Petites névroses d'une grande institution

Cette semaine, les commissaires désignés ont commencé à passer sous les fourches caudines des députés, chacun s'engageant solennellement à défendre l'intérêt de l'Union.
Florence Autret

Nous en connaîtrons l'issue le 22 octobre, mais gageons que les deux institutions sortiront vainqueur de cette joute ritualisée où chacune montre ses muscles. En attendant, permettons-nous d'ouvrir un intermède dans ce grand théâtre politique. La vie de nos chères institutions est aussi faite de petites choses qui en disent long sur les névroses de ceux qui se sont donné pour mission de veiller au bien public, et qui nous rendent plus humains et plus proches.

Il y a quelques jours, les portes coulissantes donnant accès au Berlaymont ont été remplacées par des portes tournantes bloquées.

Ce barrage s'ajoute à la série de sas et autres portiques contrôlés par force vigiles qui commandent déjà l'accès aux différents espaces du siège de la Commission. Alors que n'importe qui pouvait jusqu'à présent entrer dans le lobby (mais uniquement là), il faut donc désormais disposer d'un badge maison, autrement dit y travailler, pour pénétrer dans le hall du saint des saints. Hélas, le Berlaymont abrite non seulement les bureaux des commissaires et de leurs cabinets, mais également, dans son sous-sol, une salle de presse à laquelle ont accès 900 journalistes accrédités... mais dépourvus du précieux «pass».

Jusqu'à présent, il leur suffisait pour la rejoindre de déposer leur sac sur le tapis d'une machine à rayons X et de passer sous un portique électronique.

Cette innovation - introduite sous le président Barroso - provoquait régulièrement un embouteillage dans le lobby quand par hasard un groupe de visiteurs avait le malheur de se présenter au moment où des hordes de journalistes - forcément en retard - tentaient de rejoindre en toute hâte l'amphithéâtre de la salle de presse.

À l'avenir, l'embouteillage se déroulera donc à l'entrée du bâtiment où, devant chacun des quatre malheureux tourniquets installés, un vigile est chargé d'actionner manuellement la porte.

On attend avec impatience le jour de la conférence de presse inaugurale de Jean-Claude Juncker, où des centaines de personnes sans badge attendront d'être happées, une à une, par cette mécanique circulaire, sous l'oeil débonnaire des agents de sécurité. L'ironie est que, pour ne pas trop entraver le flux des visiteurs, le vigile ouvre la porte à quiconque se présente, sans demander de document d'identité ou procéder à une fouille. À moins d'arriver avec une ceinture d'explosifs nouée bien en évidence sur son pardessus, il n'y aucune chance de se voir refuser l'accès... sauf à manquer de patience.

Admettons que la névrose de la sécurité soit un mal fort répandu en ces temps troublés... Il est d'autres travers toutefois où l'exécutif européen se distingue entre tous : son jargon et sa passion de la norme. L'autre jour, un député a attiré mon attention sur cette phrase du règlement «omnibus» (il me faudrait toute une chronique pour éclairer ce terme) consacré à la politique commune de la pêche : « Avant de commencer à pêcher..., les capitaines s'assurent qu'ils disposent... de quotas suffisants pour couvrir la composition probable de leurs captures et les pourcentages autorisés durant la sortie en question.» Autrement dit, avant de lancer son filet, il faudra désormais savoir ce que l'on y trouvera au moment de le remonter. Comme si les poissons se cueillaient à vue d'oeil sur les arbres et non dans le ventre opaque de la mer ! Dieu merci, la Commission prend des mesures. L'autre jour, dans un couloir de la direction générale du marché intérieur, je suis tombée sur une affiche invitant à participer au Prix 2014 du «Rédiger clairement». «Vos rédactions méritent un prix ! Envoyez vos textes à DGT-Clear-Writing au plus tard le 6 octobre 2014», indique l'affiche. Une récompense aux textes administratifs bien écrits, il fallait y penser. Mais alors, quid des piètres rédacteurs ? Seront-ils à l'avenir privés de dessert ? Ou de poisson ?

Florence Autret

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