Médée : la femme qui pleure

Deuxième partie du triptyque consacré au mythe de la femme infanticide, le Théâtre des Champs Elysées a produit l'opéra de Pascal Dusapin chorégraphié par Sasha Waltz. Quand la musique contemporaine réussit brillamment à traduire dans notre langage les mythes les plus anciens
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"Ecrire un opéra n'est pas une lutte. Un opéra ne peut rien, ce n'est pas non plus une arme. Il est seulement possible avec un opéra de témoigner d'une inquiétude". Cette affirmation de Pascal Dusapin, résume parfaitement son Medea, opéra écrit en 1992 d'après le livret de Medeamaterial de Heiner Müller. Ici point de discours introductif, ni de contextualisation du mythe. L'oeuvre débute quasiment au point final de la légende : le meurtre de Créuse avec laquelle Jason a prévu de trahir Médée et celui de ses deux enfants. L'histoire est ici réduite à sa plus simple expression, tous les monologues de Médée étant surtout l'occasion de mieux la cerner psychologiquement. Monologues durs, crus, brutaux où Médée scande notamment : "Pour toi j'ai tué et enfanté ; moi ta chienne ta putain : moi barreau sur l'échelle de la gloire". Ici pas de faux semblant, on comprend que Médée n'a pas le choix. Elle qui se plaint de ne plus être un animal et d'être devenue femme, ne pourra faire autrement que d'anéantir sa propre chair. Face à ce partie pris d'élan ravageur, la musique contemporaine de Pascal Dusapin trouve toute sa légitimité. Et le duo entre cette musique moderne et la voix de la soprane, Caroline Stein, duo pas forcément en harmonie, la notion d'accompagnement n'étant absolument pas de circonstance, nous enveloppe et nous pénètre sans que l'on sache vraiment pourquoi. "c'est dans cet espace que se négocie la terreur de Medea. Elle est seule. Mais l'orchestre la protège et jamais il ne va jusqu'à imiter ses pleurs, ni ne la suit dans ses imprécations. Il l'accompagne tout au plus dans son extrême affliction. cependant aucune stabilité ne peut rassurer cette voix déchaînée par l'épouvante", commente pascal Dusapin.
Et l'oeuvre de ce compositeur contemporain ne nous prendrait d'ailleurs pas autant aux tripes sans la superbe chorégraphie de Sasha Waltz et de ses danseurs, sombres témoins lunaires de la terrible Médée. Loin de nous distraire de la musique, cette chorégraphie amplifie le message psychanalytique de Müller et Dusapin. Miroirs, acteurs, spectateurs ils sont le pivot de ce drame. Grains de sable que même les vents les plus violents ne parviennent pas à effacer de la scène, ils sont métaphore, allégorie et symboles. Cette oeuvre contemporaine est une vraie réussite pour qui la musique ne vit pas seulement d'elle même mais aussi de son environnement imaginaire et de la puissance du mouvement.
Le dernier mouvement de ce triptyque conçu autour du mythe de Médée aura lieu du 10 au 16 décembre avec le Médée de Luigi Cherubini dirigé par Christophe Rousset et son ensemble Les Talens Lyriques
 

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