John Ford, l'Amérique en cinémascope

Spécialiste de l'univers fordien, Joseph McBride dresse un portrait saisissant du grand cinéaste américain qui - de l'âge d'or du muet jusqu'aux westerns en technicolor - a connu tous les grands bouleversements d'Hollywood. Une biographie qui ravira les cinéphiles comme les passionnés d'histoire des Etats-Unis.

"Je m'appelle John Ford et je fais des westerns": voici comment se présentait le cinéaste devant ses pairs en 1950 alors qu'ils devaient se prononcer sur la "liste noire" écartant des studios les artistes soupçonnés de sympathies communistes.

Mais derrière l'apparente modestie du bon artisan qui façonne d'honnêtes films, se cache un tout autre personnage. Dans sa superbe biographie de John Ford (1894-1973), Joseph McBride ne mâche pas ses mots pour décrire le caractère du cinéaste: violent, alcoolique, irascible... mais créateur de génie qui a dirigé 137 films entre 1917 et 1966.

S'il a donné ses lettres de noblesse au western ("La chevauchée fantastique", "La prisonnière du désert"...), Ford s'est illustré aussi dans la veine sociale ("Les raisins de la colère"), politique ("Le soleil brille pour tout le monde"), patriotique ("Les sacrifiés"), sans oublier des oeuvres inspirées de ses origines irlandaises ("Le mouchard", "L'homme tranquille").

Pour évoquer la vie et l'oeuvre de ce cinéaste mythique, il fallait toute l'érudition et la passion d'un spécialiste de l'histoire du cinéma qui a consacré près de trente ans à étudier l'univers fordien. On reste ébahi devant la mine d'informations et d'anecdotes que fournit l'auteur sur le cinéaste. McBride a interrogé tout ceux qui l'on côtoyé à Hollywood. On sait tout de ses relations complexes avec les femmes: son mariage sans amour, sa brève relation avec Katharine Hepburn ou sa passion platonique pour Maureen O'Hara. De ses amitiés viriles notamment celle avec John Wayne (qui est a longtemps été son souffre douleur), comme de ses inimitiés avec les studios où peu de producteurs échappent à sa vindicte (à l'exception notable du grand Darryl Zanuck).

Joseph McBride raconte avec passion les débuts de cet enfant de la cote Est (il est né dans le Maine et non en Irlande comme il le faisait croire) qui vient rejoindre en 1914 son frère Frank, acteur et réalisateur de films muets à Hollywood.

Accessoiriste, cascadeur et même acteur (notamment dans le mythique "Naissance d'une nation" de DW Griffith), Ford passe derrière la caméra en 1917. L'arrivée du parlant et les bouleversements qu'il a engendré dans l'industrie du cinéma est un moment fort de cette biographie. L'auteur explique comment Ford a parfaitement négocié ce virage technique et artistique: "Le cinéma est actuellement au seuil d'un de ses progrès les plus importants: l'emploi d'images sonores et non plus seulement visuelles", note le cinéaste alors que nombre de ses confrères (dont son frère Frank qui vit sa carrière décliner) dédaignent encore cette innovation.

Autre épisode méconnu de la vie de Ford: son engagement total dans la Seconde guerre mondiale en qualité de chef de la branche photographique de l'OSS. L'ancêtre de la CIA avait bénéficié des services du cinéaste dés la fin des années 1930 quand Ford espionnait les mouvements des navires de guerre japonais depuis son propre yacht! De la bataille de Midway jusqu'au débarquement en Normandie, il aura réalisé ou supervisé plus de 80 documentaires de propagande pour soutenir l'effort de guerre américain.


"A la recherche de John Ford" de Joseph McBride. Traduit de l'américain par Jean-Pierre Coursodon. Editions Institut Lumière / Actes Sud, 1.100 pages, 120 photos, 30 euros.
A voir: la rétrospective des films de John Ford à l'Institut Lumière du 22 janvier au 2 mars. www.institut-lumiere.org

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