoins s'avèrent plus éloignés, la question de leur financement n'aura pas à être abordée lors du prochain contrat. Et dans ce cas là, ce n'est pas le même niveau de redevance. Il va falloir procéder à des analyses d'évolution de trafic très fines.

Et de nature du trafic aussi...

Absolument, cette question complexifie tout. J'essaye d'imaginer techniquement les extensions possibles qui puissent fonctionner quelle que soit la nature du trafic qui prédominera à ce moment là. Sera-t-il aux mains des compagnies organisées en hub ou aux low-cost? Mais, je peux d'ores et déjà vous dire que la création d'un terminal dit à bas coûts comme à Marseille n'est pas prévue. Elle pose notamment de réels problèmes juridiques comme l'a montré récemment la décision du Conseil d'Etat.

Bruxelles planche sur un projet de règlement sur le sujet des redevances avec la création d'un régulateur autonome dans chaque pays. Qu'en pensez-vous ?

Effectivement, Bruxelles veut un régulateur indépendant, à la fois des compagnies aériennes et de l'aéroport. Est-ce qu'aux yeux de la Commission européenne, l'Etat est considéré comme un régulateur indépendant ou pas ? Je n'ai pas la réponse.

Et s'il se désengage ? Aujourd'hui l'Etat possède 68%, il peut céder des titres sans aller au dessous de 51% sauf à changer la loi. Deux scénarios souvent évoqués par certains analystes...

L'Etat fera ce qu'il voudra, évidemment. La modernisation d'Aéroports de Paris ne pouvait pas se faire dans une structure d'établissement public. Il fallait changer le statut et appeler des fonds. L'ouverture du capital amène un dynamisme que seule une gestion privée peut apporter. Mais Aéroports de Paris a aussi une mission d'intérêt général en participant aux côtés de l'Etat aux actions de sécurité, de sûreté (attentats), d'environnement et d'aménagement du territoire. Car, vous le comprenez, les aéroports parisiens sont un actif stratégique pour la nation.

Vous êtes donc contre un éventuel désengagement de l'Etat ?

La question ne se pose pas. La loi dit que l'Etat ne peut passer en dessous de 51%. Si la loi devait être modifiée, et dans la mesure où ces aéroports constituent un actif stratégique, ma conviction est que l'Etat devrait trouver les voies et moyens pour faire valoir ses intérêts. Un moyen simple pourrait consister à rester présent au capital.

Vous pensez être entendu ?

C'est en tout cas ma conviction. Pour l'heure, la loi ne change pas.

Où en est le dossier de transport ferroviaire rapide entre Paris et l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle, dit CDG express?

Comme vous le savez Aéroports de Paris soutient ce projet. Le gouvernement a lancé un appel d'offre. CDG Express est prévu en 2012, nous espérons que cet objectif pourra être atteint.

Votre mandat s'achève en juillet 2009. Est-ce que vous postulez pour un second ?

C'est l'actionnaire principal, c'est à dire l'Etat, qui décidera. Ce que je dis très clairement c'est que je suis sur 2012. Je suis même un peu au-delà, 2020. Pourquoi 2012 ? Parce que c'est l'ouverture du satellite S4, un projet majeur pour le groupe et l'industrie du transport aérien. Je regarde l'avenir.

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