Travailler dans le meilleur des mondes

Le palmarès 2011 des "best workplaces", qui distingue les sociétés où il fait bon travailler, a présenté ses lauréats. Mais si la méthode du classement ne souffre d'aucune contestation, sa démarche pose question.
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On imagine demain la discussion banale d'un dîner en ville : « Vous travaillez où ? », dans un « great place to work ! ». Entendez : « Une entreprise où il fait bon travailler. » Et votre voisin de table, aussitôt jaloux, de s'interroger sur ce miracle managérial capable de trouver une parade au mal-être rampant dans moult bureaux. Publié lundi, le palmarès 2011 des « best workplaces » distingue les sociétés où les salariés arrivent, le matin, en sifflotant et repartent, le soir, le sourire aux lèvres. Depuis neuf ans, l'institut Great Place to Work dresse ce classement des entreprises « qui permettent aux salariés, grâce à de bonnes pratiques, de travailler dans un environnement agréable où règne la confiance ». Quelque 127 sociétés ont postulé, 30 ont été récompensées. PepsiCo France, Microsoft France et Leroy Merlin occupent les trois premières places du podium des plus de 500 salariés. Octo (SSII), W.L. Gore&Associés (l'inventeur du Gore-Tex) et Accuracy (conseil en finance) sont couronnées dans la catégorie des moins de 500 salariés.

Le principe de sélection repose sur un dossier déposé par l'entreprise, une enquête via des questionnaires auprès des salariés, et un entretien avec la direction générale et les RH. Les critères d'éligibilité sont indéniablement valables : confiance des salariés dans leur encadrement, fierté d'appartenance et convivialité. Une équation qui, selon le lauréat PepsiCo France, allie exigence et plaisir, performance et bien-être. En pleine crise de sens dans les entreprises, on salue ceux qui se démènent pour rendre leurs salariés heureux. L'intention et ses résultats sont louables. La démarche, elle, pose question.

À commencer par sa logique promotionnelle. Il ne suffit plus de vanter ses produits pour conquérir des clients. Il faut séduire ses salariés. À l'heure où le stress gangrène les organisations, afficher haut et fort ses vertus humanistes est du meilleur effet. En jargon RH, postuler à « Great place to work » revient à « travailler sa marque employeur ». Un marketing de bon aloi censé attirer les talents et tous ceux pour qui l'ambiance au travail est l'un des tout premiers critères d'engagement. Cette promesse de bonheur est-elle une garantie ?

C'est là le deuxième écueil. Le risque est grand pour les individus d'intérioriser le bien-être et la performance de l'entreprise, au point de se sentir coupables s'ils ne cherchent pas à jouer le jeu. Autoproclamer que l'on travaille dans une entreprise formidable peut mettre en abîme ceux qui ne partagent pas ce sentiment. Et ainsi les amener à dissimuler leur souffrance. Cacher les aspects négatifs, c'est refuser aux autres la permission de montrer les leurs. Obsédées par la recherche de la perfection dans le plaisir, les entreprises en viennent à croire, tout comme les individus, que vivre comblé, c'est ne jamais éprouver de contrariétés. Le moindre affrontement ou déplaisir devient un élément suspect à corriger sans attendre.

D'où le troisième péril visant à créer un système dans lequel rien ne dépasse. Comme dans une famille, le collectif a besoin de conflits pour être soudé, de se laisser déranger pour mieux avancer. Admettre l'imperfection, c'est autoriser la singularité et, ce faisant, la richesse et la diversité. L'avenir pourrait être à un management au cas par cas qui ne ressent pas le besoin que tout soit sous contrôle. Car « encourager une société visant au bonheur total, c'est fabriquer une civilisation de la peur », estime Eric G. Wilson chercheur américain et auteur de « Against Happiness ». En cultivant le sans-faute et en dissimulant les ratés, l'organisation risque d'être constamment sur la défensive. À terme, elle peut juger plus important de maintenir les apparences de la perfection pour rester sur le podium. La tentation reste forte de mettre les salariés sous la toise en favorisant une équipe de clones.

L'innovation ne se nourrit (hélas) pas de conformité. Mais de poil à gratter. On se souvient du « Friday Wear » dans les années 1980 où celui qui arborait ce jour-là une cravate passait pour un pingouin égaré. Attention aux concours de beauté dont on sait qu'ils rendent les jeunes filles anorexiques. Les entreprises peut-être aussi.

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